Et l’amour aussi : « Ce livre est une petite révolution »

La Déferlante Éditions publie Et l’amour aussi : un livre de photos et de témoi­gnages qui donne la parole à cinquante-trois les­biennes en France, dix ans après la loi ouvrant le mariage pour tous et toutes. Entretien avec son autrice, la pho­to­graphe Marie Docher.
Publié le 29 septembre 2023
Marie Docher est photographe, réalisatrice et activiste féministe. Elle est l'autrice de Et l'amour aussi
Béa Uhart

Comment est né le livre Et l’amour aussi ?

En 2013, la séquence politique du mariage pour tous et toutes a été vécue par beaucoup d’entre nous comme un épisode d’une grande violence.

La Manif pour tous était omni­pré­sente, nos droits repro­duc­tifs n’ont pas été pris en compte – la PMA pour les les­biennes a été ajournée. J’ai aussi été frappée, à l’époque, par le manque de repré­sen­ta­tion des les­biennes dans les médias : sur les plateaux, on ne voyait presque que des hommes hété­ro­sexuels. Avec ce livre, j’ai voulu réparer ce manque. Dans l’imaginaire collectif, les images de les­biennes sont rares ; je ne connais que deux livres de portraits sur les les­biennes : celui de l’artiste sud-africaine Zanele Muholi Faces and Phases 2006–2014 (Steidl, 2014) et celui de la pho­to­graphe états-unienne Joan E. Biren, Eye to Eye. Portraits of Lesbians, qui date de 1979 (réédité en 2019 chez Anthology).

Qui as-tu pho­to­gra­phié et comment as-tu abordé les portraits du livre ?

En 2021, j’ai candidaté à la bourse de la grande commande pho­to­gra­phique de la Bibliothèque nationale de France (BNF) intitulée « Radioscopie de la France » et je l’ai obtenue. Cet argent m’a permis de voyager dans plusieurs régions pour faire mes photos. Je me suis d’abord tournée vers des mili­tantes qui poli­tisent les vécus lesbiens. Mais je voulais abso­lu­ment éviter l’entre-soi. Il fallait montrer la diversité des parcours, des âges et des identités des lesbiennes.


« J’aimerais que les hétéros le lisent ! »


J’étais également consciente que la prise de vue pho­to­gra­phique peut parfois réactiver des rapports de domi­na­tion entre la personne qui capture l’image et celle dont l’image est capturée. C’était pri­mor­dial pour moi de faire ces portraits sur un pied d’égalité : je n’ai dirigé aucune prise de vue, ça s’est construit avec chaque personne por­trai­ti­sée. Je voulais que chacun·e se sente bien représenté·e.

Pourquoi était-il important d’accompagner les portraits de témoignages ?

Les photos laissent trop de place à des discours qui nous enferment en tant que les­biennes. On nous entend trop peu alors que nous avons beaucoup de choses à dire. Le fait d’être moi-même lesbienne et de partager une histoire commune avec les personnes pho­to­gra­phiées a permis de faire surgir une parole intime assez rare. Qu’elles soient en couple, céli­ba­taires ou qu’elles aient fondé une famille, je leur ai demandé ce que le mariage pour tous et toutes avait changé dans leur vie. Nous avons aussi échangé sur l’engagement, les repré­sen­ta­tions, ce que cela signifie de vivre dans une société hété­ro­nor­mée, et sur l’amour aussi !

Pourquoi avoir publié ce livre à La Déferlante éditions ?

Quelques semaines avant l’ob­ten­tion de la bourse de la BNF, le service ico­no­gra­phie de la revue m’avait commandé des photos du des­si­na­teur Claude Ponti. Je n’avais jamais fait de portrait avant cette commande, et je me ques­tion­nais beaucoup sur les dyna­miques de genre qui sous-tendent géné­ra­le­ment cet exercice. Du fait de ces liens entre­te­nus avec la revue, et parce que le projet s’inscrivait dans une démarche féministe, ça me parais­sait évident de publier ce travail aux éditions La Déferlante et de tra­vailler avec la direc­trice du service photo Ingrid Milhaud.
 
Que souhaites-tu pour ce livre ?

Ce livre est une petite révo­lu­tion en soi, car il n’en existait pas de semblable. Je le voulais acces­sible dans sa forme et dans son prix. J’avais envie qu’il tienne bien dans la main, que l’on puisse le trans­por­ter avec soi, près du corps. Le contraire d’un beau livre de photos qui coûte cher ! J’aimerais que le plus de monde possible s’en empare, que les hétéros le lisent, qu’il circule largement !

⟶ Et l’amour aussi, de Marie Docher, est dis­po­nible à partir du 26 octobre en librai­ries et dès main­te­nant en prévente sur le site de La Déferlante, au prix de 25 euros.

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