Comment est né le livre Et l’amour aussi ?
En 2013, la séquence politique du mariage pour tous et toutes a été vécue par beaucoup d’entre nous comme un épisode d’une grande violence.
La Manif pour tous était omniprésente, nos droits reproductifs n’ont pas été pris en compte – la PMA pour les lesbiennes a été ajournée. J’ai aussi été frappée, à l’époque, par le manque de représentation des lesbiennes dans les médias : sur les plateaux, on ne voyait presque que des hommes hétérosexuels. Avec ce livre, j’ai voulu réparer ce manque. Dans l’imaginaire collectif, les images de lesbiennes sont rares ; je ne connais que deux livres de portraits sur les lesbiennes : celui de l’artiste sud-africaine Zanele Muholi Faces and Phases 2006–2014 (Steidl, 2014) et celui de la photographe états-unienne Joan E. Biren, Eye to Eye. Portraits of Lesbians, qui date de 1979 (réédité en 2019 chez Anthology).
Qui as-tu photographié et comment as-tu abordé les portraits du livre ?
En 2021, j’ai candidaté à la bourse de la grande commande photographique de la Bibliothèque nationale de France (BNF) intitulée « Radioscopie de la France » et je l’ai obtenue. Cet argent m’a permis de voyager dans plusieurs régions pour faire mes photos. Je me suis d’abord tournée vers des militantes qui politisent les vécus lesbiens. Mais je voulais absolument éviter l’entre-soi. Il fallait montrer la diversité des parcours, des âges et des identités des lesbiennes.
« J’aimerais que les hétéros le lisent ! »
J’étais également consciente que la prise de vue photographique peut parfois réactiver des rapports de domination entre la personne qui capture l’image et celle dont l’image est capturée. C’était primordial pour moi de faire ces portraits sur un pied d’égalité : je n’ai dirigé aucune prise de vue, ça s’est construit avec chaque personne portraitisée. Je voulais que chacun·e se sente bien représenté·e.
Pourquoi était-il important d’accompagner les portraits de témoignages ?
Les photos laissent trop de place à des discours qui nous enferment en tant que lesbiennes. On nous entend trop peu alors que nous avons beaucoup de choses à dire. Le fait d’être moi-même lesbienne et de partager une histoire commune avec les personnes photographiées a permis de faire surgir une parole intime assez rare. Qu’elles soient en couple, célibataires ou qu’elles aient fondé une famille, je leur ai demandé ce que le mariage pour tous et toutes avait changé dans leur vie. Nous avons aussi échangé sur l’engagement, les représentations, ce que cela signifie de vivre dans une société hétéronormée, et sur l’amour aussi !
Pourquoi avoir publié ce livre à La Déferlante éditions ?
Quelques semaines avant l’obtention de la bourse de la BNF, le service iconographie de la revue m’avait commandé des photos du dessinateur Claude Ponti. Je n’avais jamais fait de portrait avant cette commande, et je me questionnais beaucoup sur les dynamiques de genre qui sous-tendent généralement cet exercice. Du fait de ces liens entretenus avec la revue, et parce que le projet s’inscrivait dans une démarche féministe, ça me paraissait évident de publier ce travail aux éditions La Déferlante et de travailler avec la directrice du service photo Ingrid Milhaud.
Que souhaites-tu pour ce livre ?
Ce livre est une petite révolution en soi, car il n’en existait pas de semblable. Je le voulais accessible dans sa forme et dans son prix. J’avais envie qu’il tienne bien dans la main, que l’on puisse le transporter avec soi, près du corps. Le contraire d’un beau livre de photos qui coûte cher ! J’aimerais que le plus de monde possible s’en empare, que les hétéros le lisent, qu’il circule largement !
⟶ Et l’amour aussi, de Marie Docher, est disponible à partir du 26 octobre en librairies et dès maintenant en prévente sur le site de La Déferlante, au prix de 25 euros.