Retour à Kyiv : des femmes à l’épreuve de la guerre

Publié le 28 octobre 2022
Retour à Kyiv Audrey Lebel
Archives per­son­nelles
Huit mois après l’invasion russe, l’Ukraine vit encore quotidiennement sous les bombardements et sous la menace d’une attaque nucléaire venue de Moscou. À Kyiv, malgré le retour d’un semblant de normalité, la population est exsangue. Journaliste indépendante et spécialiste de l’Ukraine, Audrey Lebel y est retournée au mois de septembre, pour la première fois depuis le début des frappes russes. Elle y a retrouvé connaissances et amies, profondément affectées par le conflit. Voici son récit pour La Déferlante.

À mon arrivée, après vingt-huit heures de voyage – contre trois en temps de paix – j’ai d’abord été surprise par le silence et les rues désertes du centre-ville. Depuis mai, les cafés ont certes rouvert, de nouveaux lieux viennent même d’être inaugurés, les magasins ont leurs étals bien remplis. Mais Kyiv n’est plus la même. Les monuments his­to­riques de la ville sont recou­verts de sacs de sable et cachés par ce qui ressemble à de gigan­tesques plaques de plâtre. Certaines stations de métro, comme celle de Maïdan au centre-ville, sont fermées et des obstacles antichars trônent un peu partout dans la ville. Depuis le 10 octobre, les frappes aériennes qui durant plusieurs mois avaient épargné la ville ont repris.

La guerre change le quotidien mais aussi les gens. Parmi mes amies, un certain nombre a pris beaucoup de poids en raison du stress, parce que le conflit les pousse souvent à « manger pour se récon­for­ter », comme me le confie Marichka, une consœur qui travaille depuis Kyiv comme cor­res­pon­dante pour le New York Times. D’autres, au contraire, ont dras­ti­que­ment maigri.
Anna, tren­te­naire, a vu appa­raître du jour au lendemain des cheveux blancs qui recouvrent désormais une bonne partie de sa chevelure. Chez Alisa, une réa­li­sa­trice qui a posé sa caméra pour prendre les armes au printemps dernier, la trans­for­ma­tion est plus subtile. Autrefois d’un caractère discret, elle occupe désormais tout l’espace autour d’elle. L’intonation de sa voix a changé. Son regard est soutenu. C’est une com­bat­tante jusque dans sa gestuelle : le dos bien droit, les poings sur la table, les épaules dressées. Le jour où elle est partie sur le front, elle a dû affronter les questions de son fils de 5 ans : « Il m’a demandé : Maman, pourquoi tu dois aller combattre ? J’ai répondu : Parce que si tout le monde réagit comme ça, qui défen­drait le pays et te per­met­trait d’être libre quand tu seras grand ? Il a compris, mais il ne m’a pas lâché la jambe pour autant. »

Retour à Kyiv Audrey Lebel

Réalisatrice de docu­men­taires, Alisa a pris les armes entre mars et juin 2022.

Toutes mes amies sont épuisées par la lourdeur du quotidien. Olga, 32 ans, manager dans un magasin d’articles d’escalade – un hobby qui com­men­çait à être acces­sible à la toute nouvelle classe moyenne émergente du pays avant le début de la guerre – m’explique : […]

Couverture La Déferlante #9 - Baiser pour une sexualité qui libère

Précommandez le dernier numéro de La Déferlante  !

Pour ce premier numéro de 2023, nous consa­crons notre dossier au thème BAISER car, oui la révo­lu­tion sexuelle reste encore à venir ! On y parle de sexologie féministe, de désirs qui font désordre, on y décons­truit les normes vali­distes et on plonge à pieds joints dans le récit de science-fiction érotique « Tout est chaos », signé Wendy Delorme et Elise Bonnard.

⟶ Vous souhaitez recevoir La Déferlante, au tarif de 15 euros (au lieu de 19), et sans enga­ge­ment ? Découvrez notre offre d’abonnement à durée libre.

Dans la même catégorie