Jusqu’à la loi du 18 novembre 2016, le changement d’état civil des personnes trans, en France, était soumis à un accord médical. Il était nécessaire d’avoir été opéré·e et de prouver que le changement de genre était irréversible. Désormais, il revient aux juges des tribunaux judiciaires de décider si une personne trans peut changer son état civil. Les requérant·es doivent prouver que leur genre ne correspond pas à celui inscrit sur leurs documents d’identité.
Comment expliquer le retard français en matière de droits des personnes trans ?
Ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est que la façon dont on prend en charge les personnes trans en France vient du médical. On a été étiqueté·es comme folles et fous pendant des années. Avec la loi de 2016, les psychiatres ont perdu un peu de marge de manœuvre, et, désormais, ce sont les juges qui ont pris le relais et peuvent accepter ou non la demande de changement de sexe à l’état civil.L’autodétermination n’a jamais été un sujet dans notre pays. La loi de 2016 a d’ailleurs été adoptée uniquement parce que la France avait été condamnée par la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) sur la question du respect de la vie privée des personnes à qui l’on demandait des preuves médicales pour changer d’état civil. Aujourd’hui, on a une approche des parcours trans, certes moins misérabiliste, mais toujours avec cette même idée que « les pauvres personnes trans » doivent être « soignées » et qu’il « faut leur accorder des droits ». La question de l’autodétermination, la question de la liberté à disposer de son corps sont des principes fondamentaux, et, qui plus est, féministes. Et c’est à travers eux qu’il faut aborder les droits des personnes trans si l’on veut voir une réelle évolution.
LA FRANCE REFUSE, PAR PRINCIPE, L’AUTODÉTERMINATION DES PERSONNES, SURTOUT QUAND ELLES SONT ISSUES DES MINORITÉS DE GENRE.
Pourtant, nulle part dans la société, ces principes ne sont appliqués par l’État français. Par exemple, pour l’accès à l’IVG, il existe encore une clause de conscience des médecins. Et sur la question du travail du sexe, on a préféré faire des prostituées des victimes à protéger plutôt que de leur permettre d’exercer leur profession dans de bonnes conditions. La France continue, par principe, de refuser l’autodétermination des personnes, en particulier quand elles sont issues des minorités de genres.
Par principe ? Qu’entendez-vous par là ?
En France, c’est l’État qui statue pour dire comment tu dois t’habiller, quelles opérations tu dois subir et comment tu dois te comporter pour obtenir [devant la justice] un changement d’état civil. Par exemple, il est parfois demandé aux personnes trans d’entrer dans des stéréotypes de genre pour que leur transition soit jugée favorablement.
Mais encore une fois, ce n’est pas seulement pour les personnes trans. Toute la société est basée là-dessus. L’État s’octroie le droit de savoir ce que chaque personne peut faire ou non de son corps.
Pourrait-on imaginer que l’évolution de la loi en Espagne fasse évoluer le droit en France ?
Ce que l’on voit en France, c’est plutôt un retour à la médicalisation des identités, à travers l’épouvantail de l’accès aux traitements hormonaux des mineur·es. En Espagne, même s’il y a eu des discours anti-trans très virulents au moment du vote de la loi, le gouvernement n’a pas laissé passer ces propos [la ministre de l’Égalité, Irene Montero, est montée au créneau, devant le Congrès, pour défendre les personnes trans]. Je pense que l’Espagne est un exemple à étudier dans le détail. Je considère la France plus proche du modèle anglais, où la question de la médicalisation est centrale. Les mouvements transphobes réactionnaires viennent de façon classique de la droite, mais aussi de cette fausse gauche qui se veut républicaine et universaliste. Je pense notamment à l’amendement déposé par la députée Aurore Bergé (Renaissance) pour exclure les hommes trans de l’inscription de l’accès à l’IVG dans la Constitution.
Que changerait, dans les parcours trans, l’accès à l’autodétermination ?
Les procédures de changement d’état civil sont longues et éreintantes ; elles suivent des protocoles très précis. Ce changement de paradigme permettrait la reconnaissance de la notion de bien-être dans les transitions, en remplacement de toute la souffrance endurée actuellement. Quand on parle de changement à l’état civil, on parle certes du changement des papiers d’identité, mais aussi de tous les autres documents officiels et notamment de la carte Vitale. Le décalage entre le genre vécu au quotidien et ce qui est noté sur ces documents entraîne très régulièrement des ruptures de droits sociaux, des refus de soins, des refus de prise en charge médicale. C’est pour ça que l’autodétermination, pour de vrai, changerait tout. Dans l’accès aux soins et aux droits des personnes trans.
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