Féministes qui fait le ménage chez vous ?

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Pour lutter contre une répartition encore très inégalitaire des tâches à l’intérieur du foyer hétérosexuel, les femmes qui en ont les moyens font souvent appel à une femme de ménage, quitte à mettre de côté leurs principes féministes et leur idéal d’émancipation collective. Car cette profession est mal rémunérée et l’isolement des travailleuses qui la pratiquent rend difficiles les mobilisations sociales.

Ce soir-là, Maria Ferreira (1) repasse les che­mises de l’un·e de ses onze patron·nes, chez elle, en regar­dant une série en por­tu­gais sur une chaîne bré­si­lienne. Femme de ménage en région pari­sienne, elle a com­men­cé sa jour­née de tra­vail à 8 h 30. Il est 22 heures et son fils Lucas, col­lé­gien, l’écoute égre­ner son emploi du temps, assis sur le cana­pé. Maria Ferreira passe sou­vent dix heures par jour au domi­cile de ses employeur·euses. Lucas n’en revient pas : « Tu passes toute ta vie chez tes patrons en fait ! Comment tu fais ? Moi si j’ai cinq heures de cours, je suis crevé. »

En une jour­née, Maria Ferreira a tra­vaillé dans trois endroits dif­fé­rents: quatre heures de ménage chez l’un·e, puis deux et quatre heures chez les deux autres. Hiver comme été, elle se rend en scoo­ter à leurs domi­ciles res­pec­tifs, situés dans dif­fé­rentes com­munes. Elle ne prend jamais le temps de faire un vrai repas le midi. Et, presque chaque jour, elle rentre chez elle avec un sac de linge à repasser.

Maria Ferreira, qui vit dans les Hauts-de- Seine, n’a pas eu de mal à trou­ver des heures de ménage par le bouche-à-oreille. Aujourd’hui, elle en refuse régu­liè­re­ment. Dans un dépar­te­ment où les reve­nus sont par­mi les plus éle­vés en France, les employeur·euses potentiel·les sont nombreux·ses. Mais cette forte demande locale est éga­le­ment moti­vée par « des temps de trans­port domicile-travail plus longs, et aus­si une fré­quence plus impor­tante de couples dans les­quels les deux parents tra­vaillent », selon une étude publiée en 2019 par l’Insee.

LE STATUT DE MÉNAGÈRE RESTE À LA PORTE DE L’ENTREPRISE

De fait, les agences qui vendent à des particulier·es les fameux « ser­vices à la per­sonne » (tels que le ménage, la garde d’enfants à domi­cile ou le jar­di­nage) insistent sur le temps qu’ils et elles vont ain­si gagner. « Entre le tra­vail, les enfants et les courses, la femme moderne n’a plus vrai­ment le temps de s’occuper des tâches ména­gères », constate ain­si le site Topissimo, qui liste les cinq meilleurs sites sus­cep­tibles d’aider à « trou­ver une femme de ménage pour vous déles­ter de ces charges ».

Le com­bat des fémi­nistes dans les années 1980 et 1990 a notam­ment por­té sur le tra­vail. Elles ont com­bat­tu les inéga­li­tés sala­riales et dénon­cé le pla­fond de verre, cette com­bi­nai­son de freins invi­sibles qui empêchent les femmes d’accéder aux plus hautes res­pon­sa­bi­li­tés dans le monde éco­no­mique. Mais en inves­tis­sant le mar­ché du tra­vail, la « femme moderne » a dû lais­ser à la porte de l’entreprise (ou feindre de lais­ser) tout ce qui pour­rait rap­pe­ler son ancien sta­tut de ména­gère. Une pos­ture qu’incarne par­fai­te­ment Sheryl Sandberg, numé­ro 2 de Facebook, dans son best-seller En avant toutes publié en 2013. « D’après elle, il suf­fit d’être déter­mi­née et impas­sible face aux exi­gences du foyer pour se faire une place dans les plus hautes sphères diri­geantes », résume la jour­na­liste Jordan Kisner dans un article du New York Times paru en juillet 2021.

QUAND LES FÉMINISTES DEVIENNENT PATRONNES

Pour autant, la par­ti­ci­pa­tion désor­mais mas­sive des femmes au mar­ché du tra­vail ne s’est pas accom­pa­gnée d’une redé­fi­ni­tion des rôles au sein du couple. Aujourd’hui, en France, les hommes vivant en couple effec­tuent en moyenne 1 heure 17 de tra­vail domes­tique par jour contre 2 heures 59 pour les femmes, et l’arrivée des enfants vient encore creu­ser cet écart. C’est le constat éta­bli en 2010 par la der­nière enquête de l’Insee sur ce sujet (2) : « Le taux de recours à une aide ména­gère rému­né­rée a aug­men­té de 2,5 points [entre 1999 et 2010] pour s’établir à 12 % de la popu­la­tion. » Quand l’inégale répar­ti­tion du tra­vail domes­tique fait l’objet de conflits, il arrive que cela se solde, chez celles et ceux qui en ont les moyens, par le recours à une femme de ménage.

Que se passe-t-il alors si la patronne est fémi­niste et sou­cieuse d’améliorer la situa­tion des femmes au sein de la socié­té ? Comment appréhende-t-elle le fait de confier des tâches peu valo­ri­sées à une femme en moins bonne pos­ture sociale qu’elle ? Maîtresse de confé­rences en psy­cho­lo­gie, Pascale Molinier a recueilli en 2009 les témoi­gnages de femmes fémi­nistes employant des femmes de ménage. Leur idéal serait de ne pas exploi­ter le tra­vail d’une autre, mais elles se retrouvent employeuses de femmes venant de pays plus pauvres que la France. Si elles ont le sou­hait de créer un lien avec ces femmes dont elles recon­naissent le tra­vail, elles vou­draient dans le même temps que le ménage soit fait de la manière la plus dis­crète pos­sible : en leur absence, sans chan­ger la place des choses et de pré­fé­rence sans qu’elles aient à faire la liste les tâches à effec­tuer. « Le recours à une femme de ménage afin d’éviter la scène de ménage par­ti­cipe d’un dépla­ce­ment qui per­met de tenir la pos­ture fémi­niste dans un fémi­nisme indi­vi­dua­liste, mais sans chan­ge­ment social, en main­te­nant une culture qui conti­nue de favo­ri­ser les hommes et implique une réserve de main- d’œuvre fémi­nine non qua­li­fié (3) », observe Pascale Molinier. En bref : des femmes de ménage se retrouvent à faire du tra­vail domes­tique à lon­gueur de jour­née sans que cela règle véri­ta­ble­ment le pro­blème de la répar­ti­tion gen­rée des charges au sein du foyer.

UN TRAVAIL NON RECONNU À SA JUSTE VALEUR

Ce constat n’est pas nou­veau. Depuis les années 1970, Silvia Federici, phi­lo­sophe et mili­tante fémi­niste, dénonce la déva­lo­ri­sa­tion du tra­vail domes­tique, aus­si défi­ni comme « tra­vail repro­duc­tif ». Majoritairement effec­tué par les femmes, il com­prend toutes les tâches qui per­mettent de créer et de main­te­nir la vie. Changer la couche d’un bébé, accom­pa­gner une per­sonne âgée à un rendez-vous médi­cal, mettre un goû­ter dans le car­table, faire des les­sives… Tout ce tra­vail invi­sible consti­tue le « pilier de toutes les acti­vi­tés éco­no­miques, car il pro­duit de la force de tra­vail, la capa­ci­té des gens à tra­vailler ; en bref, il pro­duit des travailleurs/ses (4) ». Notre socié­té ne recon­naît pas ce tra­vail à sa juste valeur, qu’il soit effec­tué de manière rému­né­rée (par des femmes de ménage) ou pas (5).

Pour amor­cer un réel chan­ge­ment, il fau­drait que toutes les femmes admettent que ce sont elles qui prennent en charge l’essentiel du tra­vail domes­tique : « Malheureusement, explique Federici, beau­coup de femmes ne veulent pas se rendre compte qu’elles sont aus­si des ména­gères […]. Tant que nous pen­se­rons que nous sommes un peu mieux que des ména­gères, un peu dif­fé­rentes d’elles, nous accep­te­rons la logique du maître, qui est une logique de divi­sion (6). » Féministes, femmes et femmes de ménage : même combat.

Maria Ferreira pré­fère ce tra­vail à d’autres. Quand elle est arri­vée en France il y a 13 ans, elle a d’abord été employée comme gar­dienne d’im­meuble, puis par une entre­prise de net­toyage, et enfin par une asso­cia­tion de ser­vices à domi­cile. Elle a fina­le­ment déci­dé de se mettre à son compte comme femme de ménage, en deman- dant à être payée 12 euros de l’heure en chèques emploi ser­vice uni­ver­sels (CESU). Ce dis­po­si­tif per­met à ses employeur·euses de béné­fi­cier d’un cré­dit d’impôt qui s’élève à 50 % du salaire net et des coti­sa­tions sociales payées dans l’année, une mesure gou­ver­ne­men­tale qui favo­rise le déve­lop­pe­ment des ser­vices à la per­sonne et vise à lut­ter contre le tra­vail au noir (7).

Vivant seule avec ses enfants, Maria Ferreira a gagné son auto­no­mie finan­cière. Sans ce tra­vail, aurait-elle pu se sépa­rer de son mari ? Son acti­vi­té « est très dure phy­si­que­ment » mais elle est utile. Maria Ferreira se dit fière de bien le faire et tire une cer­taine satis­fac­tion de toutes les demandes d’emploi aux­quelles elle ne peut pas tou­jours répondre. Elle entre­tient de bons rap­ports avec ses patron·nes, consi­dère certain·es « comme sa famille ». Chez la plu­part, elle dis­pose d’une auto­no­mie impor­tante, elle « fait ce qu’il y a à faire » sans qu’ils et elles lui donnent une liste de tâches à effectuer.

L’une de ses employeuses la sur­nomme sou­vent « l’ouragan» pour van­ter son effi­ca­ci­té, répé­tant volon­tiers ce com­pli­ment ambi­gu : « Je ne sais pas com­ment vous faites ! » La réponse de Maria « Moi non plus ! » tient dans le sac de phar­ma­cie sur la table de sa salle à man­ger : « Je prends trois Doliprane par jour sinon je ne tiens pas. » La veille, elle n’en avait pas pris et elle avait des ver­tiges, voyait des points lumineux.

Comment le quo­ti­dien de Maria Ferreira pourrait-il s’améliorer ? Il fau­drait déjà qu’elle puisse tra­vailler moins, sans que son salaire dimi­nue. Pour qu’elle y par­vienne, l’un de ses fils est en train de mon­ter une entre­prise de ser­vices à la per­sonne (avec l’aide béné­vole d’un des patrons de sa mère). Pour l’instant, il réa­lise lui-même trente heures de ménage qu’il fera faire à terme à un·e employé·e qu’il espère recru­ter rapi­de­ment. « Ma mère n’aura plus qu’à le ou la for­mer et à véri­fier si c’est bien fait », explique-t-il.

« VOS REVENDICATIONS SONT JUSTES, D’INTÉRÊT GÉNÉRAL »

Au-delà de cette solu­tion indi­vi­duelle qui consiste aus­si à repor­ter les tâches sur une autre per­sonne, quels chan­ge­ments col­lec­tifs envi­sa­ger ? La mobi­li­sa­tion est com­pli­quée pour les femmes de ménage. Maria Ferreira par exemple n’a pas de col­lègues. Traitant direc­te­ment avec chacun·e de ses employeur·euses, elle ne sait même pas à quelle autre femme de ménage « don­ner » les heures de tra­vail qu’on lui pro­pose qu’elle est dans l’impossibilité d’effectuer.

Malgré tout, depuis plu­sieurs années, en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, des femmes de ménage qui tra­vaillent dans des hôtels mènent des grèves longues mais victo- rieuses, sou­vent accom­pa­gnées par deux syn- dicats: la CGT-HPE et la CNT-SO (8). En juin 2021, après 22 mois de grève, les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris ont obte­nu la reva­lo­ri­sa­tion de leur salaire et de meilleures condi­tions de tra­vail (9). Dans les hôtels mar­seillais Appart City Euromed et Villa Massalia, les femmes de ménage employées par une socié­té sous-traitante ont fini par être embau­chées direc­te­ment par l’hôtel, ce qui leur per­met désor­mais de tra­vailler dans un cadre col­lec­tif. Chez les aides à domi­cile, qui tra­vaillent auprès de per­sonnes âgées en perte d’autonomie, la colère gronde éga­le­ment, ravi­vée par la crise sani­taire. Si leur acti­vi­té peut com­prendre une part de ménage, elles pré­cisent sou­vent : « On n’est pas des femmes de ménage.» Le point com­mun entre ces deux métiers est qu’ils entrent dans le lot de ces emplois fémi­ni­sés déva­lo­ri­sés parce qu’on consi­dère qu’ils feraient appel à des com­pé­tences « natu­relles » et non à de véri­tables qualifications. 

Le 23 sep­tembre 2021, elles sont une qua­ran­taine d’aides à domi­cile à se ras­sem­bler place Jean-Jaurès à Saint-Étienne à l’appel de la CGT. Sylvie, 58 ans, décrit des jour­nées de tra­vail « inter­mi­nables ». Une aide à domi­cile est en moyenne pré­sente cinq heures par jour auprès de per­sonnes âgées. Mais cette durée s’étale sur une ampli­tude horaire consa­crée au tra­vail de 7 heures et 15 minutes en moyenne. Sachant que les tra­jets et temps morts entre les inter­ven­tions ne sont pas payés, à la fin du mois, le salaire moyen dépasse à peine 900 euros.

Au milieu des dra­peaux syn­di­caux et des auto­col­lants rouges « Aides à domi­cile révol­tées » col­lés sur les man­teaux ou sur les sacs à main, Mireille Carrot prend le micro. Soignante en Ehpad et pilote du col­lec­tif Aides à domi­cile de la CGT, elle encou­rage les mani­fes­tantes : « Votre mobi­li­sa­tion est essen­tielle, comme vous. Vos reven­di­ca­tions sont justes, elles sont d’intérêt géné­ral. Elles vous concernent vous et la qua­li­té des soins que vous déli­vrez. » Elle rap­pelle les reven­di­ca­tions : reva­lo­ri­sa­tion immé­diate des car­rières et des salaires « à hau­teur de l’utilité publique de vos métiers », meilleures condi­tions de tra­vail, recru­te­ment mas­sif, amé­lio­ra­tion de toutes les garan­ties col­lec­tives et créa­tion d’un grand ser­vice d’aide publique à la personne.

LES DOMICILES, DES ESPACES NON RÉGLEMENTÉS

La crise sani­taire a fait prendre conscience de l’importance de ces pro­fes­sions pla­cées « en pre­mière ligne » et du peu de consi­dé­ra­tion des pou­voirs publics à leur égard. De nom­breuses voix se sont aus­si éle­vées pen­dant les périodes de confi­ne­ment pour sou­li­gner l’inégale répar­ti­tion du tra­vail domes­tique au sein des couples hété­ro­sexuels et appe­ler à recon­naître qu’il consti­tue un tra­vail en soi. De fait, les femmes cadres tâtonnent pour savoir com­ment limi­ter leur « charge men­tale »… sans pour autant sou­te­nir les reven­di­ca­tions de « leur » femme de ménage. Faut-il, comme le font cer­taines fémi­nistes, prô­ner la sup­pres­sion des métiers de ser­vices à la per­sonne en pré­co­ni­sant la prise en charge de ces tâches par les ménages eux-mêmes (10). Mais quel est le péri­mètre des tâches en ques­tion ? Est-ce pro­duire sa nour­ri­ture (et évi­ter aux sala­riés des abat­toirs de devoir tuer des ani­maux à lon­gueur de jour­née) ? Coudre ses habits (et sol­der ain­si le pro­blème des condi­tions de tra­vail des ouvrier·es du tex­tile au Bangladesh) ? S’occuper de ses enfants jusqu’au CP (et sou­la­ger ain­si le bud­get de l’Éducation natio­nale) ? Si tous ces emplois dis­pa­rais­saient du champ du tra­vail rému­né­ré, gageons que ce serait essen­tiel­le­ment des femmes qui en assu­re­raient la charge bénévolement.

Mais sur­tout, cette pro­po­si­tion paraît décon­nec­tée de la réa­li­té des pre­mières concer­nées, explique la socio­logue Christelle Avril, autrice de Les aides à domi­cile: un autre monde popu­laire (La Dispute, 2014). Femmes de ménage et aides à domi­cile « se sont éman­ci­pées par le tra­vail et elles y tiennent beau­coup. De leur point de vue, par­ler de sup­pri­mer leur tra­vail, c’est assez cho­quant. » Pour que la vie des femmes de ménage s’améliore, mieux vaut par­tir de leur situa­tion actuelle. Le sec­teur est encore régi par un « sous-droit du tra­vail », pointe la cher­cheuse. « Les domi­ciles de par­ti­cu­liers ne consti­tuent pas des lieux de tra­vail au sens habi­tuel du terme. Ils ne sont donc sou­mis à aucune régle­men­ta­tion et ne peuvent faire l’objet d’une inspection. »

Une solu­tion pour que les femmes de ménage et aides à domi­cile puissent se faire entendre serait qu’elles nouent des alliances inter­pro­fes­sion­nelles. Entre 2008 et 2011, afin d’obtenir leur régu­la­ri­sa­tion, des mil­liers de tra­vailleurs sans-papiers – des hommes – ont fait grève en  occu­pant leur lieu de tra­vail : les ouvriers du bâti­ment ont occu­pé leurs chan­tiers ; les cui­si­niers, leur res­tau­rant ; les inté­ri­maires, leur agence de pla­ce­ment. Mais impos­sible pour les aides et gardes d’enfants à domi­cile ou les femmes de ménage de faire la même chose au domi­cile d’un·e particulier·e employeur·euse. Un accord avait alors été conclu entre les gré­vistes et les femmes ras­sem­blées au sein de l’association Femmes Égalité. Tandis qu’ils fai­saient pres­sion en blo­quant des lieux, elles conti­nuaient à tra­vailler et leur don­naient une par­tie de leur salaire. Après des mois de luttes, les un·es et les autres avaient pu obte­nir leur régularisation.

SORTIR CE TRAVAIL DE LA SPHÈRE MARCHANDE

Christelle Avril évoque éga­le­ment une autre piste de mobi­li­sa­tion: « Au milieu des années 1980, il y a eu des mobi­li­sa­tions conjointes d’aides à domi­cile et de retraité·es. Les retraité·es ont un pou­voir éco­no­mique et social qui pour­rait redon­ner du poids aux reven­di­ca­tions des aides à domi­cile et les aider à se faire entendre. » De son côté, Silvia Federici prône une « poli­tique des com­muns ». Pour elle, nous devons sor­tir ce tra­vail, pan par pan, de la sphère mar­chande pour le mettre en com­mun et enri­chir les rap­ports entre nous. Elle cite en exemple les come­dores popu­lares (cui­sines col­lec­tives) d’Amérique du Sud où hommes et femmes cui­sinent ensemble des cen­taines de repas à tour de rôle. Pour Federici, cela per­met de faire en sorte que le tra­vail repro­duc­tif ne soit plus syno­nyme d’isolement, qu’il devienne agréable et convi­vial. La créa­tion de com­muns pro­duit « une expé­rience rare et forte, celle d’appartenir à un ensemble qui dépasse notre indi­vi­dua­li­té, celle d’habiter le monde non pas comme un étran­ger ou un intrus – car c’est l’impression que veut nous impo­ser le capi­ta­lisme dans les espaces que nous occu­pons – mais comme notre foyer », explique-t-elle dans une inter­view récente (11).

Cependant, si nous conti­nuons à tra­vailler 10 heures par jour (Maria Ferreira comme ses patron·nes), nous n’avons pas le temps et la dis­po­ni­bi­li­té d’esprit pour réflé­chir à la réor­ga­ni­sa­tion de nos vies. Finalement, la révo­lu­tion que pro­pose Silvia Federici nous conduit donc à repen­ser notre temps de tra­vail. Il est urgent de le réduire.

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(1) L’Insee ne four­nit pas de chiffres plus récents sur le sujet.
(2) L’Insee ne four­nit pas de chiffres plus récents sur le sujet.
(3) Pascale Molinier, « Des fémi­nistes et de leurs femmes de ménage: entre réci­pro­ci­té du care et sou­hait de déper­son­na­li­sa­tion », Multitudes, 2009.
(4) Silvia Federici, « Du “salaire au tra­vail ména­ger” à la poli­tique des com­muns », Travail, Genre et Sociétés, n° 46, 2021.
(5) Lire éga­le­ment le débat « Faut-il rému­né­rer le tra­vail domes­tique ? » de La Déferlante n° 2.
(6) Silvia Federici, « Salaire contre tra­vail ména­ger », texte de 1975 paru en fran­çais dans le recueil Le Foyer de l’insurrection édi­té par le col­lec­tif fémi­niste L’Insoumise à Genève en 1977.
(8) La CGT Hôtels de pres­tige et éco­no­miques défend les salarié·es des entre­prises sous-traitantes dans l’hôtellerie. La CNT Solidarité ouvrière est un syn­di­cat pré­sent dans le sec­teur du nettoyage.
(9) Lire aus­si l’interview de la cher­cheuse Saphia Doumenc dans la news­let­ter de La Déferlante du 9 juillet 2021 consul­table sur notre site revueladeferlante.fr, ain­si que le por­trait de Rachel Keke dans le n° 3 de notre revue.
(10) Lire par exemple François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, Du balai. Essai sur le ménage à domi­cile et le retour de la domes­ti­ci­té, Raisons d’agir, 2011.
(11) Article de Jordan Kisner publié dans le New York Times Magazine en février 2021, repris dans Courrier inter­na­tio­nal en mars 2021 sous le titre « Silvia Federici, le tra­vail ména­ger et le “capi­ta­lisme patriarcal”».

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Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°5, de mars 2021. La Déferlante est une revue trimestrielle indépendante consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.