Donald Trump ou le triomphe des hommes blancs

Au terme d’une campagne féroce, le candidat répu­bli­cain Donald Trump s’est imposé, mercredi 6 novembre, comme le vainqueur de l’élection pré­si­den­tielle aux États-Unis. Pour La Déferlante, Charlotte Recoquillon, géographe spé­cia­liste des États-Unis revient sur cette élection où les questions de race et de genre n’ont cessé d’être sur le devant de la scène.
Publié le 8 novembre 2024
Le 6 novembre, sur le campus de l’université Howard à Washington, des citoyen·nes réagissaient au discours de Kamala Harris reconnaissant sa défaite. Crédit : Brendan SMIALOWSKI / AFP
Le 6 novembre, sur le campus de l’université Howard à Washington, des citoyen·nes réagis­saient au discours de Kamala Harris recon­nais­sant sa défaite. Crédit : Brendan SMIALOWSKI / AFP

En début de semaine, le camp trumpiste a non seulement remporté la Maison Blanche mais également le Sénat et pro­ba­ble­ment la Chambre des représentants.

Ces victoires, ajoutées à la mainmise des répu­bli­cains sur la Cour suprême, laisse le champ libre à Donald Trump pour mettre en place son projet 2025, qui est un programme d’extrême droite : défense des fron­tières, retour à un modèle de famille tra­di­tion­nel, déman­tè­le­ment de l’État. Son élection met en danger la vie et les droits des personnes racisées – en par­ti­cu­lier les personnes immigrées entrées illé­ga­le­ment sur le ter­ri­toire, mais aussi des personnes trans et, plus glo­ba­le­ment, des femmes.

Journaliste et cher­cheuse à l’Institut français de géo­po­li­tique, spé­cia­liste de la com­mu­nau­té noire aux États-Unis, Charlotte Recoquillon revient sur les ressorts de ce succès.

 

Qu’implique la victoire de Donald Trump pour les femmes, les personnes LGBT+, racisées et plus largement pour toutes les minorités aux États-Unis ?

C’est une catas­trophe. Ces résultats confirment une lame de fond : le vote conser­va­teur et d’extrême droite aux États-Unis s’enracine dans des crises éco­no­miques, sani­taires et iden­ti­taires profondes. Déjà, lors de la pré­si­den­tielle de 2020, alors même que Trump l’a fina­le­ment perdue, la stratégie de mobi­li­sa­tion derrière le slogan « Make America Great Again » (Rendez sa grandeur à l’Amérique) qui consis­tait à agiter les peurs et à jouer sur les menaces exté­rieures avait fonc­tion­né et permis de gagner plus de 10 millions de votes par rapport à 2016. Car tout cela fonc­tionne très bien avec les hommes blancs qui, selon les sondages à la sortie des urnes, ont voté Trump à 60 %.

Kamala Harris, la candidate démocrate, a fait du droit à l’avortement le pivot de sa campagne. En parallèle, elle a mis en avant une féminité décom­plexée. Quel rôle les questions de genre ont-elles joué dans cette élection ?

L’annulation en 2022, sous l’administration Biden, de l’arrêt Roe vs Wade qui garan­tis­sait le droit à l’avortement dans l’ensemble des États-Unis, découle du premier mandat de Donald Trump. Et malgré l’existence d’une frange anti-avortement parmi les conservateur·ices, la majorité des femmes répu­bli­caines reste attaché au droit des personnes à disposer de leur corps. Ce sont ces élec­trices que les démo­crates ont tenté de convertir pendant la campagne.

Mais il faut rappeler que les personnes qui souffrent de l’interdiction d’avorter sont prin­ci­pa­le­ment aujourd’hui des femmes noires et pauvres, qui vivent dans d’anciens États escla­va­gistes du Sud, à l’intersection de plusieurs dis­cri­mi­na­tions. Comme lors des pré­cé­dents scrutins, ces femmes ont donné leur soutien au Parti démocrate. À l’échelle du pays, les Africaines-Américaines sont 91 % à avoir voté pour Kamala Harris.

Des articles de presse ont aussi laissé entendre que beaucoup d’hommes noirs mais aussi des latinos, avaient rallié Trump…

Ces sondages de sortie des urnes montrent effec­ti­ve­ment que le vote démocrate dans la com­mu­nau­té africaine-américaine a baissé de 11 points pour les hommes et de 5 points pour les femmes entre 2016 et 2024.

Un nombre non négli­geable d’hommes noirs (21 %) semble avoir voté pour Trump. Les démo­crates ont considéré à tort qu’il s’agissait d’un électorat captif et homogène, sans véri­ta­ble­ment proposer de mesures qui répondent à leurs reven­di­ca­tions (je pense notamment à la lutte contre les violences poli­cières). Cela a créé de la déception et de l’attrait pour Trump.


Mais focaliser sur cette partie de l’électorat pose plusieurs problèmes. D’abord, les désigner comme res­pon­sables de la défaite des démo­crates, c’est en faire des boucs émis­saires alors que, par exemple, les femmes blanches aussi ont voté pour Trump à 53 %. Cela invi­si­bi­lise également le fait qu’au sein de cette com­mu­nau­té, la part des indécis·es ou de celles et ceux qui votent pour les candidat·es indépendant·es a augmenté. Mais également qu’à côté de cela, une écrasante majorité des élec­trices et électeurs africains-américains reste démocrate : 85 %, contre 41 % de l’électorat blanc !


« Ce n’est défi­ni­ti­ve­ment pas de Kamala Harris ni de son parti que viendra la résis­tance face à Trump »


Pourtant, la question raciale a bien été présente dans la campagne de Trump ?

Depuis une quinzaine d’années, à la faveur du mouvement Black Lives Matter, on assiste à une résur­gence de ces questions dans le débat public aux États-Unis. Les saillies racistes de Donald Trump sont régu­lières (en 2015 il disait des Mexicains qu’ils étaient des violeurs ; en 2018, il sur­nom­mait « Pocahontas » une sénatrice démocrate qui reven­di­quait des origines cherokees), et la mise en avant de son identité politique blanche n’est pas une nouveauté (en 2020, il par­ta­geait sur Twitter une vidéo montrant des opposants au mouvement Black Lives Matter hurlant « White power »).

C’était déjà une tendance de fond chez les conser­va­teurs du Tea Party, un mouvement d’inspiration liber­ta­rienne né au début de la pré­si­dence Obama qui pro­tes­tait contre l’augmentation des dépenses publiques, notamment contre le système de pro­tec­tion sociale.

Donald Trump a continué à tenir des propos racistes, y compris à l’encontre de sa rivale, Kamala Harris, dont il a mis en doute l’identité raciale. Avant même sa can­di­da­ture offi­cielle, en juillet 2024, le genre de la vice-présidente était aussi un angle d’attaque pour Donald Trump. Il l’a à plusieurs reprises qualifiée de « stupide », « avec un faible QI », « pares­seuse » et « folle »

Dans quelle mesure le bilan du mandat Biden-Harris explique-t-il aussi la défaite de la candidate démocrate ?

Lors de la pré­si­den­tielle de 2020, en pleine affaire George Floyd, les militant·es du mouvement Black Lives Matter avaient soutenu le Parti démocrate de façon massive dans l’espoir de voir pro­gres­ser la justice sociale et raciale. Joe Biden et Kamala Harris pro­met­taient à l’époque la fin des injus­tices structurelles.

Quatre ans plus tard, leur bilan est catas­tro­phique : le nombre de personnes tuées par la police n’a jamais été aussi élevé, le budget des forces de l’ordre a explosé, les projets de construc­tion de centres d’entraînement pour policiers en plein cœur des villes se mul­ti­plient, et l’abolition de la peine de mort a été retirée du programme démocrate. Certes, Derek Chauvin, le policier res­pon­sable de la mort de George Floyd a été condamné et c’est his­to­rique. Mais cela n’a pas suffi à gommer l’image d’un mandat très favorable à la police.

Par ailleurs, même si elle se dit choquée par le sort des civil·es palestinien·nes, le soutien de Kamala Harris à Israël dans sa guerre contre Gaza et le Liban a sidéré une grande partie de la popu­la­tion amé­ri­caine, notamment les jeunes, les étudiant·es, les Arabes américain·es ou encore de nombreux juifs et juives.

En fin de compte, Joe Biden et Kamala Harris ont donné l’image de dirigeant·es indifférent·es aux violences subies par les personnes noires et racisées. Ce n’est défi­ni­ti­ve­ment pas de Kamala Harris ni de son parti que viendra la résis­tance face à Trump. L’écosystème du terrain, les militant·es, les orga­ni­sa­tions de défense des droits civiques et les héritages du mouvement Black Lives Matter seront pro­ba­ble­ment les seuls à tenir un vrai rôle d’opposition.

Par Anne-Laure Pineau

Journaliste indé­pen­dante, membre du collectif Youpress et du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles.


Pour aller plus loin : Charlotte Recoquillon, Harlem. Une histoire de la gen­tri­fi­ca­tion, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2024.

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