La Fabrique des orateurs

par

Maëlle Reat

La réforme du bac­ca­lau­réat mise en œuvre par Jean-Michel Blanquer a fait naître une nou­velle épreuve : le grand oral. Mais la prise de parole peut-elle être un exer­cice éga­li­taire ? La jour­na­liste Louise Tourret décrypte les impen­sés d’une édu­ca­tion à l’oralité qui varie selon le genre, mais aus­si la classe sociale à laquelle on appartient.

C’est un constat bien par­ta­gé dans l’éducation, que chaque péda­gogue digne de ce nom connaît : les petites filles parlent plus tôt et maî­trisent mieux la parole que les gar­çons. Spécialiste du déve­lop­pe­ment du lan­gage, la psy­cho­logue Agnès Florin, qui a réa­li­sé de nom­breuses enquêtes de ter­rain dans des crèches et des écoles, attri­bue cette pré­co­ci­té aux « encou­ra­ge­ments paren­taux pour l’acquisition des com­pé­tences rela­tion­nelles, plus impor­tantes pour les filles avant même l’acquisition du lan­gage ». Ainsi, les petites filles sont inci­tées à être atten­tives aux autres dès les pre­miers jours de la vie et elles sont bien plus encou­ra­gées à s’exprimer que les garçons.
Comment se fait-il alors que la situa­tion s’inverse avec l’âge ? Comme de nom­breuses jour­na­listes dans l’audiovisuel, à mes débuts, j’ai sou­vent été désta­bi­li­sée parce que je ne me sen­tais pas – ou mal – écou­tée, tan­dis qu’un col­lègue plus âgé était immé­dia­te­ment approu­vé lorsqu’il repre­nait mes idées quelques minutes après moi. D’après le Conseil supé­rieur de l’audiovisuel (CSA), les femmes n’ont béné­fi­cié que d’un tiers du temps de parole à la télé­vi­sion en 2020. Elles sont moins sou­vent sol­li­ci­tées en tant qu’expertes et plus sou­vent inter­rom­pues. Par exemple, cette même année, invi­tée à BFM TV, je me sou­viens avoir été vio­lem­ment « man­ter­rup­tée » par le jour­na­liste Alain Duhamel cher­chant à par­ler par-dessus ma voix alors que je répon­dais à une question.

LES MOTS POUR LES FILLES, LE BRUIT POUR LES GARÇONS
Plus l’enfant prend la parole en classe, plus il ou elle y est encouragé·e. De leur côté, les élèves qui la prennent très peu peuvent demeu­rer de « petit·es parleur·euses » de la petite sec­tion à la terminale. […]

 

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Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°5, de mars 2021. La Déferlante est une revue trimestrielle indépendante consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.