En arrière toutes

Ces dix dernières années, des groupes religieux d’extrême droite se sont organisés en réseau aux niveaux européen et mondial. Très peu connus du grand public, ils s’appellent Ordo Iuris, la Fondation Lejeune ou One of Us. Une inter­na­tio­nale ultra­con­ser­va­trice qui fourbit ses armes pour s’attaquer aux droits fondamentaux. 
Publié le 29 juillet 2024
Dessin : Aurore Petit

Que celles et ceux qui voient la consti­tu­tion­na­li­sa­tion de l’interruption volon­taire de grossesse (IVG) en France comme le temps du repos bien mérité se détrompent. Il s’agit bien d’un revers essuyé par les ultra­con­ser­va­teurs, mais il ne faudrait pas se réjouir trop vite. Les groupes « antigenre », opposés à la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assistée (PMA) et au mariage pour tous et toutes conti­nuent leur bataille contre les minorités.

La contre-offensive réac­tion­naire, qui trouve des relais en Russie, aux États-Unis ou encore au Brésil, est bien organisée. Au cœur de la rhé­to­rique « antigenre », le fantasme d’un « déclin moral de toute une société », d’une « Europe décadente », pour reprendre les mots du président russe, Vladimir Poutine.

Ces dix dernières années, ces extré­mistes religieux se sont consti­tués en un vaste réseau aux échelles euro­péenne et mondiale. Ils utilisent des méthodes per­ni­cieuses, et avancent masqués. « Ils sont mino­ri­taires mais ils sont hyper­ac­tifs, nous explique l’ancienne ministre des Droits des femmes et de la famille, Laurence Rossignol (Parti socia­liste), actuelle sénatrice du Val-de-Marne. Ils disposent de chaînes de télé, de radio, ils ont la capacité de diffuser leurs mensonges à des heures de grande écoute et à un large public sans être contredits. »

Sur la chaîne française d’informations en continue CNews, propriété du mil­liar­daire Vincent Bolloré, on pouvait ainsi entendre en février dernier que l’avortement était « la première cause de mortalité dans le monde » avec « 73 millions en 2022, soit 52% des décès », assi­mi­lant ainsi l’IVG à l’assassinat d’un « enfant à naître ». Face au tollé suscité, la chaîne a présenté ses excuses. Convoqué à une audition devant la com­mis­sion d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’attribution des fré­quences de la TNT, Vincent Bolloré a déclaré : « Dans cette affaire deux libertés [se heurtent] : la liberté des gens à disposer d’eux-mêmes et la liberté des enfants à vivre. »

Cette rhé­to­rique de « l’enfant à naître » est l’un des arguments utilisés par les ultra­con­ser­va­teurs pour revenir sur les droits fon­da­men­taux tels que l’avortement. « Juridiquement, cela n’a aucune valeur, rappelle Véronique Sehier, ancienne copré­si­dente du Planning familial. Cette réap­pro­pria­tion du langage lorsque l’on parle d’un fœtus ou d’un embryon, c’est la bataille menée actuel­le­ment par les extré­mistes aux États-Unis et qu’ils essaient d’importer en France. » Aux États-Unis, en août 2022, l’État de Géorgie adoptait ainsi une loi accordant une « per­son­na­li­té juridique » au fœtus, en en faisant une « personne naturelle » avec des droits. Le Texas mène à l’heure actuelle la même bataille. En février 2024, une décision de justice de la Cour suprême de l’Alabama recon­nais­sait quant à elle les embryons congelés comme des « enfants à naître ».

Des attaques tous azimuts pour empêcher la recherche

En France, la Fondation Jérôme Lejeune, bien connue pour ses positions anti-IVG et contre l’euthanasie, en viendra-t-elle à incarner ce combat ? Elle est en tout cas en première ligne pour mettre des bâtons dans les roues aux recherches portant sur l’embryon. Depuis 2004, elle a déposé 47 recours contre 190 projets de recherche. « Aboutir ou ne pas aboutir dans les actions en justice n’est pas important pour la Fondation Lejeune, assure encore Laurence Rossignol, elle aussi visée par des plaintes pour dif­fa­ma­tion de la part de la fondation lorsqu’elle était ministre. L’idée est d’attaquer tous azimuts. Une partie de leur activité consiste à empêcher la recherche », se désole-t-elle. Raison pour laquelle elle a été l’une des premières à s’offusquer de la visite de l’éphémère ministre de la Santé (décembre 2023-janvier 2024), Agnès Firmin-Le Bodo, à l’Institut Jérôme Lejeune. À peine nommée, la nouvelle ministre s’y était en effet rendue, louant, photos à l’appui sur son compte X, « un lieu de passion et d’énergie » avec un « niveau d’excellence remar­quable »

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Audrey Lebel est jour­na­liste indé­pen­dante, elle travaille sur les questions de genre, de fémi­nismes et de violences faites aux femmes. Elle documente aussi l’impact de la géo­po­li­tique sur l’intime dans l’espace post-soviétique.

Aurore Petit dessine pour la com­mu­ni­ca­tion et la presse, et conçoit des livres pour la jeunesse. Parallèlement, elle développe un travail de scé­no­gra­phie pour des adap­ta­tions de ses publi­ca­tions sur scène.

Cette bande dessinée est issue d’un travail plus long d’Audrey Lebel et Aurore Petit, ini­tia­le­ment publié dans le numéro 34 de La Revue dessinée (hiver 2021–2022), qui fait ici l’objet d’une réactualisation.

Résister en féministes : la lutte continue

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°15 Résister, parue en août 2024. Consultez le sommaire.

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