Études de genre : le féminisme dans les amphis

par et

Depuis une quinzaine d’années, les études de genre attirent un nombre croissant d’étudiant·es dans les universités. Longtemps jugées suspectes, car trop militantes, elles offrent désormais des débouchés professionnels que les responsables de formation mettent volontiers en avant. Mais elles sont fragilisées par le sous-financement constant des institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche, autant que par des attaques d’ordre politique.

En 2009, Marie Perrin rentre d’un séjour uni­ver­si­taire en Angleterre. Là-bas, la décou­verte des women’s stu­dies lui a ouvert des hori­zons nou­veaux. Mais dès la réunion de pré­sen­ta­tion du mas­ter 1 à Sciences Po Lille où elle est étu­diante, elle entend des pro­fes­seurs pré­ci­ser qu’ils ne veulent pas de « sujets de bonne femme » pour les mémoires à réa­li­ser dans le cadre de ce cur­sus. Elle per­siste néan­moins sur les sujets en ques­tion en cher­chant jus­te­ment à ques­tion­ner la résis­tance aca­dé­mique qu’elle a vu s’exprimer : au prin­temps 2022, elle sou­tient une thèse de socio­lo­gie sur la pro­gres­sive ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion des études de genre au sein des uni­ver­si­tés fran­çaises et anglaises. En quinze ans, les choses ont évo­lué, constate-t-elle: « Durant les der­nières années de ma thèse, dans mon cercle fami­lial et ami­cal, j’ai vu les gens mani­fes­ter de l’approbation et de l’enthousiasme quand j’évoquais mon sujet. De fait, les études de genre ont décol­lé en une décen­nie. » 

Dans les éta­blis­se­ments uni­ver­si­taires qui pro­posent des cur­sus inter­dis­ci­pli­naires pro­fi­lés « genre », le suc­cès auprès des étudiant·es est mani­feste : à l’université Paris 8 Saint-Denis, depuis l’ouverture en 2015 du mas­ter Études sur le genre, le nombre de can­di­da­tures n’a ces­sé de croître, et la capa­ci­té d’accueil offi­cielle de 98 places est sys­té­ma­ti­que­ment dépas­sée depuis cinq ans. À Paris 1 Panthéon Sorbonne, qui se pré­sente comme « la plus grande uni­ver­si­té de sciences humaines et sociales en France », un mas­ter simi­laire a vu le jour en 2019: à la ren­trée 2022, 30 étudiant·es ont été accepté·es en M1 pour un total de 294 candidatures. 

À Bordeaux Montaigne, l’équipe d’enseignant·es chercheur·euses qui inter­vient dans le mas­ter genre est par­ve­nue, dans un contexte glo­bal d’austérité bud­gé­taire, à une petite vic­toire. « Lors de sa créa­tion en 2016, c’était un cur­sus low cost conçu à titre expé­ri­men­tal, avec une allo­ca­tion horaire réduite par rap­port à des dis­ci­plines plus clas­siques: la for­ma­tion repo­sait sur la par­ti­ci­pa­tion à des sémi­naires spé­ci­fiques de dif­fé­rents dépar­te­ments – his­toire, lettres, études anglo­phones ou his­pa­no­phones, ou encore arts. Mais comme l’université se tar­guait de faire de la lutte contre les dis­cri­mi­na­tions et les inéga­li­tés de genre une prio­ri­té, nous avons poin­té le double dis­cours, et nous sommes parvenu·es en 2022 à obte­nir davan­tage d’heures dédiées et une accré­di­ta­tion pour cinq ans», explique le socio­logue Michael Stambolis-Ruhstorfer, maître de confé­rences en civi­li­sa­tion américaine.

Dans des dis­ci­plines long­temps res­tées rétives à l’emploi du genre comme outil d’analyse, telles que […]

Lire cet article

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°9, de février 2023. La Déferlante est une revue trimestrielle indépendante consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.

La Déferlante 9 - Baiser