Affaire du burkini : le racisme à la plage

Jusqu’à la rentrée, dans notre news­let­ter, Nora Bouazzouni revient sur des mots qui ont fait l’actualité estivale. Cette quinzaine, elle s’intéresse au burkini, ce maillot de bain couvrant qui, chaque année à la belle saison, affole élu·es et médias, au mépris de la liberté des femmes à se vêtir comme elles l’entendent.
Publié le 18 août 2023
illustration de Maelle Réat pour La Déferlante « Affaire du burkini : le racisme à la plage »
Crédit illus­tra­tion : Maëlle Réat pour La Déferlante

Qu’est-ce qu’on trouve de temps en temps sur les côtes fran­çaises, qui est par­fai­te­ment inof­fen­sif, mais qui obnubile la classe politique tous les étés depuis quinze ans ? Perdu ! Il ne s’agit ni du requin-pèlerin, ni des touristes anglais sans coups de soleil, mais du burkini, cette version estivale du signe extérieur d’islamité féminine, un vêtement de bain que presque personne ne porte, mais qui radi­ca­lise nos élu·es, ravi·es de pouvoir débattre du voile senteur monoï même pendant les vacances scolaires. 

Mot-valise déposé en 2006 par Aheda Zanetti, styliste aus­tra­lienne d’origine libanaise, le burkini – qu’il convien­drait mieux d’appeler djilbab de bain, puisqu’il ne couvre pas le visage, contrai­re­ment à la burqa – est, depuis 2009, dans le viseur de nom­breuses muni­ci­pa­li­tés fran­çaises qui tentent de l’interdire sur leurs plages, quand ce n’est pas le Conseil d’État qui empêche les piscines gre­no­bloises d’en autoriser l’usage.

Peur d’être agressée

Chaque été ou presque, donc, des communes expulsent des femmes ayant l’audace de ne pas faire trempette cuisses et bras à l’air car elles trou­ble­raient l’ordre (ré)public(ain). Personnellement, je suis davantage troublée par les retraité·es cramé·es comme des merguez qui délo­ca­lisent leur salon sur la plage en écoutant très fort Rire et Chansons, ou bien par ce sondage Ifop, publié en 2021, qui nous apprend que la moitié des femmes de moins de 25 ans ne bronze pas topless par peur d’être agressées phy­si­que­ment ou sexuel­le­ment, de subir les œillades lubriques des hommes, ou d’être prises en photo et se retrouver seins nus sur les réseaux sociaux.

Mais donc, le burkini. Quatre consonnes et trois voyelles pré­ten­du­ment devenues le symbole d’un «projet politique de contre-société fondé sur l’asservissement de la femme», dixit Manuel Valls – dont on pré­fé­re­rait qu’il prenne lui aussi un peu de vacances, et très loin – qui nous gratifie là d’une défi­ni­tion impec­cable du… patriar­cat. Est-ce qu’on entend nos élu·es et intellos de droite déplorer les injonc­tions à la minceur, la jeunesse ou la glabreté que les femmes subissent toute l’année ? A‑t-on jamais vu Éric Ciotti condamner les pubs Bodyminute ? Alain Finkielkraut fustiger les routines skincare coréennes en 28 étapes ? Le summer body des femmes n’intéresse les uns que lorsqu’ils ne peuvent plus le voir, tandis que les autres confondent « éman­ci­pa­tion » et contrôle du corps des femmes. Oui parce que, petit rappel, en passant : nous vivons dans un État de droit, et les Françaises ont conquis de haute lutte la liberté de se vêtir comme bon leur semble. Autrefois inter­dites de pantalons au nom de la « dif­fé­rence des sexes », nous serions désormais – selon ces messieurs – obligées de nous soumettre à une fashion police obsédée par l’islam, dont le projet assi­mi­la­tion­niste passerait par le port obli­ga­toire du maillot de bain (tous égaux, tous en maillot ?).


« Le Summer Body des femmes ne les inté­ressent que lors­qu’ils ne peuvent plus le voir. »


Empêché·es de se rincer l’œil

Alors, entre deux défi­nan­ce­ments d’associations fémi­nistes et une dis­tri­bu­tion de redou­tables flyers anti-agressions sexuelles, elles et ils n’oublient pas de mettre leur réveil sur islam’o’clock pour vociférer en plateau contre cet affront in-to-lé-rable à la laïcité (au lieu de faire interdire cette abo­mi­na­tion visuelle que sont les Crocs), empêché·es de se rincer l’œil gratos ou bien galvanisé·es par cette mission civi­li­sa­trice typique du white saviorism (il faut sauver les femmes musul­manes !) ou du white sarkozysm (il faut sauver la France !). Disons-le tout net : le burkini est une mani­fes­ta­tion de l’islam et la France n’en veut pas. Ni de l’islam, ni de ses signes. La France ne veut ni foulard, ni mosquée, ni barbus, ni bou­che­ries halal, ni djellabas, sauf celles que Jean-Mi de la compta ramène de Marrakech.

On renvoie des fillettes de 8 ans à la maison car leur débardeur trou­ble­rait les garçons. On expulse des femmes voilées ou en burkini parce qu’elles trou­ble­raient l’ordre public. Qu’est-ce qui empêchera, demain, l’État de légiférer sur d’autres vêtements ? De décider que les jupes à mi-cuisse ou les talons aiguilles sont une atteinte au vivre-ensemble ? Aujourd’hui, le burkini ; demain, le col roulé ? Après-demain… le mini-short ?!

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