À quand un musée des féminismes en France ?

Malgré les promesses d’hommes et de femmes poli­tiques de gauche comme de droite depuis vingt-cinq ans, aucun musée de l’histoire des femmes n’a encore vu le jour en France. Une version recentrée sur les fémi­nismes pourrait ouvrir à Angers, mais pas avant 2030. Pourquoi un tel retard ? Enquête sur presque trois décennies d’enlisement.
Publié le 27 janvier 2025
illustration Camille Jacquelot pour La Déferlante Illustratrice de presse. Son travail est surtout porté par les questions écologiques et sociales.
Camille Jacquelot pour La Déferlante

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°17 Travailler, parue en février 2025. Consultez le sommaire.

C’est une expo­si­tion attendue de longue date. De la marche des femmes sur Versailles en octobre 1789 au défilé du 8 mars 1978 à Madrid, on y verra deux siècles de mani­fes­ta­tions féministes. 

Avec l’exposition « Les femmes sont dans la rue ! Révolte, sub­ver­sion, éman­ci­pa­tion », du 27 février au 22 juin 2025 au cœur de la Bibliothèque uni­ver­si­taire (BU) Belle-Beille à Angers (Maine-et-Loire), l’Association pour un musée des fémi­nismes (AFéMuse) espère poser la première brique, solide et pérenne, du musée pour lequel elle œuvre. 

Christine Bard, enseignante-chercheuse en histoire, angevine, à l’origine du projet, veut y croire : « Cette expo­si­tion, comme ce musée, montrera les enjeux poli­tiques, sociaux, culturels contem­po­rains et his­to­riques qui ont façonné et façonnent encore l’émancipation des femmes. » L’ouverture du musée a été annoncée pour 2027, mais toute date paraît incer­taine tant le projet semble aussi peu soutenu poli­ti­que­ment que financièrement.eto

Retour en janvier 2021 : la BU Belle-Beille se voit accorder une enveloppe de 9,8 millions d’euros pour sa réno­va­tion, dans le cadre du contrat de plan État-Région Pays de la Loire. Nathalie Clot, direc­trice du service docu­men­taire et d’archives de l’université d’Angers, saisit l’occasion pour ajouter une ligne dans le contrat bud­gé­taire : « Donner à voir le Centre des archives du féminisme ». Ce fonds, créé par Christine Bard en 2001 et dirigé par Nathalie Clot depuis 2013, comporte aujourd’hui 400 mètres linéaires d’archives fémi­nistes privées fran­çaises, de toutes sen­si­bi­li­tés, et fait d’Angers l’un des épi­centres de la conser­va­tion de ces luttes. 

« Une fois le finan­ce­ment obtenu, j’ai demandé à Christine Bard : “Est-ce que tu as des idées ?”, raconte Nathalie Clot. Elle m’a répondu : “Il faut faire un musée, sinon d’autres le feront avant nous.” »

Christine Bard se mobilise dès les années 2000 pour un musée féministe. « Il y a vingt ans, la France avait déjà vingt ans de retard sur les autres pays », souligne-t-elle. Avec d’autres his­to­riennes, elle lance en 2002 l’association La Cité des femmes. Le 8 mars de cette année-là, le maire socia­liste de Paris, Bertrand Delanoë, et sa première adjointe chargée de l’égalité femmes-hommes, Anne Hidalgo, pro­mettent l’ouverture d’un musée d’histoire des femmes. Mais le projet n’obtient aucun budget. « Face à la pression des asso­cia­tions de terrain », assure Hélène Bidard, adjointe à l’égalité femmes-hommes à la mairie de Paris, c’est fina­le­ment « un lieu tourné vers l’aide d’urgence et le soutien juridique pour les femmes victimes de violences qui s’est dessiné avec l’ouverture de la Cité auda­cieuse en [mars] 2020 », dans le 6e arron­dis­se­ment parisien. L’association La Cité des femmes se dissout en 2004, certaines de ses membres préférant consacrer leurs forces à la création d’un musée en ligne, qui « n’a pas eu tant de visites que ça », regrette Christine Bard.

Le temps muséal, déjà long d’ordinaire, l’est encore davantage pour des sujets longtemps évacués des recherches uni­ver­si­taires. Ainsi, Constance Rivière, direc­trice générale du palais de la Porte-Dorée, rappelle que, pour le Musée national de l’Histoire de l’immigration, « il a fallu des années entre la première idée, qui émerge au début des années 1990, et le moment où le musée ouvre, en 2007 » : « Le lieu culturel vient forcément après la pensée et la recherche. L’immigration, comme les femmes, a longtemps été écartée comme objet his­to­rique. Or, sans ce travail, il ne peut pas y avoir de musée puisque ce qu’on expose repose sur l’approche scien­ti­fique. » Julie Botte, autrice d’une thèse sur les musées « de femmes », abonde : « La question de l’histoire des femmes entre à l’université dans les années 1980. C’est simul­ta­né­ment que l’on voit appa­raître les premiers musées sur ces sujets. » Christine Bard confirme : « Si l’on crée un lieu, c’est pour montrer qu’il y a une histoire, une mémoire et des archives à préserver. » C’est pourquoi il aura fallu attendre l’arrivée des études sur le genre en France, au début des années 2010 (1), pour qu’enfin une structure muséale puisse être pensée.

Faire cohabiter des courants variés

Près de deux décennies après la première tentative de La Cité des femmes, la fuite dans la presse de la future annu­la­tion de l’arrêt Roe vs Wade aux États-Unis (2) pousse Magali Lafourcade, magis­trate à la Commission nationale consul­ta­tive des droits de l’homme, à publier dans Le Monde (3) une tribune pour l’ouverture d’un musée des conquêtes fémi­nistes – sans avoir connais­sance du projet initial de Christine Bard. « Je me disais : “Il faut abso­lu­ment un lieu qui ins­ti­tu­tion­na­lise les conquêtes fémi­nistes de façon à ce que, ensuite, il soit très difficile de revenir dessus” », raconte la magis­trate. Magali Lafourcade et Christine Bard se ren­contrent et créent en octobre 2022 l’Association pour un musée des fémi­nismes (AFéMuse). L’historienne est alors com­mis­saire de l’exposition « Parisiennes Citoyennes ! » au Musée Carnavalet, qui, avec plus de 90 000 visiteur·euses, est un succès. « Cette expo a montré la puissance que peut receler un musée des fémi­nismes », s’enthousiasme Magali Lafourcade.


« Il faut abso­lu­ment un lieu qui ins­ti­tu­tion­na­lise les conquêtes fémi­nistes de façon à ce que, ensuite, il soit très difficile de revenir dessus. »

Magali Lafourcade, magis­trate à la Commission nationale consul­ta­tive des droits de l’homme



Tandis que l’ancienne juge d’instruction s’attelle à « installer le projet dans le paysage politique en faisant le tour des minis­tères concernés », son binôme toque aux portes d’institutions fémi­nistes. Pour Laura Slimani, direc­trice du pôle Projets de la Fondation des femmes, « Christine Bard, en tant qu’historienne reconnue, offre des gages de sérieux et de cré­di­bi­li­té au projet ».

« Il y a une grosse dif­fé­rence entre ce nouveau projet et celui de 2002, souligne Christine Bard. Le premier portait sur l’histoire des femmes en général et devait se réaliser à Paris, quand le deuxième est un musée des fémi­nismes, à Angers. » Ce dernier se veut modulable en fonction des chan­ge­ments sociétaux. Il compte faire « entendre divers points de vue », selon les mots de sa future direc­trice pres­sen­tie, Christine Bard. Cette volonté se retrouve dès le nom du musée : « des fémi­nismes » : « Le pluriel contribue à ancrer la légi­ti­mi­té du mot et du combat qui l’accompagne et à mettre l’accent sur sa diversité. »

L’exposition tem­po­raire de pré­fi­gu­ra­tion de 2025, dirigée par l’historienne Ludivine Bantigny, donnera déjà des indi­ca­teurs. « Les femmes pré­sen­tées le seront dans une démarche inter­sec­tion­nelle, promet-elle. Il est important de donner à voir la diversité des mobi­li­sa­tions et des pro­ta­go­nistes : les luttes les­biennes, celles contre le racisme et le colo­nia­lisme, mais aussi les luttes chicanas des peuples autoch­tones d’Amérique latine. »

Pour faire cohabiter des courants fémi­nistes variés, l’association a mis en place au début de 2024 un comité scien­ti­fique. Ce collectif bénévole regroupe 28 personnes spé­cia­li­sées en histoire des femmes, de la culture et des ins­ti­tu­tions cultu­relles et muséales, mais aussi des représentant·es de la société civile et des artistes – la plas­ti­cienne gua­de­lou­péenne Minia Biabiany, la des­si­na­trice et pho­to­graphe franco-gabonaise Maya Mihindou ou encore l’artiste et médié­viste Clovis Maillet…
Le comité compte également dans ses membres Nicole Fernández Ferrer, copré­si­dente du centre audio­vi­suel Simone de Beauvoir et experte en archives audio­vi­suelles. Le centre fournit quatre films et vidéos qui seront présentés lors de la première expo­si­tion.
En revanche, la biblio­thèque Marguerite Durand (4), autre gardienne his­to­rique des archives fémi­nistes, n’y est pas associé. Carole Chabut, direc­trice de la biblio­thèque, regrette qu’« aucun par­te­na­riat n’ait été formalisé ». « Un travail de réseau et de collectif autour de l’idée d’un musée d’ambition nationale aurait dû s’amorcer avant l’annonce, concède Nathalie Clot. Nous pensions que la relation nouée dans le cadre de l’association Archives du féminisme suffirait à nous fédérer. »

Difficile d’imaginer une expo­si­tion féministe sans les fonds parisiens, ce que recon­naî­tra d’ailleurs le conseil scien­ti­fique de l’AFéMuse, en février 2024 : aucune « expo­si­tion n’est possible sur le féminisme sans faire appel aux struc­tures essen­tielles de la biblio­thèque Marguerite-Durand ».

Collecter et exposer

Au début de l’année 2023, le projet de musée n’a « ni business plan, ni projet culturel et scien­ti­fique » d’après les res­pon­sables de l’AFéMuse. Pourtant, l’achat d’une première œuvre est l’acte fondateur du Musée des Féminismes français.

Il s’agit de Mme Maria Vérone à la tribune, réalisée par le peintre et illus­tra­teur de presse Léon Fauret en 1910. « On y voit Maria Vérone, féministe de la première vague en France, en train de plaider pour renommer la Déclaration des droits “de l’homme et du citoyen” par droits “humains”, décrit Magali Lafourcade. Rarissime tableau non sexiste, c’est le seul qui donne à voir les suf­fra­gettes fran­çaises et leurs impli­ca­tions poli­tiques. » Un finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif récolte les 21 000 euros néces­saires en quelques jours. L’œuvre attend son heure dans les réserves des Beaux-Arts d’Angers.

Puis, à l’été 2023, l’association AFéMuse et le centre audio­vi­suel Simone de Beauvoir lancent une collecte nationale d’objets utilisés en mani­fes­ta­tion. Foulards verts d’une asso­cia­tion argentine, imposante banderole jaune de la Coordination lesbienne en France ou fragile pancarte cartonnée colorée de drapeaux de la com­mu­nau­té queer : la première récolte est présentée six mois plus tard à la Cité auda­cieuse. Ce tableau et ces objets feront partie des col­lec­tions du futur musée. « On a récupéré plein d’objets gyné­co­lo­giques, essen­tiels à la contra­cep­tion des personnes mens­truées. Comment exposer, sans le dété­rio­rer, un dia­phragme des années 1970 ? Ce ne sont pas les conser­va­teurs du Louvre qui vont pouvoir nous répondre », ironise Nathalie Clot, consciente des questions que soulève la conser­va­tion de telles pièces.

Des musées féministes partout dans le monde depuis 1945

Du Sénégal à l’Écosse, en passant par le Vietnam et la Zambie, 101 musées de l’histoire des femmes ou des fémi­nismes, du genre ou de l’histoire des femmes existent, dans 35 pays. « Le premier musée des femmes est créé aux États-Unis, il est consacré à une militante féministe, Susan B. Anthony, mais il raconte aussi un mouvement militant plus large, souligne l’historienne de l’art Julie Botte, autrice d’une thèse sur les musées de femmes. Dans les années 1980, on voit appa­raître des lieux fémi­nistes partout dans le monde. Ils sont à chaque fois portés par un groupe de personnes dis­cri­mi­nées qui s’emparent de l’institution “musée” pour devenir visibles et légitimes. »

À la Women’s Library de Glasgow (Royaume-Uni), une biblio­thèque propose une large col­lec­tion d’ouvrages fémi­nistes en plusieurs langues. Les res­pon­sables du musée créent plusieurs expo­si­tions tem­po­raires par an avec un ancrage local en s’alliant aux asso­cia­tions écossaises.

À Aarhus, deuxième ville du Danemark, le Musée des Femmes, ouvert en 1982, est devenu Musée du Genre en 2021. Il propose des expo­si­tions tem­po­raires et per­ma­nentes qui expliquent
la construc­tion du genre dans l’enfance
en exposant des objets du quotidien.

Accumulation de retards

Tout reste par ailleurs à faire au sujet de la médiation muséale, pri­mor­diale dans une telle structure, et pour laquelle aucun finan­ce­ment n’est encore prévu. Pour Constance Rivière, « quand on est un lieu de trans­mis­sion sur des sujets sensibles et complexes, les publics peuvent avoir des préjugés et des peurs. La médiation permet d’ouvrir le dialogue ».

Quant au recru­te­ment d’une chargée de projet pour l’exposition de 2025, il com­men­çait tout juste fin 2024. Des retards dont Nathalie Clot tire une première conclu­sion : « Il y avait une forme d’opportunisme à courte vue de ma part. J’ai vu la pos­si­bi­li­té de compléter un budget d’investissement, sans calculer les budgets de fonc­tion­ne­ment à long terme. Tout est cher dans cet exercice-là : une simple expo avec des objets patri­mo­niaux, c’est 18 mois de pré­pa­ra­tion et ça coûte facile 100 000 euros, alors un musée… ».

C’est la réno­va­tion de la BU d’Angers qui a fait naître ce projet au cœur d’une uni­ver­si­té, mais trans­for­mer une partie de la biblio­thèque en musée est une mission de grande envergure. « Notre culture, à la BU, c’est qu’on y entre comme dans un moulin, explique Nathalie Clot. Pour une expo­si­tion d’objets prêtés par des musées, on se met tout d’un coup à parler contrôle d’accès, gar­dien­nage. Les passages jour­na­liers deviennent presque un problème ! » Catherine Passirani, vice-présidente Égalité de l’université d’Angers, complète : « Transformer [les locaux de la BU] en musée demande de nombreux amé­na­ge­ments que nous n’avions pas évalués à leur juste valeur. » *

Or, le ministère de l’Enseignement supérieur ne peut les financer. « Il n’y a pas de budget pour des poli­tiques muséales dans les uni­ver­si­tés », se désole Nathalie Clot ; Christine Bard rappelle que les uni­ver­si­tés aussi sont frappées par « l’austérité éco­no­mique, avec une réduction de 30 % des budgets pour l’année 2024–2025 ». Signe du peu d’enthousiasme que le projet soulève du côté des ins­ti­tu­tions, le ministère de l’Éducation nationale a refusé de répondre à nos questions, tout comme celui de l’Enseignement supérieur qui nous a renvoyé vers celui de la Culture. Après des mois d’attente, ce dernier n’a fina­le­ment pas donné suite.

Le soutien ins­ti­tu­tion­nel a failli se concré­ti­ser : l’inscription du futur musée dans le plan inter­mi­nis­té­riel pour l’égalité 2023–2027 a ravivé l’espoir de finan­ce­ments étatiques pour quelques années, mais l’instabilité politique depuis l’été 2024 n’a pas permis la mise en appli­ca­tion des dis­po­si­tions du plan. Une fois l’annonce de cette ins­crip­tion passée, les minis­tères de la Culture, de l’Égalité et de l’Enseignement supérieur se renvoient la balle. « L’État n’a pas d’argent mais sait en trouver quand la volonté politique est là », conteste Nathalie Clot, évoquant les 234 millions d’euros alloués à la création de la Cité inter­na­tio­nale de la langue française entre 2018 et 2023.

Avec des ins­ti­tu­tions qui offrent si peu de garanties, la fai­sa­bi­li­té du musée dépend désormais de finan­ce­ments privés. Magali Lafourcade, qui s’attelle à en trouver depuis 2023, se rend à l’évidence : « Ce sont encore les vieux mâles blancs qui financent le monde. Les finan­ceurs privés avec une approche humaniste sont peu nombreux et le mot “féminisme” fait peur. »

Les sub­ven­tions de la Fondation des femmes (80 000 euros), des minis­tères de l’Égalité et de la Culture (50 000 euros chacun) restent insuf­fi­santes. En février 2024, l’AFéMuse avait évalué les besoins finan­ciers pour garantir l’ouverture du musée à 2,5 millions d’euros, assortis de 250 000 euros annuels. L’espoir d’obtenir un soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et du ministère de l’Éducation nationale ainsi que de la région Pays de la Loire s’amenuise dans le contexte politique actuel. En décembre 2024, Nathalie Clot se résignait : « [Avec les seuls finan­ce­ments d’amorçage], l’horizon 2027 n’est plus envi­sa­geable et les efforts se concentrent désormais uni­que­ment sur l’exposition de pré­fi­gu­ra­tion en 2025. »

Enlisement et questions sans réponses

Un autre élément remet en question la fai­sa­bi­li­té du projet : sa loca­li­sa­tion. Aucun budget n’est attribué à la com­mu­ni­ca­tion sur ce sujet ; la direc­trice de la BU d’Angers s’interroge : « Qui viendra dans une biblio­thèque uni­ver­si­taire au fin fond d’une zone d’urbanisation prio­ri­taire, au bout d’une ligne de tramway, dans une ville de province de droite, loin de Paris ? »

Le projet de musée s’enlise et l’équipe se lasse. Au printemps 2024, l’association AFféMuse se réor­ga­nise. Le trésorier, Damien Hamard, quitte le projet pour se consacrer à ses fonctions de directeur adjoint de la BU d’Angers chargé du Centre d’archives des fémi­nismes. Il évoque « des conflits d’intérêts » entre son enga­ge­ment asso­cia­tif et son emploi à l’université et « un rôle de relais qui s’est compliqué au fil des mois ». Magali Lafourcade, cofon­da­trice et pré­si­dente de l’association, a elle aussi quitté ses fonctions (5).

À la tête de ce projet depuis des années, Christine Bard fait l’objet de critiques. Plusieurs ancien·nes collaborateur·ices (qui n’ont pas souhaité que leurs noms soient men­tion­nés) cri­tiquent sa « mainmise ». Comité opé­ra­tion­nel, comité dons et acqui­si­tions, comité de pilotage, l’historienne s’est investie à tous les niveaux : « Ce musée compte beaucoup dans ma vie », admet l’historienne, qui précise qu’il s’agit d’une « ini­tia­tive col­lec­tive avec des gens très motivés ».

Les questions sans réponses se mul­ti­plient. L’université d’Angers doit-elle continuer à porter ce projet ? Un soutien étatique est-il possible ? Les équipes de l’AFéMuse et de l’université d’Angers attendent le bilan de l’exposition à l’été 2025. Nathalie Clot imagine désormais « une BU rénovée façon tiers-lieu, avec un bel espace central consacré à une expo­si­tion tem­po­raire annuelle qui donnerait à voir les enjeux de l’histoire des luttes fémi­nistes au prisme des col­lec­tions conser­vées par le Centre des archives du féminisme et par nos par­te­naires ».

Un beau projet, mais bien loin d’un musée national à la hauteur des luttes sociales fémi­nistes. Nathalie Clot se rassure : « J’espère que ce que nous arri­ve­rons à faire vivre, année après année, dans notre coin de BU, contri­bue­ra à nourrir la réflexion et les débats sur le projet scien­ti­fique et culturel d’un “vrai” musée d’ambition nationale. Dans tous les cas, nous aurons réfléchi et nous aurons fait prendre conscience du manque d’un tel musée en France. » •

vingt-cinq ans de promesses non tenues

2001

Première réunion de la future asso­cia­tion La Cité des femmes, avec Christine Bard. Elle sera offi­ciel­le­ment créée en janvier 2002.

2002

« Le musée d’histoire des femmes s’ouvrira pro­chai­ne­ment à Paris » : le maire socia­liste, Bertrand Delanoë, et sa première adjointe chargée de l’Égalité, Anne Hidalgo, annoncent le soutien de la Ville au projet, le 8 mars à l’oc­ca­sion de Journée inter­na­tio­nale des droits des femmes.

2004

La Cité des femmes est dissoute. Les his­to­riennes mili­tantes créent un musée d’histoire des femmes virtuel : Musea, hébergé
par l’université d’Angers.

2021

Le contrat de plan État-Région acte un finan­ce­ment de 9,8 millions d’euros pour la réno­va­tion (2026–2027) de la biblio­thèque uni­ver­si­taire d’Angers, où sera implanté le musée.

2022

Création, en octobre, de l’Association pour un musée des fémi­nismes (AFéMuse), qui a pour objet d’accompagner
la création d’un musée des fémi­nismes à Angers pour le printemps 2027.

2023

En février, AFéMuse acquiert la première pièce du futur musée, un tableau intitulé Mme Maria Vérone
à la tribune.

2023

Le 8 mars, Élisabeth Borne, Première ministre, ainsi qu’Isabelle Rome et Rima Abdul Malak, res­pec­ti­ve­ment chargées de l’Égalité et de la Culture, ins­crivent le projet de musée des fémi­nismes dans le plan inter­mi­nis­té­riel 2023–2027.

2025

L’historienne Ludivine Bantigny devrait présenter la première expo­si­tion
du musée : « Les femmes sont dans la rue », du 27 février au 22 juin, au sein
de la biblio­thèque uni­ver­si­taire d’Angers.


(1) Lire Emmanuelle Josse et Hanneli Victoire, « Études de genre : le féminisme dans les amphis », La Déferlante no 9, février 2023).

(2) Cet arrêt de 1973 stipulait que le droit au respect de la vie privée, garanti par la Constitution amé­ri­caine, s’appliquait à l’avortement, accordant ainsi aux femmes le droit d’avorter dans tout le pays. En juin 2022, la Cour suprême états- unienne a annulé cet arrêt, laissant chaque État libre d’interdire l’IVG.

(3) Magali Lafourcade, « Un musée des conquêtes fémi­nistes légi­ti­me­rait la place des femmes dans tous les champs des arts et de la connais­sance », Le Monde, 10 mai 2022.

(4) La biblio­thèque Marguerite-Durand a été ouverte en 1931 par la Ville de Paris, après un don des col­lec­tions consti­tuées par la jour­na­liste et militante du même nom. La fon­da­trice du journal féministe La Fronde entendait ainsi créer la première biblio­thèque offi­cielle de docu­men­ta­tion féministe.

(5) Contactée, elle n’a pas souhaité répondre à nos questions sur les raisons de son départ.

Marie-Agnès Laffougère

Journaliste indépendante, elle travaille pour Têtu, Livres Hebdo et Radio France sur des sujets liés au genre et aux questions LGBT+. Voir tous ses articles

Travailler, à la conquête de l’égalité

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°17 Travailler, parue en février 2025. Consultez le sommaire.