L’affaire DSK, emblématique du sexisme à la française

Le 14 mai 2011, Dominique Strauss-Kahn était arrêté à New York, accusé de violences sexuelles. Dix ans plus tard, les réactions à cette affaire appa­raissent comme le déclen­cheur d’un nouveau cycle de mobi­li­sa­tion féministe. Une analyse de l’activiste « Préparez-vous pour la bagarre », à lire sur Mediapart et à paraître dans la revue La Déferlante.

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Publié le 8 mars 2021

Le 15 mai 2011, je me trouve à Denver, dans le Colorado. Entre deux contrats dans le secteur de l’industrie musicale, je suis venue suivre trois mois de cours pour passer une cer­ti­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle en anglais. Betty, la femme de 75 ans qui m’héberge, m’appelle à travers toute la maison pour que je vienne voir « ça ».

Sur l’écran de la petite télé­vi­sion de la cuisine, les images de Dominique Strauss-Kahn, les mains menottées, à sa sortie du com­mis­sa­riat, passent en boucle. Je le connais parce qu’il est le grand favori de la primaire du Parti socia­liste et qu’il est présenté comme le futur président de la République française par tous les médias. Pour Betty, c’est le directeur du Fonds monétaire inter­na­tio­nal (FMI). « What a pig » [« Quel porc ! » – ndlr], lâche-t-elle. Je suis sidérée par ce que je comprends de la situation : Dominique Strauss-Kahn logeait au Sofitel de New York et, en sortant de sa douche, nu, il aurait agressé sexuel­le­ment Nafissatou Diallo, qui s’apprêtait à faire le ménage dans sa chambre.

À l’école de langues où j’étudie, on m’interroge sur l’affaire et sur la réaction des hommes poli­tiques et des jour­na­listes français. Je défends avec ferveur nos hommes de pouvoir, le cloi­son­ne­ment de la vie privée et de la vie publique, et la « gau­loi­se­rie à la française ». Au cours du débat, je sens l’impatience monter du côté de l’assemblée composée d’élèves australien·ne·s, japonais·es, mexicain·e·s, coréen·ne·s, etc. Des questions plus précises me sont posées : la France n’aurait-elle pas un problème avec la pro­tec­tion de ses élites ? Est-ce, selon moi, un héritage de la monarchie ?

L’affaire Strauss-Kahn, que j’ai suivie depuis les États-Unis, sur une ligne de crête entre deux cultures et deux systèmes média­tiques, est en grande partie à l’origine de ma prise de conscience féministe. Elle interroge tout à la fois le fonc­tion­ne­ment des médias, la culture du viol, l’entre-soi des élites, le racisme et le classisme systémiques.

Une tentative de viol décrite comme du marivaudage

La culture du viol, récemment analysée en France par Valérie Rey-Robert, militante féministe et essayiste (Une culture du viol à la française, Libertalia, 2019), est un système de repré­sen­ta­tions qui « s’appuie et se nourrit toujours d’un certain nombre d’idées reçues autour des violences sexuelles et provoque sys­té­ma­ti­que­ment des phé­no­mènes simi­laires obser­vables : fata­li­sa­tion du viol, excuse des coupables et culpa­bi­li­sa­tion des victimes ». Dans notre ima­gi­naire collectif, forgé par des siècles de croyance, un agresseur sexuel ou un violeur est un homme marginal, armé, mal éduqué et rôdant la nuit dans les parkings. Depuis la média­ti­sa­tion des viols col­lec­tifs au début des années 2000, c’est aussi un jeune de banlieue.

Dominique Strauss-Kahn, lui, n’est pas coupable, non, il est victime de ses penchants. Son incul­pa­tion « met en avant ce qui est depuis toujours le talon d’Achille du séduisant intel­lec­tuel : son attirance pour le beau sexe », écrira le jour­na­liste Jean-François Polo, dans Les Échos, quelques jours après le déclen­che­ment de l’affaire. Le 18 mai 2011, le psy­cha­na­lyste Serge Hefez estime même dans une tribune écrite pour Le Monde que DSK est sa propre victime : « L’avenir nous dira si Dominique Strauss-Kahn est victime d’une sordide machi­na­tion, meurtre sym­bo­lique d’un homme au faîte de sa gloire, ou s’il vient de mettre en scène, sous nos yeux ébahis, le spectacle de son auto­des­truc­tion. »

Les faits sont parfois minimisés avec une légèreté décon­cer­tante : « La débandade », titre en une le quotidien gratuit Metro le 16 mai 2011. Journalistes et édi­to­ria­listes écha­faudent la théorie du « dérapage » d’un homme juste, qui ne pensait pas à mal. La frontière entre sexe et violences sexuelles serait floue, faci­le­ment fran­chis­sable, par mal­adresse ou excès. On parle d’un homme « dont il est de notoriété publique qu’il aimait (trop ?) les femmes » (La Charente libre), « qui aime les femmes sans modé­ra­tion » (Sud-Ouest), ou d’un « séducteur jusqu’à l’inconscience » (Le Parisien). Interviewé sur France Culture, le fondateur de Marianne, Jean-François Kahn, évoque le « troussage de domes­tique » d’une femme de ménage et en une formule compare des faits présumés d’agression sexuelle et de tentative de viol aux mari­vau­dages d’un maître de maison bourgeois avec sa servante.

Nafissatou Diallo est la plupart du temps absente des récits. On évoque assez rapi­de­ment ses origines sociales, raciales, et son physique « très peu séduisant », selon les avocats de DSK. C’est « une tren­te­naire très jolie » avec « de gros seins et de belles fesses », estime un chauffeur de taxi cité dans France-Soir. Comme si les violences sexuelles avaient à voir avec le physique des victimes. Elle est immé­dia­te­ment envisagée comme une fausse accu­sa­trice, au cœur d’un complot inter­na­tio­nal. Dans Le Nouvel Obs, le député socia­liste Jean-Christophe Cambadélis s’interroge : « Je ne suis pas du tout, loin de là, un adepte des complots, mais j’ai encore en tête le fait qu’on avait promis à DSK le feu nucléaire dès qu’il ferait ses premiers pas de candidat. » Tout comme José Bové, député européen, qui déclare sur Facebook, en mai 2011, qu’il n’a pas les « éléments concrè­te­ment pour dire aujourd’hui s’il y a de l’affabulation, s’il y a eu un piège ».

Ce mythe de la fausse accu­sa­trice est renforcé par les propos du procureur américain Cyrus Vance Jr. quand il met en doute la cré­di­bi­li­té de Nafissatou Diallo : « Pendant toute la période de l’enquête, la plai­gnante a menti aux adjoints du procureur sur une série de sujets concer­nant son passé, les cir­cons­tances des faits et ses relations actuelles» Il faut pourtant souligner que les mensonges évoqués portent sur le motif de sa demande d’asile, ses fré­quen­ta­tions ou son récit des minutes ayant suivi l’agression – que l’état de sidé­ra­tion pourrait expliquer. Le 23 août 2011, le procureur abandonne les charges pénales contre DSK. L’affaire se règle par un accord civil et un accord financier le 10 décembre 2012.

La tran­sac­tion est pour certains une preuve sup­plé­men­taire du complot. « C’est un tromblon. Elle n’a rien pour elle, elle ne sait pas lire, pas écrire, elle est moche comme un cul, et elle gagne 1,5 million de dollars, c’est quand même extra­or­di­naire comme histoire », lâche le chro­ni­queur Franck Tanguy sur RMC, quelques mois plus tard.

Dans l’urgence, sans connaître les détails de l’affaire et dans un réflexe d’autodéfense, les amis de Dominique Strauss-Kahn se pressent à son secours et se portent garants de son innocence. Le 16 mai, Jean-Christophe Cambadélis, engagé auprès de Dominique Strauss-Kahn dans la campagne des primaires de la gauche, explique « Après le temps de la spé­cu­la­tion, de l’émotion et de l’accusation, vient le temps de la défense et de l’amitié» Invité du journal de 20 heures de France 2, Jack Lang, ancien ministre de l’éducation nationale, affirme qu’il n’y a pas « mort d’homme ». Sur France Bleu Périgord, Henri Emmanuelli, député socia­liste des Landes, a du mal « à y croire, parce que c’est quelqu’un qui déteste le conflit »Le même jour, Manuel Valls confesse sur RTL avoir presque versé une larme : « Dominique Strauss-Kahn est un ami que je connais depuis longtemps. Les images de ce matin [Dominique Strauss-Kahn sortant menotté du com­mis­sa­riat de Harlem à New York – ndlr] sont d’une cruauté insou­te­nable. J’avais les larmes aux yeux. »

Ses amis et col­la­bo­ra­teurs se can­tonnent à donner leur avis et à exprimer leur confiance en Dominique Strauss-Kahn, en vertu de leur amitié et d’un sentiment d’appartenance à une classe : le boys club, défini par l’essayiste qué­bé­coise Martine Delvaux (Le Boys club, Les éditions du Remue-Ménage, 2019), comme « un groupe serré d’amis-hommes qui se protègent entre eux ». Les femmes en sont exclues : quand elles s’expriment sur l’affaire, elles sont dis­qua­li­fiées parce qu’elles manquent d’impartialité.

C’est ce que sous-entend l’écrivain Thomas Clerc dans un article publié dans Libération le 31 mai, au sujet de Clémentine Autain, alors ancienne adjointe à la mairie de Paris, très engagée dans une critique féministe de l’affaire Strauss-Kahn : « Pour Autain, le viol est d’abord une réalité : il est donc logique qu’elle prenne la défense de la victime. » Parce qu’elle est femme et victime d’un viol, elle ne peut logi­que­ment pas commenter une affaire de violences sexuelles avec objectivité.

Les hommes qui prennent la défense de Dominique Strauss-Kahn le feraient-ils parce qu’ils s’identifient logi­que­ment aux agres­seurs et aux violeurs ? Non : le point de vue des hommes est réputé impartial et rai­son­nable. Il est une barrière contre les biais et l’excès de sen­ti­ments des femmes, empêtrées dans une iden­ti­fi­ca­tion et une confiance aveugle dans la parole des victimes. Ne pas vouloir ou pouvoir croire que son ami est coupable, c’est consi­dé­rer que l’accusatrice ment. Obligatoirement. Et ce n’est pas neutre.

Une vraie position de neu­tra­li­té, ce serait de ne croire ni l’accusé ni l’accusatrice, ou de croire les deux et d’attendre la décision de justice. Nul besoin d’exposé juridique ou scien­ti­fique pour l’homme de pouvoir, sa parole fait foi. Il peut s’identifier à ses pairs, avoir une analyse biaisée par son appar­te­nance à un groupe, protéger son col­la­bo­ra­teur sur la base d’aucune preuve : c’est la norme. Le neutre, c’est le masculin universel, et l’affaire Strauss-Kahn est une démons­tra­tion éloquente de l’existence de ce boys club français.

La responsabilité des médias français

La presse états-unienne accuse les médias français de taire les com­por­te­ments délin­quants de Dominique Strauss-Kahn. Et plus géné­ra­le­ment, de protéger les élites fran­çaises accusées de violences envers les femmes. Le New York Times évoque, comme on pourrait le faire du fonc­tion­ne­ment d’une mafia, un « code du silence ». Le jour­na­liste de Libération Jean Quatremer publie en 2011 une tribune dans le Financial Times invitant la société et la presse française à évoluer : « Le tabou sur la “vie privée” est soli­de­ment ancré en France : dès qu’il y a un soupçon de sexe, le rideau tombe. » Il explique avoir essayé d’en parler : « Pour l’avoir écrit en juillet 2007, sur ce blog, j’avais encouru les foudres de certains de mes collègues et d’une partie de la classe politique, sans parler de quelques inter­nautes, qui esti­maient que j’empiétais sur la “vie privée” d’un politique. »

À quelques excep­tions près, en mai 2011, les médias français font bloc contre les attaques trans­at­lan­tiques. « Libération conti­nue­ra, premier principe, à respecter la vie privée des hommes et des femmes poli­tiques. » Renaud Dély, à l’époque rédacteur en chef du Nouvel Obs, ne « pense pas que la trans­pa­rence absolue soit indis­pen­sable ». De son côté, Laurent Joffrin, alors directeur de la rédaction de l’hebdomadaire, justifie le silence des médias par cette phrase : « Fallait-il faire le procès d’un séducteur ? Entre des avances trop pres­santes et une accu­sa­tion de viol avec séques­tra­tion, il y a tout de même un monde. » Est-il besoin de rappeler que des avances sexuelles pres­santes relèvent du har­cè­le­ment sexuel et sont des délits ?

«Heureusement qu’on ne parle pas des infi­dé­li­tés diverses, sinon on n’aurait pas fini. Tant que la vie privée n’influe pas sur l’action des hommes poli­tiques ou que les femmes ne portent pas plainte… », ajoute Sylvie Pierre-Brossolette, direc­trice adjointe de la rédaction du Point, qui semble ignorer qu’en 2008, Piroska Nagy, une col­la­bo­ra­trice de DSK, avait contacté le comité d’éthique du FMI pour des faits d’abus de pouvoir consé­cu­tifs à une relation intime. Le Canard enchaîné produit le texte le plus édifiant sur cette affaire : « DSK courait les jupons et les boîtes échan­gistes. La belle affaire ! C’est sa vie privée, et elle n’en fait pas un violeur en puissance. » Pour le journal satirique, « l’information s’arrête toujours à la porte de la chambre à coucher ».

La loi dit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée ». En revanche, il n’y a aucune défi­ni­tion légale de la vie privée. À la juris­pru­dence de définir ce qui est protégé : le domicile, l’image, la voix, l’état de santé, la vie sen­ti­men­tale…, ce qui ne saurait englober les violences sexuelles, qui sont des crimes et des délits. Il se peut que ce rejet de la sphère privée repose sur des siècles d’histoire patriar­cale où il incombe au chef de famille de maintenir l’ordre dans son foyer, derrière les portes closes. Il est probable qu’il soit aussi la mani­fes­ta­tion du mépris his­to­rique d’un certain jour­na­lisme pour les rubriques des faits divers et de la presse people, où l’on trouve tra­di­tion­nel­le­ment les affaires de violences sexistes et sexuelles.

La culture du viol devient un sujet de débat en France

Cinq ans après l’affaire DSK, en mai 2016, Mediapart et France Inter mènent une enquête his­to­rique qui fera éclater l’affaire Denis Baupin. Quatorze femmes accusent le vice-président de l’Assemblée nationale et député Europe Écologie-Les Verts de har­cè­le­ment et d’agressions sexuelles. C’est la première fois en France qu’une affaire de violences sexuelles est dénoncée sans qu’il y ait une procédure judi­ciaire en cours. C’est ce que l’on appelle une affaire de presse. L’instruction est rapi­de­ment classée car les faits sont prescrits, mais la qualité de l’enquête aurait pu, selon le procureur, mener à des poursuites.

Quelques jours après la publi­ca­tion des articles le mettant en cause, Denis Baupin décide de pour­suivre en dif­fa­ma­tion les accu­sa­trices et les jour­na­listes. En janvier 2019, la 17chambre cor­rec­tion­nelle du tribunal de Paris relaxe les douze prévenu·e·s et condamne Denis Baupin pour procédure abusive. La justice estime que « le sujet traité repré­sente un but légitime d’expression, et même un sujet d’intérêt général » : le sujet ne relève donc pas de la sphère privée.

Le 5 octobre 2017, le New York Times met en ligne une grande enquête sur les agis­se­ments de Harvey Weinstein réalisée par les jour­na­listes Jodi Kantor et Megan Twohey. Celle de Ronan Farrow est publiée quelques jours plus tard dans le New Yorker. Ces inves­ti­ga­tions, qui obtien­dront le prix Pulitzer, donneront le départ du défer­le­ment de la plus grande vague de libé­ra­tion de la parole en matière de violences sexuelles de l’histoire : #MeToo.

Quel est l’impact de l’affaire Strauss-Kahn sur le féminisme français ? Pour la phi­lo­sophe française Geneviève Fraisse, elle a contribué au bas­cu­le­ment vers un nouveau cycle féministe. Celui qui s’achève au début des années 2000, date du début du XIXsiècle et porte sur les droits. En première ligne des luttes fémi­nistes : le Code Napoléon et l’« obtention des droits civils à égalité, des droits poli­tiques, éco­no­miques, jusqu’aux droits familiaux de la fin du XXsiècle ».

Le nouveau cycle qui s’ouvre avec les affaires Bertrand Cantat, puis DSK, porte lui sur la question du corps et de son intégrité : « C’est l’énorme sujet de la repro­duc­tion, la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assistée (PMA), d’abord, et le fameux mot d’ordre “Mon corps m’appartient”, ensuite, qui doit se décliner autrement. C’est pourquoi il est tout à fait logique que ces affaires de violences sexuelles explosent main­te­nant », explique la phi­lo­sophe dans une interview parue dans Le Monde en octobre 2017. Ce nouveau combat se mène contre les repré­sen­ta­tions cultu­relles et contre l’exercice des violences sexuelles, marqueur incon­tour­nable de la domi­na­tion masculine.

Cette affaire démontre aussi l’intérêt de recourir au concept d’intersectionnalité. Cette notion, issue des sciences sociales et intro­duite par les travaux de l’universitaire féministe amé­ri­caine Kimberlé Williams Crenshaw en 1989, permet de décrire les effets de la double dis­cri­mi­na­tion, sexiste et raciste, subie par les femmes afro-américaines. Le principe s’est élargi ensuite au refus de cloi­son­ner et de hié­rar­chi­ser les dif­fé­rentes oppres­sions en raison du genre, de la classe, de la race, de l’âge, du handicap ou de l’orientation sexuelle, qui se croisent et se cumulent.

Il faut se souvenir du contexte : un an avant l’affaire DSK, la loi sur l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public est défendue en France au nom du féminisme et des droits des femmes, sup­po­sé­ment oppres­sées par les hommes de leur com­mu­nau­té. Quelques mois plus tard, ces élites n’ont plus aucun scrupule à faire bloc contre une victime de violences sexuelles noire et musulmane. Si les « victimes » se res­semblent, un élément de l’équation a changé : l’agresseur est, cette fois, un homme de pouvoir blanc.

L’affaire Strauss-Kahn n’est pas qu’une affaire de genre. Dans son ouvrage Women, Race and Class paru en 1983, la militante afro-américaine Angela Davis (1) résume de manière pré­mo­ni­toire les enjeux de cette séquence juridique : « Aux États-Unis et dans les autres pays capi­ta­listes, les lois sur le viol ont été édifiées à l’origine pour protéger les hommes des classes supé­rieures, dont les filles et les femmes pouvaient être agressées. Ce qui pouvait arriver aux femmes des classes popu­laires n’a que rarement inquiété les tribunaux ; par consé­quent, il est à souligner que très peu d’hommes ont été pour­sui­vis pour les violences sexuelles qu’ils avaient infligées à ces femmes. […] L’un des traits saillants du racisme est d’avoir toujours posé que les hommes blancs – et tout par­ti­cu­liè­re­ment ceux qui possèdent le pouvoir éco­no­mique – ont un droit d’accès incon­tes­table aux corps des femmes noires»

« Troussage de domes­tique »« il n’y a pas mort d’homme »« aimer les femmes sans modé­ra­tion » : l’affaire Strauss-Kahn a choqué aussi par ces mots. La culture du viol devient un sujet de débat en France. Des ini­tia­tives mili­tantes « séman­tiques » émergent sur les réseaux sociaux. En 2016, Sophie Gourion crée le blog Les mots tuent : une com­pi­la­tion d’articles pour dénoncer le trai­te­ment jour­na­lis­tique des violences faites aux femmes. Grâce à elle, nous réalisons chaque jour que les brèves et articles sur les fémi­ni­cides et les violences sexuelles sont bâclés, roman­ti­sés et com­plai­sants. La même année, Prenons la une, une asso­cia­tion de jour­na­listes œuvrant pour une juste repré­sen­ta­tion des femmes dans les médias, publie une charte signée par plusieurs médias [dont Mediapart – ndlr] qui s’engagent à mieux traiter les violences sexistes et sexuelles.

Le terme « fémi­ni­cide » remplace peu à peu le « crime pas­sion­nel », dans la presse et dans nos repré­sen­ta­tions. C’est dans le sillage de ces ini­tia­tives que j’ai créé ma page Instagram « Préparez-vous pour la bagarre », qui décrypte la forme des discours sexistes dans les médias.

De nom­breuses fémi­nistes ont considéré, en 2011, que l’affaire Strauss-Kahn n’aurait pas pu éclater en France à cause de la com­plai­sance des jour­na­listes et de la violence exercée sur les victimes qui osent prendre la parole. Grâce au travail militant effectué sur le terrain et sur les réseaux sociaux, et à la lumière des affaires qui sont sorties depuis dix ans, j’aime croire que le contexte en France est devenu plus favorable à la dénon­cia­tion des violeurs et des agres­seurs. Je suis cependant moins optimiste concer­nant le trai­te­ment média­tique qui est fait encore aujourd’hui des violences sexuelles et sexistes : car, même si les enquêtes se mul­ti­plient et que certains médias adaptent leur voca­bu­laire, celles-ci sont encore trop souvent abordées du point de vue des accusés et par consé­quent mini­mi­sées et dépolitisées.

Naître : aux origines du genre

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°1 Habiter (mars 2021).

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