Droits des personnes trans : le retard français

En février 2023, l’Espagne a adopté une loi per­met­tant aux personnes trans de changer d’état civil sur simple décla­ra­tion admi­nis­tra­tive. Une avancée majeure, sur le modèle de ce qui a déjà été proposé en Écosse, dont la France semble encore très loin. À l’occasion de la Journée inter­na­tio­nale de visi­bi­li­té trans­genre, La Déferlante a demandé à Simon Jutant, codi­rec­teur de l’association Acceptess‑T quelles étaient les raisons du retard français.
Publié le 31 mars 2023
Le 16 février 2023, le Parlement espagnol adoptait la « loi d'égalité réelle et effective des personnes trans ».
Manifestation devant le Ministère de l’Égalité espagnol.

Jusqu’à la loi du 18 novembre 2016, le chan­ge­ment d’état civil des personnes trans, en France, était soumis à un accord médical. Il était néces­saire d’avoir été opéré·e et de prouver que le chan­ge­ment de genre était irré­ver­sible. Désormais, il revient aux juges des tribunaux judi­ciaires de décider si une personne trans peut changer son état civil. Les requérant·es doivent prouver que leur genre ne cor­res­pond pas à celui inscrit sur leurs documents d’identité.

Comment expliquer le retard français en matière de droits des personnes trans ?

Ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est que la façon dont on prend en charge les personnes trans en France vient du médical. On a été étiqueté·es comme folles et fous pendant des années. Avec la loi de 2016, les psy­chiatres ont perdu un peu de marge de manœuvre, et, désormais, ce sont les juges qui ont pris le relais et peuvent accepter ou non la demande de chan­ge­ment de sexe à l’état civil.L’autodétermination n’a jamais été un sujet dans notre pays. La loi de 2016 a d’ailleurs été adoptée uni­que­ment parce que la France avait été condamnée par la Cour euro­péenne des Droits de l’homme (CEDH) sur la question du respect de la vie privée des personnes à qui l’on demandait des preuves médicales pour changer d’état civil. Aujourd’hui, on a une approche des parcours trans, certes moins misé­ra­bi­liste, mais toujours avec cette même idée que « les pauvres personnes trans » doivent être « soignées » et qu’il « faut leur accorder des droits ». La question de l’autodétermination, la question de la liberté à disposer de son corps sont des principes fon­da­men­taux, et, qui plus est, fémi­nistes. Et c’est à travers eux qu’il faut aborder les droits des personnes trans si l’on veut voir une réelle évolution.

LA FRANCE REFUSE, PAR PRINCIPE, L’AUTODÉTERMINATION DES PERSONNES, SURTOUT QUAND ELLES SONT ISSUES DES MINORITÉS DE GENRE.

Pourtant, nulle part dans la société, ces principes ne sont appliqués par l’État français. Par exemple, pour l’accès à l’IVG, il existe encore une clause de conscience des médecins. Et sur la question du travail du sexe, on a préféré faire des pros­ti­tuées des victimes à protéger plutôt que de leur permettre d’exercer leur pro­fes­sion dans de bonnes condi­tions. La France continue, par principe, de refuser l’autodétermination des personnes, en par­ti­cu­lier quand elles sont issues des minorités de genres.

Le 16 février 2023, le Parlement espagnol adoptait la « loi d'égalité réelle et effective des personnes trans ».

Le 16 février 2023, le Parlement espagnol adoptait la « loi d’égalité réelle et effective des personnes trans ». Crédit photo : Ministère de l’Égalité espagnol.

Par principe ? Qu’entendez-vous par là ?

En France, c’est l’État qui statue pour dire comment tu dois t’habiller, quelles opé­ra­tions tu dois subir et comment tu dois te comporter pour obtenir [devant la justice] un chan­ge­ment d’état civil. Par exemple, il est parfois demandé aux personnes trans d’entrer dans des sté­réo­types de genre pour que leur tran­si­tion soit jugée favorablement.

Mais encore une fois, ce n’est pas seulement pour les personnes trans. Toute la société est basée là-dessus. L’État s’octroie le droit de savoir ce que chaque personne peut faire ou non de son corps.

Pourrait-on imaginer que l’évolution de la loi en Espagne fasse évoluer le droit en France ?

Ce que l’on voit en France, c’est plutôt un retour à la médi­ca­li­sa­tion des identités, à travers l’épouvantail de l’accès aux trai­te­ments hormonaux des mineur·es. En Espagne, même s’il y a eu des discours anti-trans très virulents au moment du vote de la loi, le gou­ver­ne­ment n’a pas laissé passer ces propos [la ministre de l’Égalité, Irene Montero, est montée au créneau, devant le Congrès, pour défendre les personnes trans]. Je pense que l’Espagne est un exemple à étudier dans le détail. Je considère la France plus proche du modèle anglais, où la question de la médi­ca­li­sa­tion est centrale. Les mou­ve­ments trans­phobes réac­tion­naires viennent de façon classique de la droite, mais aussi de cette fausse gauche qui se veut répu­bli­caine et uni­ver­sa­liste. Je pense notamment à l’amendement déposé par la députée Aurore Bergé (Renaissance) pour exclure les hommes trans de l’inscription de l’accès à l’IVG dans la Constitution.

Que chan­ge­rait, dans les parcours trans, l’accès à l’autodétermination ?

Les pro­cé­dures de chan­ge­ment d’état civil sont longues et érein­tantes ; elles suivent des pro­to­coles très précis. Ce chan­ge­ment de paradigme per­met­trait la recon­nais­sance de la notion de bien-être dans les tran­si­tions, en rem­pla­ce­ment de toute la souf­france endurée actuel­le­ment. Quand on parle de chan­ge­ment à l’état civil, on parle certes du chan­ge­ment des papiers d’identité, mais aussi de tous les autres documents officiels et notamment de la carte Vitale. Le décalage entre le genre vécu au quotidien et ce qui est noté sur ces documents entraîne très régu­liè­re­ment des ruptures de droits sociaux, des refus de soins, des refus de prise en charge médicale. C’est pour ça que l’autodétermination, pour de vrai, chan­ge­rait tout. Dans l’accès aux soins et aux droits des personnes trans.

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