L’affaire des époux Bac, à l’origine du planning familial

En juillet 1955, Ginette et Claude Bac sont condamné·es à deux ans de prison pour avoir laissé mourir, faute de soins, leur quatrième enfant, Danielle, âgée de huit mois. Tournant dans la lutte pour la léga­li­sa­tion de la contra­cep­tion en France, cette affaire judi­ciaire sera à l’origine de la création de la Maternité heureuse, puis du Mouvement français pour le planning familial.
Publié le 17 janvier 2023
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Saint-Ouen, 1952. Dans son appar­te­ment exigu, Ginette Bac, mariée depuis quatre ans à Claude Bac et déjà mère de trois enfants en bas âge, est submergée par les tâches domestiques.

Alors qu’elle peine à préparer les repas, faire le ménage, laver les couches et les vêtements sales à la main – elle a une paralysie du bras droit depuis sa naissance –, la jeune femme découvre qu’elle est enceinte pour la quatrième fois. Malgré le soutien logis­tique de sa belle-mère, Léonie, elle perd pied. À la naissance de Danielle, elle sombre dans ce que l’on diag­nos­ti­que­rait aujourd’hui comme une dépres­sion post-partum, tandis que Claude, ouvrier dans la maçon­ne­rie, multiplie les heures sup­plé­men­taires et s’absente de plus en plus du foyer.Quand Danielle a six mois, en janvier 1953, Ginette s’aperçoit, accablée, qu’elle est enceinte pour la cinquième fois. Elle s’enferme derrière ses volets, nour­ris­sant peu ses enfants et ne les lavant quasiment plus. L’appartement « se trans­forme peu à peu en taudis infect », écrivent les his­to­riennes Danièle Voldman et Annette Wieviorka, dans Tristes Grossesses (1), la pas­sion­nante enquête qu’elles ont consacrée à cette affaire. Une assis­tante sociale et une assis­tante de police passent épi­so­di­que­ment, alertées par Léonie, qui vient plus rarement depuis que le couple s’est disputé avec elle. En février 1953, Danielle finit par décéder de mal­nu­tri­tion et de manque de soins à l’âge de huit mois.

Ginette et Claude Bac sont incarcéré·es le temps de l’enquête judi­ciaire qui, fait rare à l’époque dans ce type d’affaires, n’épargne pas l’époux. « Vous ne semblez pas avoir songé, en rendant Ginette mère d’une famille si nombreuse, à la tâche psychique et morale que vous imposiez à une jeune femme de 22 ans, lui indique le juge d’instruction. Votre res­pon­sa­bi­li­té morale commence là*. » Le magistrat souligne aussi l’affection que porte Ginette, délestée du travail domes­tique sans fin, à son cinquième bébé né en détention. À l’issue de leur procès, qui se tient en juin 1954, le jury populaire, composé de sept hommes, les déclare « coupables avec cir­cons­tances atté­nuantes » – sensibles sans doute à la plai­doi­rie de l’avocate de Ginette, qui avait mis en avant son handicap, les souf­frances liées aux gros­sesses trop rap­pro­chées et la situation précaire du couple. Les époux Bac sont condamné·es à sept ans de prison, Claude est déchu de sa « puissance pater­nelle » et les enfants placé·es sous tutelle. L’affaire est men­tion­née dans les journaux comme un fait divers parmi d’autres. Mais quand, un an plus tard, elle sera rejugée, elle jouera un rôle essentiel dans l’émergence du combat pour la léga­li­sa­tion de la contraception.


Dans les années 1950, malgré la répres­sion, les femmes avortent. Il y aurait alors 800 000 avor­te­ments par an, soit autant
que de gros­sesses menées à terme.


Des médecins leur imposent des curetages sans anesthésie

À l’époque où Ginette Bac subit cinq gros­sesses en cinq ans, la contra­cep­tion et l’avortement sont stric­te­ment prohibés en France hexa­go­nale, en vertu de la loi du 31 juillet 1920, alors même que dans les outre-mer (Réunion, Guadeloupe, Martinique…), l’État français mène une politique de limi­ta­tion des nais­sances qui passe non seulement par la diffusion de savoirs contra­cep­tifs, mais aussi par des avor­te­ments et des sté­ri­li­sa­tions forcées. Dans l’Hexagone, si l’interdiction de l’avortement remonte au Code pénal de 1791, la pro­hi­bi­tion de la « pro­pa­gande anti­con­cep­tion­nelle » – passible d’un empri­son­ne­ment de quelques mois – est une nouveauté de 1920 qui s’explique par le fort déclin démo­gra­phique causé par la Première Guerre mondiale. Face au million et demi de morts, à l’Assemblée nationale, « empêcher un enfant de naître après l’hécatombe semblait à beaucoup un crime contre la nation* ».

Cependant dans les années 1950, malgré la répres­sion (2), les femmes avortent. C’est même « un phénomène socio­lo­gique, une habitude contrac­tée par toutes les couches de la popu­la­tion, une sorte de mal néces­saire » en l’absence de contra­cep­tifs autorisés, écrit le jour­na­liste Jacques Derogy dans une enquête inédite sur le sujet publiée d’abord sous forme d’articles dans la presse en 1955, puis en 1956 aux Éditions de minuit sous le titre Des enfants malgré nous : le drame intime des couples. Selon les études démo­gra­phiques et médicales sur les­quelles il s’appuie, il y aurait alors 800 000 avor­te­ments par an, c’est-à-dire autant que de gros­sesses menées à terme. La plupart des femmes avortent seules, ou avec l’aide d’une amie, d’une voisine, d’une sœur, et, au-delà des clas­siques sondes, l’omniprésence (et la variété) des objets domes­tiques est frappante. Derogy fait ainsi état d’un « effarant bric-à-brac d’épingles à cheveux, d’aiguilles à tricoter, de cure-dents, de por­te­plumes, de baleines de parapluie, […] de racines, d’os de poulet, […] d’injections d’eau savon­neuse, de teinture d’iode, d’esprit de sel, d’extrait d’ergot de seigle, […] d’éther, d’alcool ou de glycérine, […] fers à friser, compas, […] morceaux de cire à cacheter ! »

Prises en étau entre la loi et leur refus d’une grossesse, les femmes subissent : quand elles se rendent aux urgences suite à un avor­te­ment qui tourne mal, « la société se venge comme elle peut », avec des médecins qui leur imposent par exemple des curetages sans anes­thé­sie. Dix à 60 000 d’entre elles décèdent chaque année de pratiques abortives et des dizaines de milliers d’autres deviennent stériles. De toute évidence, hier comme aujourd’hui, interdire l’avortement « ne le supprime pas, il le rend mortel », comme le rap­pellent les pancartes des mobi­li­sa­tions actuelles face au recul du droit à l’IVG dans le monde.

Dans ce contexte émerge la mobi­li­sa­tion en faveur de la contra­cep­tion comme « remède » à l’avortement, sous l’impulsion d’une gyné­co­logue d’une qua­ran­taine d’années, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé. Catholique de gauche, elle tire son enga­ge­ment de la fin des années 1930 où, lors d’un stage en chirurgie à l’hôpital, elle est témoin des mauvais trai­te­ments infligés par de jeunes médecins aux femmes ayant avorté. En 1947, lors d’un séjour à New York, elle rencontre des militant·es du birth control (« contrôle des nais­sances »), comme la féministe anar­chiste Margaret Sanger, fon­da­trice de l’American Birth Control League. Elle visite une des cliniques du mouvement où les couples peuvent trouver des res­sources « pour espacer les nais­sances “en fonction de leurs capacités éco­no­miques, physiques et morales” », au nom de la « famille heureuse » plutôt que nombreuse*.
En mars 1953, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé publie dans une revue hos­pi­ta­lière un premier article qui n’a aucun écho. Elle change alors de stratégie. « Pour émouvoir, susciter une adhésion, faire com­prendre, il faut une histoire tragique capable de bou­le­ver­ser l’opinion et la rendre ainsi acces­sible à l’enjeu qu’est le contrôle des nais­sances. Ce sera l’affaire Bac », expliquent Voldman et Wieviorka dans Tristes Grossesses.

Du procès d’un fait divers, à celui d’un fait de société

En juillet 1955, après que le premier jugement a été cassé pour vice de forme, le second procès Bac s’ouvre devant la cour d’assises de Versailles. Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, citée comme « témoin sur le fond », s’en saisit pour élargir son audience. Cette audition impres­sionne la cour mais aussi les jour­na­listes présent·es en nombre. Ce nouveau procès n’est plus celui d’un fait divers mais d’un fait de société et de la loi de 1920. Le 7 juillet 1955, le jury, composé d’une femme et de cinq hommes, prononce un verdict beaucoup plus clément qu’en première instance : Claude et Ginette Bac, « coupables d’avoir […] par mal­adresse, impru­dence, inat­ten­tions et négli­gences, été invo­lon­tai­re­ment la cause de la mort de leur fille Danielle », sont condamné·es à deux ans de prison, une peine qui couvre la durée de détention déjà effectuée.

Si les époux Bac sortent libres du palais de justice et sont vite oublié·es par l’Histoire, leur affaire aura été à l’origine de la création de l’une des plus grosses asso­cia­tions fémi­nistes de ces dernières décennies : le Planning familial. Quelques mois après le verdict, Évelyne Sullerot, alors femme au foyer et mère de quatre enfants, écrit à Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé pour lui proposer de créer une asso­cia­tion de femmes pour la maîtrise des nais­sances. « Qui aura le courage de mettre en branle le chœur des femmes qui depuis des mil­lé­naires chu­chotent dans le privé ? », écrit Évelyne Sullerot. La gyné­co­logue est emballée par la pro­po­si­tion, l’aventure est lancée. Pour ne pas attirer la suspicion des autorités, elles choi­sissent un nom bien sous tous rapports : la Maternité heureuse. Épaulées par l’époux de la gyné­co­logue Benjamin Weill-Hallé, éminent médecin qui dispose d’un vaste réseau, elles convainquent intel­lec­tuelles, avocates, médecins et épouses d’hommes influents de les rejoindre.

Les statuts déposés avec un bébé sur les genoux

La plupart d’entre elles ont plusieurs enfants, carac­té­ris­tique qui va être au cœur de leur stratégie de légi­ti­ma­tion. En cou­ver­ture de son livre   (Librairie Maloine, 1959), Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé met ainsi une photo de quatre bambins à l’air épanoui, dont l’un porte une croix autour du cou – un clin d’œil appuyé à ses détrac­teurs catho­liques. Quant à Évelyne Sullerot, elle utilise « les normes de genre comme arme* » et dépose les statuts de l’association en pré­fec­ture avec son bébé sur les genoux, pro­vo­quant une réaction enthou­siaste de l’agente d’enregistrement : « La Maternité heureuse ? Ah ! Je vois ! » « Elle ne se doutait nullement que nous allions changer la société », écrira plus tard la militante*.

Afin d’accéder à des res­sources inexis­tantes en France, ces pion­nières se rap­prochent d’organisations d’autres pays où la contra­cep­tion est autorisée (États-Unis, Royaume-Uni, Suède, Belgique…). L’historienne Bibia Pavard, spé­cia­liste des luttes pour la contra­cep­tion et l’avortement, parle de « transfert militant (3) » pour évoquer ce qui se passe dans les ras­sem­ble­ments de l’International Planned Parenthood Federation (IPPF), dont la Maternité heureuse devient membre en 1959. Médecins et infirmier·es français·es s’y forment aux méthodes de contra­cep­tion, visitent des cliniques, et se procurent, entre autres, des pilules et des dia­phragmes. Les mili­tantes de la Maternité heureuse y ren­forcent leur argu­men­taire, adapté ensuite au contexte français, qui leur est par­ti­cu­liè­re­ment hostile. Ainsi, plutôt que de parler de « pla­ni­fi­ca­tion familiale » (tra­duc­tion littérale de family planning) ou de « contrôle des nais­sances » (birth control), qui peuvent insinuer une politique imposée par l’État ou même rappeler l’eugénisme nazi, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé forge le terme de « planning familial » qu’elle définit comme l’« ensemble des mesures visant à favoriser la natalité lorsque les condi­tions sociales, maté­rielles et morales s’y prêtent ». Forte de ce nouveau terme, elle en fait, selon Bibia Pavard, « un ins­tru­ment d’une natalité vigou­reuse pour rallier les nata­listes » qui s’opposent à son combat.

La Maternité heureuse doit également affronter un autre puissant adver­saire, le Parti com­mu­niste français (PCF). Si, comme Jacques Derogy, nombre de défenseur·euses de la contra­cep­tion sont proches du parti, les dirigeant·es consi­dèrent qu’il s’agit d’une lutte petite-bourgeoise et néo­mal­thu­sienne émanant des États-Unis. « Depuis quand les femmes tra­vailleuses récla­me­raient le droit d’accéder aux vices de la bour­geoi­sie ? » raille, en mai 1956, Jeannette Vermeersch, figure du parti et vice-présidente de l’Union des femmes fran­çaises. Pour son mari Maurice Thorez, secré­taire général du PCF, « le chemin de la libé­ra­tion de la femme passe par les réformes sociales, par la révo­lu­tion sociale, et non par les cliniques d’avortement* ». Ces prises de position à contre-courant de la société sèment le désarroi et la colère parmi les militant·es et les médecins com­mu­nistes. Pour Danièle Voldman et Annette Wieviorka, l’alliance de cir­cons­tance entre le PCF et les catho­liques à l’Assemblée ont retardé « d’une douzaine d’années la pos­si­bi­li­té pour les Françaises d’accéder librement aux moyens contra­cep­tifs », occa­sion­nant de nom­breuses souf­frances et morts supplémentaires.

Du Planning familial à la loi Neuwirth

Au début des années 1960, la Maternité heureuse prend le nom de Mouvement français pour le planning familial (MFPF) et opère un chan­ge­ment d’échelle en ouvrant des centres d’informations un peu partout sur le ter­ri­toire. Pour l’historienne Bibia Pavard, tout en pour­sui­vant son « lobbying pour un chan­ge­ment légis­la­tif », le mouvement cherche à diffuser auprès du plus grand nombre des savoirs sur le corps, la sexualité et les pratiques contra­cep­tives dans l’espoir que la loi « finira alors par tomber d’elle-même en désuétude (4) ». Un premier centre ouvre à Grenoble en 1961, rapi­de­ment suivi d’un autre à Paris. Ce sont des lieux où l’on contourne savamment la loi de 1920 en n’autorisant l’accès qu’aux adhé­rentes et en jouant sur la non-interdiction des contra­cep­tifs (que les médecins allié·es se procurent clan­des­ti­ne­ment en Angleterre) puisque seule la pro­pa­gande anti­con­cep­tion­nelle est alors prohibée.

S’appuyant sur les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, asso­cia­tives et par­ti­sanes locales (socia­listes, laïques, franc-maçonnes…), le Planning évolue dans sa socio­lo­gie, rejoint notamment par de nom­breuses ensei­gnantes. C’est aussi l’heure des premiers conflits entre les « expert·es » et les « militant·es » fraî­che­ment arrivé·es qui poli­tisent le mouvement. Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé reproche à ces nouvelles adhé­rentes leur « croisade pour la laïcité ».


Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé forge le terme de « planning familial » qu’elle définit comme l’« ensemble des mesures visant à favoriser la natalité lorsque les condi­tions sociales, maté­rielles et morales s’y prêtent ».


En 1965, à travers notamment la can­di­da­ture de François Mitterrand à l’élection pré­si­den­tielle, la contra­cep­tion accède enfin au rang d’objet de politique nationale. Elle est alors accaparée par des hommes qui occupent des positions domi­nantes (médecins et poli­tiques) et font partie des mêmes cercles où ils discutent ensemble des contours à donner à un nouveau cadre légal – l’Assemblée nationale ne compte alors que huit femmes. « À “la politique de la salle à manger” entre femmes des débuts de la Maternité heureuse, se substitue “la politique des salons” feutrés, où l’on fume le cigare entre hommes », analyse Bibia Pavard dans Si je veux, quand je veux. Finalement, c’est une pro­po­si­tion de loi déposée par un député de droite, Lucien Neuwirth, qui est adoptée le 19 décembre 1967, au terme de longs débats légis­la­tifs qui ont eu pour effet de la res­treindre (5). Quant à Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, elle quitte le Planning familial avant même le vote de cette loi, consi­dé­rant l’objectif atteint puisque la popu­la­tion semble désormais acquise à la cause, mais aussi par désaccord avec la poli­ti­sa­tion du mouvement alors qu’elle aurait souhaité le voir se muer en une sorte de service public de la contra­cep­tion. Pour les militant·es fémi­nistes, dont l’influence grandit au sein du Planning, non sans tensions, la lutte ne fait que commencer : accès libre des mineures à la contra­cep­tion, rem­bour­se­ment des contra­cep­tifs par la Sécurité sociale, déploie­ment de l’éducation à la sexualité… mais aussi ral­lie­ment à un nouveau combat d’avant-garde, celui du droit à l’avortement.


Il y a toujours des femmes qui, comme Ginette Bac, n’ont pas la pos­si­bi­li­té de choisir leur grossesse.


L’accès à la contraception, un enjeu qui perdure

Des années 1960 à aujourd’hui, le Planning familial a connu de nombreux chan­ge­ments mais ces combats fon­da­teurs sont restés au cœur de son action. Si, aujourd’hui, la contra­cep­tion ne fait plus les gros titres des journaux, les reven­di­ca­tions d’origine n’ont pas toutes été mises en œuvre, et il y a toujours des femmes qui, comme Ginette Bac, n’ont pas la pos­si­bi­li­té de choisir leurs grossesses.

« Remboursement de la pilule contra­cep­tive pour les moins de 26 ans, pilule d’urgence gratuite pour tous·tes… : au niveau des droits, on avance », explique Claire Ricciardi, copré­si­dente du Planning des Bouches-du-Rhône après en avoir été salariée pendant vingt ans. « Mais il reste des enjeux de taille, à commencer par l’accès de tous·tes à une infor­ma­tion correcte et complète. » D’un côté, les fausses infor­ma­tions : « On a encore des pharmacien·nes qui disent aux jeunes que la pilule du lendemain peut donner un cancer ou rendre stérile si on la prend plusieurs fois, c’est effarant », regrette-t-elle. De l’autre, le manque de pré­ven­tion, faute de moyens suf­fi­sants alloués. Au collège et au lycée, les séances d’éducation à la vie affective et sexuelle restent rares malgré l’obligation, inscrite dans la loi de 2001, d’en organiser trois par an durant la scolarité. « Dans nos inter­ven­tions scolaires, on met l’accent en priorité sur les relations filles-garçons, les violences sexistes et sexuelles, les dif­fé­rentes orien­ta­tions sexuelles et au final on n’a plus le temps pour parler de contra­cep­tion, poursuit Claire Ricciardi. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des jeunes qui pensent que la pilule protège des infec­tions sexuel­le­ment trans­mis­sibles… »

Au-delà de l’information, l’accès à la contra­cep­tion reste aujourd’hui encore marqué socia­le­ment. Certaines personnes n’ont pas de carte Vitale, d’autres n’ont pas les moyens, et d’autres enfin sont dis­cri­mi­nées par les soignant·es. Une partie des personnes han­di­ca­pées sont confron­tées à une obli­ga­tion de contra­cep­tion (en ins­ti­tu­tion, par exemple) voire de sté­ri­li­sa­tion et sont entravées dans leur volonté de mener une grossesse. À l’inverse, pour les valides, la contra­cep­tion défi­ni­tive reste très com­pli­quée à obtenir, même pour celles qui ont déjà plusieurs enfants. Les hommes trans et les personnes non binaires trouvent dif­fi­ci­le­ment des professionnel·les bienveillant·es et formé·es et la récente campagne du Planning familial sur l’accueil d’hommes enceints a provoqué une véritable panique morale. « Notre féminisme, c’est “mon corps, mon choix”. Et c’est la loi », rappelait l’association en août 2022 dans une tribune parue dans Libération. Sur le droit à la santé repro­duc­tive, que ce soit à l’époque de l’affaire Bac il y a 70 ans ou aujourd’hui – de la PMA pour tous·tes à l’IVG hors délai en passant par la ligature des trompes – les positions mora­listes se heurtent à des faits de société bien réels et au vécu d’une partie de la popu­la­tion. Un demi-siècle après sa création, le Planning familial est toujours là pour le rappeler. •


1. Danièle Voldman et Annette Wieviorka, Tristes Grossesses : l’affaire des époux Bac (1953–1956), Seuil, 2019. Toutes les réfé­rences à cet ouvrage dans cet article seront signalées par un astérisque.

2. En 1943, la « faiseuse d’ange » Marie-Louise Giraud et le médecin Désiré Pioge sont guillotiné·es pour avoir pratiqué des avor­te­ments. Si le régime de Vichy a été par­ti­cu­liè­re­ment répressif, avec environ 3 800 condam­na­tions par an, des centaines furent aussi pro­non­cées dans les années 1950.

3. Bibia Pavard, « Du Birth control au Planning familial (1955–1960) : un transfert militant », Histoire@Politique, Politique, culture, société, no 18, 2012.

4. Bibia Pavard, Si je veux, quand je veux : contra­cep­tion et avor­te­ment dans la société française (1956–1979), Presses uni­ver­si­taires de Rennes, 2012.

5. La loi Neuwirth prévoit un consen­te­ment écrit des parents pour avoir accès à la pilule ou au stérilet avant 21 ans, âge de la majorité avant 1974 ; les contra­cep­tifs ne sont pas rem­bour­sés ; la pro­pa­gande et la publicité restent interdites.

Baiser : pour une sexualité qui libère

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°9 Baiser (février 2023)

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