Que celles et ceux qui voient la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France comme le temps du repos bien mérité se détrompent. Il s’agit bien d’un revers essuyé par les ultraconservateurs, mais il ne faudrait pas se réjouir trop vite. Les groupes « antigenre », opposés à la procréation médicalement assistée (PMA) et au mariage pour tous et toutes continuent leur bataille contre les minorités.
La contre-offensive réactionnaire, qui trouve des relais en Russie, aux États-Unis ou encore au Brésil, est bien organisée. Au cœur de la rhétorique « antigenre », le fantasme d’un « déclin moral de toute une société », d’une « Europe décadente », pour reprendre les mots du président russe, Vladimir Poutine.
Ces dix dernières années, ces extrémistes religieux se sont constitués en un vaste réseau aux échelles européenne et mondiale. Ils utilisent des méthodes pernicieuses, et avancent masqués. « Ils sont minoritaires mais ils sont hyperactifs, nous explique l’ancienne ministre des Droits des femmes et de la famille, Laurence Rossignol (Parti socialiste), actuelle sénatrice du Val-de-Marne. Ils disposent de chaînes de télé, de radio, ils ont la capacité de diffuser leurs mensonges à des heures de grande écoute et à un large public sans être contredits. »
Sur la chaîne française d’informations en continue CNews, propriété du milliardaire Vincent Bolloré, on pouvait ainsi entendre en février dernier que l’avortement était « la première cause de mortalité dans le monde » avec « 73 millions en 2022, soit 52% des décès », assimilant ainsi l’IVG à l’assassinat d’un « enfant à naître ». Face au tollé suscité, la chaîne a présenté ses excuses. Convoqué à une audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’attribution des fréquences de la TNT, Vincent Bolloré a déclaré : « Dans cette affaire deux libertés [se heurtent] : la liberté des gens à disposer d’eux-mêmes et la liberté des enfants à vivre. »
Cette rhétorique de « l’enfant à naître » est l’un des arguments utilisés par les ultraconservateurs pour revenir sur les droits fondamentaux tels que l’avortement. « Juridiquement, cela n’a aucune valeur, rappelle Véronique Sehier, ancienne coprésidente du Planning familial. Cette réappropriation du langage lorsque l’on parle d’un fœtus ou d’un embryon, c’est la bataille menée actuellement par les extrémistes aux États-Unis et qu’ils essaient d’importer en France. » Aux États-Unis, en août 2022, l’État de Géorgie adoptait ainsi une loi accordant une « personnalité juridique » au fœtus, en en faisant une « personne naturelle » avec des droits. Le Texas mène à l’heure actuelle la même bataille. En février 2024, une décision de justice de la Cour suprême de l’Alabama reconnaissait quant à elle les embryons congelés comme des « enfants à naître ».
Des attaques tous azimuts pour empêcher la recherche
En France, la Fondation Jérôme Lejeune, bien connue pour ses positions anti-IVG et contre l’euthanasie, en viendra-t-elle à incarner ce combat ? Elle est en tout cas en première ligne pour mettre des bâtons dans les roues aux recherches portant sur l’embryon. Depuis 2004, elle a déposé 47 recours contre 190 projets de recherche. « Aboutir ou ne pas aboutir dans les actions en justice n’est pas important pour la Fondation Lejeune, assure encore Laurence Rossignol, elle aussi visée par des plaintes pour diffamation de la part de la fondation lorsqu’elle était ministre. L’idée est d’attaquer tous azimuts. Une partie de leur activité consiste à empêcher la recherche », se désole-t-elle. Raison pour laquelle elle a été l’une des premières à s’offusquer de la visite de l’éphémère ministre de la Santé (décembre 2023-janvier 2024), Agnès Firmin-Le Bodo, à l’Institut Jérôme Lejeune. À peine nommée, la nouvelle ministre s’y était en effet rendue, louant, photos à l’appui sur son compte X, « un lieu de passion et d’énergie » avec un « niveau d’excellence remarquable »…
Audrey Lebel est journaliste indépendante, elle travaille sur les questions de genre, de féminismes et de violences faites aux femmes. Elle documente aussi l’impact de la géopolitique sur l’intime dans l’espace post-soviétique.
Aurore Petit dessine pour la communication et la presse, et conçoit des livres pour la jeunesse. Parallèlement, elle développe un travail de scénographie pour des adaptations de ses publications sur scène.
Cette bande dessinée est issue d’un travail plus long d’Audrey Lebel et Aurore Petit, initialement publié dans le numéro 34 de La Revue dessinée (hiver 2021–2022), qui fait ici l’objet d’une réactualisation.