En début de semaine, le camp trumpiste a non seulement remporté la Maison Blanche mais également le Sénat et probablement la Chambre des représentants.
Journaliste et chercheuse à l’Institut français de géopolitique, spécialiste de la communauté noire aux États-Unis, Charlotte Recoquillon revient sur les ressorts de ce succès.
Qu’implique la victoire de Donald Trump pour les femmes, les personnes LGBT+, racisées et plus largement pour toutes les minorités aux États-Unis ?
C’est une catastrophe. Ces résultats confirment une lame de fond : le vote conservateur et d’extrême droite aux États-Unis s’enracine dans des crises économiques, sanitaires et identitaires profondes. Déjà, lors de la présidentielle de 2020, alors même que Trump l’a finalement perdue, la stratégie de mobilisation derrière le slogan « Make America Great Again » (Rendez sa grandeur à l’Amérique) qui consistait à agiter les peurs et à jouer sur les menaces extérieures avait fonctionné et permis de gagner plus de 10 millions de votes par rapport à 2016. Car tout cela fonctionne très bien avec les hommes blancs qui, selon les sondages à la sortie des urnes, ont voté Trump à 60 %.
Kamala Harris, la candidate démocrate, a fait du droit à l’avortement le pivot de sa campagne. En parallèle, elle a mis en avant une féminité décomplexée. Quel rôle les questions de genre ont-elles joué dans cette élection ?
L’annulation en 2022, sous l’administration Biden, de l’arrêt Roe vs Wade qui garantissait le droit à l’avortement dans l’ensemble des États-Unis, découle du premier mandat de Donald Trump. Et malgré l’existence d’une frange anti-avortement parmi les conservateur·ices, la majorité des femmes républicaines reste attaché au droit des personnes à disposer de leur corps. Ce sont ces électrices que les démocrates ont tenté de convertir pendant la campagne.
Mais il faut rappeler que les personnes qui souffrent de l’interdiction d’avorter sont principalement aujourd’hui des femmes noires et pauvres, qui vivent dans d’anciens États esclavagistes du Sud, à l’intersection de plusieurs discriminations. Comme lors des précédents scrutins, ces femmes ont donné leur soutien au Parti démocrate. À l’échelle du pays, les Africaines-Américaines sont 91 % à avoir voté pour Kamala Harris.
Des articles de presse ont aussi laissé entendre que beaucoup d’hommes noirs mais aussi des latinos, avaient rallié Trump…
Ces sondages de sortie des urnes montrent effectivement que le vote démocrate dans la communauté africaine-américaine a baissé de 11 points pour les hommes et de 5 points pour les femmes entre 2016 et 2024.
Un nombre non négligeable d’hommes noirs (21 %) semble avoir voté pour Trump. Les démocrates ont considéré à tort qu’il s’agissait d’un électorat captif et homogène, sans véritablement proposer de mesures qui répondent à leurs revendications (je pense notamment à la lutte contre les violences policières). Cela a créé de la déception et de l’attrait pour Trump.
Mais focaliser sur cette partie de l’électorat pose plusieurs problèmes. D’abord, les désigner comme responsables de la défaite des démocrates, c’est en faire des boucs émissaires alors que, par exemple, les femmes blanches aussi ont voté pour Trump à 53 %. Cela invisibilise également le fait qu’au sein de cette communauté, la part des indécis·es ou de celles et ceux qui votent pour les candidat·es indépendant·es a augmenté. Mais également qu’à côté de cela, une écrasante majorité des électrices et électeurs africains-américains reste démocrate : 85 %, contre 41 % de l’électorat blanc !
« Ce n’est définitivement pas de Kamala Harris ni de son parti que viendra la résistance face à Trump »
Pourtant, la question raciale a bien été présente dans la campagne de Trump ?
Depuis une quinzaine d’années, à la faveur du mouvement Black Lives Matter, on assiste à une résurgence de ces questions dans le débat public aux États-Unis. Les saillies racistes de Donald Trump sont régulières (en 2015 il disait des Mexicains qu’ils étaient des violeurs ; en 2018, il surnommait « Pocahontas » une sénatrice démocrate qui revendiquait des origines cherokees), et la mise en avant de son identité politique blanche n’est pas une nouveauté (en 2020, il partageait sur Twitter une vidéo montrant des opposants au mouvement Black Lives Matter hurlant « White power »).
C’était déjà une tendance de fond chez les conservateurs du Tea Party, un mouvement d’inspiration libertarienne né au début de la présidence Obama qui protestait contre l’augmentation des dépenses publiques, notamment contre le système de protection sociale.
Donald Trump a continué à tenir des propos racistes, y compris à l’encontre de sa rivale, Kamala Harris, dont il a mis en doute l’identité raciale. Avant même sa candidature officielle, en juillet 2024, le genre de la vice-présidente était aussi un angle d’attaque pour Donald Trump. Il l’a à plusieurs reprises qualifiée de « stupide », « avec un faible QI », « paresseuse » et « folle »…
Dans quelle mesure le bilan du mandat Biden-Harris explique-t-il aussi la défaite de la candidate démocrate ?
Lors de la présidentielle de 2020, en pleine affaire George Floyd, les militant·es du mouvement Black Lives Matter avaient soutenu le Parti démocrate de façon massive dans l’espoir de voir progresser la justice sociale et raciale. Joe Biden et Kamala Harris promettaient à l’époque la fin des injustices structurelles.
Quatre ans plus tard, leur bilan est catastrophique : le nombre de personnes tuées par la police n’a jamais été aussi élevé, le budget des forces de l’ordre a explosé, les projets de construction de centres d’entraînement pour policiers en plein cœur des villes se multiplient, et l’abolition de la peine de mort a été retirée du programme démocrate. Certes, Derek Chauvin, le policier responsable de la mort de George Floyd a été condamné et c’est historique. Mais cela n’a pas suffi à gommer l’image d’un mandat très favorable à la police.
Par ailleurs, même si elle se dit choquée par le sort des civil·es palestinien·nes, le soutien de Kamala Harris à Israël dans sa guerre contre Gaza et le Liban a sidéré une grande partie de la population américaine, notamment les jeunes, les étudiant·es, les Arabes américain·es ou encore de nombreux juifs et juives.
En fin de compte, Joe Biden et Kamala Harris ont donné l’image de dirigeant·es indifférent·es aux violences subies par les personnes noires et racisées. Ce n’est définitivement pas de Kamala Harris ni de son parti que viendra la résistance face à Trump. L’écosystème du terrain, les militant·es, les organisations de défense des droits civiques et les héritages du mouvement Black Lives Matter seront probablement les seuls à tenir un vrai rôle d’opposition.
Par Anne-Laure Pineau
Journaliste indépendante, membre du collectif Youpress et du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles.
⟶ Pour aller plus loin : Charlotte Recoquillon, Harlem. Une histoire de la gentrification, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2024.