Qu’est-ce qu’on trouve de temps en temps sur les côtes françaises, qui est parfaitement inoffensif, mais qui obnubile la classe politique tous les étés depuis quinze ans ? Perdu ! Il ne s’agit ni du requin-pèlerin, ni des touristes anglais sans coups de soleil, mais du burkini, cette version estivale du signe extérieur d’islamité féminine, un vêtement de bain que presque personne ne porte, mais qui radicalise nos élu·es, ravi·es de pouvoir débattre du voile senteur monoï même pendant les vacances scolaires.
Mot-valise déposé en 2006 par Aheda Zanetti, styliste australienne d’origine libanaise, le burkini – qu’il conviendrait mieux d’appeler djilbab de bain, puisqu’il ne couvre pas le visage, contrairement à la burqa – est, depuis 2009, dans le viseur de nombreuses municipalités françaises qui tentent de l’interdire sur leurs plages, quand ce n’est pas le Conseil d’État qui empêche les piscines grenobloises d’en autoriser l’usage.
Peur d’être agressée
Chaque été ou presque, donc, des communes expulsent des femmes ayant l’audace de ne pas faire trempette cuisses et bras à l’air car elles troubleraient l’ordre (ré)public(ain). Personnellement, je suis davantage troublée par les retraité·es cramé·es comme des merguez qui délocalisent leur salon sur la plage en écoutant très fort Rire et Chansons, ou bien par ce sondage Ifop, publié en 2021, qui nous apprend que la moitié des femmes de moins de 25 ans ne bronze pas topless par peur d’être agressées physiquement ou sexuellement, de subir les œillades lubriques des hommes, ou d’être prises en photo et se retrouver seins nus sur les réseaux sociaux.
Mais donc, le burkini. Quatre consonnes et trois voyelles prétendument devenues le symbole d’un « projet politique de contre-société fondé sur l’asservissement de la femme », dixit Manuel Valls – dont on préférerait qu’il prenne lui aussi un peu de vacances, et très loin – qui nous gratifie là d’une définition impeccable du… patriarcat. Est-ce qu’on entend nos élu·es et intellos de droite déplorer les injonctions à la minceur, la jeunesse ou la glabreté que les femmes subissent toute l’année ? A‑t-on jamais vu Éric Ciotti condamner les pubs Bodyminute ? Alain Finkielkraut fustiger les routines skincare coréennes en 28 étapes ? Le summer body des femmes n’intéresse les uns que lorsqu’ils ne peuvent plus le voir, tandis que les autres confondent « émancipation » et contrôle du corps des femmes. Oui parce que, petit rappel, en passant : nous vivons dans un État de droit, et les Françaises ont conquis de haute lutte la liberté de se vêtir comme bon leur semble. Autrefois interdites de pantalons au nom de la « différence des sexes », nous serions désormais – selon ces messieurs – obligées de nous soumettre à une fashion police obsédée par l’islam, dont le projet assimilationniste passerait par le port obligatoire du maillot de bain (tous égaux, tous en maillot ?).
« Le Summer Body des femmes ne les intéressent que lorsqu’ils ne peuvent plus le voir. »
Empêché·es de se rincer l’œil
Alors, entre deux définancements d’associations féministes et une distribution de redoutables flyers anti-agressions sexuelles, elles et ils n’oublient pas de mettre leur réveil sur islam’o’clock pour vociférer en plateau contre cet affront in-to-lé-rable à la laïcité (au lieu de faire interdire cette abomination visuelle que sont les Crocs), empêché·es de se rincer l’œil gratos ou bien galvanisé·es par cette mission civilisatrice typique du white saviorism (il faut sauver les femmes musulmanes !) ou du white sarkozysm (il faut sauver la France !). Disons-le tout net : le burkini est une manifestation de l’islam et la France n’en veut pas. Ni de l’islam, ni de ses signes. La France ne veut ni foulard, ni mosquée, ni barbus, ni boucheries halal, ni djellabas, sauf celles que Jean-Mi de la compta ramène de Marrakech.
On renvoie des fillettes de 8 ans à la maison car leur débardeur troublerait les garçons. On expulse des femmes voilées ou en burkini parce qu’elles troubleraient l’ordre public. Qu’est-ce qui empêchera, demain, l’État de légiférer sur d’autres vêtements ? De décider que les jupes à mi-cuisse ou les talons aiguilles sont une atteinte au vivre-ensemble ? Aujourd’hui, le burkini ; demain, le col roulé ? Après-demain… le mini-short ?!
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