Étudiante en psychologie à Buenos Aires, Ana Ríos Brandana a commencé à militer très jeune. Membre de l’association Nietes, elle raconte comment son combat pour les droits humains l’a conduite à rejoindre les rangs féministes.
« En tant que descendante de disparu·es, la lutte a débuté pour moi dès l’adolescence à travers des questions autour des privations de liberté. Je me suis ensuite impliquée dans le mouvement pour l’avortement légal, sûr et gratuit, puis, en entrant à l’université, je me suis engagée concrètement au sein d’une organisation péroniste [mouvement politique de gauche]. Enfin, j’ai fait partie de celles et ceux qui ont organisé les premières réunions de l’association Nietes.
Je me bats pour que les droits humains soient garantis, pour qu’il ne s’agisse pas seulement d’une idée, pour qu’ils soient concrets et universels. Mais en Argentine, notamment depuis l’élection de Javier Milei [en novembre 2023], nous militons dans un contexte particulièrement compliqué en raison de trois éléments : la crise économique qui empêche matériellement de nombreuses personnes de participer aux mobilisations, la diabolisation du militantisme, et enfin, sa conséquence, la persécution des militant·es. Nous ne laissons pas ces violences nous paralyser, mais nous sommes obligé·es d’en tenir compte. Avant, je disais ouvertement que j’étais militante. Il y avait du rejet, mais je pouvais le dire sans peur. Aujourd’hui, je fais plus attention à qui je m’adresse.
Une des actions les plus graves du gouvernement de Milei a été le licenciement massif de fonctionnaires, dont les employé·es du ministère des Femmes, des Genres et de la Diversité. Plus de la moitié de mon entourage est maintenant au chômage. Le démantèlement de l’État s’accompagne d’un climat de violence généralisé et de discours de haine au sommet du pays, qui infusent dans la population et conduisent à des actes criminels. Par exemple, récemment, un homme a jeté un cocktail Molotov sur un couple de femmes. Il a lui-même expliqué qu’il les avait tuées parce qu’elles étaient lesbiennes. Les discours négationnistes concernant les victimes de la dictature se sont aussi multipliés.
Valoriser le mot « utopie »
De mon côté, je travaille en plus de mes études, mais ça ne suffit plus et je dois demander à mes parents de m’aider. J’ai la chance de pouvoir le faire. Dans ce contexte, c’est dur de conserver son énergie vitale, de rester enthousiaste. Nous sommes beaucoup à être abattu·es, découragé·es, angoissé·es. Heureusement chez Nietes, nous nous soutenons, mais quand les conditions basiques de subsistance ne sont pas réunies, c’est vraiment difficile. La situation est catastrophique et on a du mal à savoir comment s’en sortir. Je n’ai jamais été aussi fatiguée de toute ma vie.
« AVANT, JE DISAIS OUVERTEMENT QUE J’ÉTAIS MILITANTE. AUJOURD’HUI, JE FAIS PLUS ATTENTION »
Pour moi, la résistance à l’extrême droite se matérialise par le fait de “défendre et construire”. Chez Nietes nous cherchons à bâtir une société qui dit haut et fort “nunca más” (plus jamais ça). Défendre d’abord les droits acquis et revendiquer la lutte des militant·es révolutionnaires, opposant·es sous la dictature. Ces personnes ont été persécutées parce qu’elles étaient un obstacle à la mise en place du modèle social et économique que ce régime voulait mettre en place. Elles et ils militaient pour un pays meilleur, mais la dictature les a torturé·es et fait disparaître. Je ne veux pas dire que ces militant·es ont donné leur vie pour le combat politique car la mémoire est une construction collective et celle que je souhaite transmettre ne romantise pas les faits. Mais je revendique leurs actions, leurs utopies et leurs stratégies pour les atteindre. Ces utopies peuvent être différentes aujourd’hui, mais ce mot – utopie – est important à souligner parce qu’il est maintenant très dévalorisé.
Il faut aussi continuer à construire cette mémoire, parce qu’il y a encore certains types d’exactions qui sont passées sous silence. Les militaires ont réussi à exterminer des organisations entières dont il ne reste plus rien. Il faut aussi pointer les non-dits : certain·es personnes ont été enlevées à cause de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.
Le fait que Nietes soit une organisation féministe est crucial. Cela permet d’aborder la question fondamentale de la binarité de genre au sein d’un espace inclusif. Problématiser cette question du genre et dépasser les injonctions qui y sont liées apporte de nouveaux éclairages sur nos combats. L’inclusivité est un magnifique outil de lutte porté par notre génération. Pour moi, le féminisme est le mouvement le plus transformateur et révolutionnaire qui existe en ce moment en Argentine. Puisque le patriarcat traverse l’ensemble de la société et génère des inégalités à de nombreux endroits, lutter pour les droits humains, c’est être féministe. Au sein de notre génération, les femmes entrent massivement dans les espaces politiques traditionnellement masculins, en particulier les instances de décision. Je veux continuer à me battre, en groupe, pour tout ça : les droits humains, les droits des femmes. On ne peut rien faire seul·e, les champs de lutte sont nécessairement collectifs. »
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