Gaza, documenter la guerre

Depuis l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, l’enclave de Gaza est assiégée et sous le feu des bom­bar­de­ments israé­liens. Alors que le bilan des jour­na­listes tué·es depuis le début de la guerre ne cesse de s’alourdir, seul·es les jour­na­listes palestinien·nes sont désormais en mesure de la couvrir, au prix de risques inouïs. De Ramallah à Gaza, La Déferlante a recueilli leurs témoignages.
Publié le 2 février 2024
À l’hôpital Nasser, des journalistes échangent dans la tente mise en place par l’association Filastiniyat. De gauche à droite : Du’aa Abu Ta’ima (journaliste indépendante), Aya Abu Judeh (reportrice pour un média allemand), Du’aa Khaled (qui travaille pour la chaîne palestinienne Al-Quds Today) et Hala Asfour.
À l’hôpital Nasser, des jour­na­listes échangent dans la tente mise en place par l’association Filastiniyat. De gauche à droite : Du’aa Abu Ta’ima (jour­na­liste indé­pen­dante), Aya Abu Judeh (repor­trice pour un média allemand), Du’aa Khaled (qui travaille pour la chaîne pales­ti­nienne Al-Quds Today) et Hala Asfour. Hala Asfour assistée de Mohammad Salam

Wafa’ Abdel Rahman court après le temps, mais au fond ça l’arrange. Ça lui évite de ressasser. Sa sil­houette alerte, en robe et bottes noires, passe d’un bureau à l’autre dans les locaux de Filastiniyat (« pales­ti­niennes » en français).

L’organisation qu’elle dirige est une sorte d’incubateur qui forme et publie des jour­na­listes palestinien·nes, prin­ci­pa­le­ment des femmes, mais aussi des jeunes reporters et repor­trices. Par la fenêtre, on aperçoit les collines de Ramallah, au centre de la Cisjordanie, déna­tu­rées par presque trente ans d’urbanisation anar­chique, depuis que la ville est devenue le siège de l’Autorité pales­ti­nienne au milieu des années 1990 (lire l’encadré ci-dessous). Dans les bureaux, les écrans diffusent en direct des images de des­truc­tion de Gaza, l’autre partie des ter­ri­toires pales­ti­niens occupés par Israël depuis 1967. Des corps sont extraits des décombres ; des Gazaoui·es courent dans le chaos après un bom­bar­de­ment ; des vidéos de pro­pa­gande montrent d’un côté des soldat·es israélien·nes et de l’autre des com­bat­tants des brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, s’affrontant dans des rues devenues d’immenses champs de ruines. Depuis le 7 octobre 2023, la mort dévaste l’enclave pales­ti­nienne. Wafa’ y est née, elle y a de la famille, des collègues. Israël mène à Gaza « une guerre géno­ci­daire », assène-t-elle. Début novembre, sept expert·es de l’ONU aler­taient déjà : « Le peuple pales­ti­nien court un grave risque de génocide. »

Wafa’ demande à un collègue de prendre des captures d’écran du compte X de l’ONG, pointant des messages de menaces émanant de « groupes sionistes ». « On les bloque, mais ce serait bien de garder des traces. Je n’y accorde pas trop d’attention, mais clai­re­ment, ça fait peur. » Tout au long de la conver­sa­tion, la Palestinienne de 51 ans oscille. Parfois, son franc-parler et ses traits d’humour typi­que­ment gazaouis prennent le dessus. Puis la colère transpire, sa voix de fumeuse, énergique, s’étiole un peu, tra­his­sant l’angoisse abyssale qui ne la quitte plus depuis le 7 octobre. Après les massacres commis par le Hamas et des com­bat­tants pales­ti­niens en Israël, puis le carnage des bombes israé­liennes en repré­sailles sur Gaza, il y a d’abord eu le choc. Les premiers jours à pleurer, à appeler la famille. « J’étais brisée. On n’arrivait à rien faire. C’était trop dur », se souvient Wafa’. Au bout d’une semaine, elle a contacté les jour­na­listes sur place : les 400 femmes du club que Filastiniyat tient à Gaza, et elles ont lancé un fonds d’urgence. « Au moins, j’ai eu le sentiment que je n’étais plus juste spec­ta­trice. »

La charge de l’information repose sur les palestinien·nes

 

Wafa’ a créé Filastiniyat en 2005, en Cisjordanie d’abord, avant de l’implanter aussi à Gaza en 2009. À l’époque, la jeune femme, qui a fait des études de politique et déve­lop­pe­ment aux Pays-Bas, militait dans les orga­ni­sa­tions fémi­nistes et de jeunesse. « En Palestine, la question du féminisme et des rapports de genre est très contrainte par la situation coloniale », analyse Flora Gonseth Yousef, doc­to­rante en socio­lo­gie à Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, dont la thèse porte sur l’activisme des femmes dans les mobi­li­sa­tions anti­car­cé­rales pales­ti­niennes. Wafa’ abonde. Les dis­cri­mi­na­tions de genre ne sont pas propres à la société pales­ti­nienne, dit-elle : « C’est un système qui ronge tout le monde arabe. Le monde entier, en fait ». Sauf qu’en plus, précise-t-elle encore, « moi [en tant que Palestinienne], je fais face à une occu­pa­tion qui menace ma présence ».

Les jour­na­listes palestinien·nes docu­mentent la violence de cette situation coloniale. En près de vingt ans, l’ONG de Wafa’ en a formé des centaines, à qui elle fournit aussi du matériel. Filastiniyat travaille avec un réseau de pigistes dont elle diffuse le travail à travers des par­te­na­riats et via son agence de presse interne, Nawa. « Avant cette guerre géno­ci­daire, les femmes jour­na­listes récla­maient du soutien psy­cho­lo­gique et des for­ma­tions », souligne Wafa’. Dans l’enclave sous blocus depuis 2007, il était quasi impos­sible d’avoir accès à des mentors venus d’ailleurs, de se renou­ve­ler au contact d’autres cultures. En plus de cela, la guerre rôdait, et dévastait l’enclave à inter­valles réguliers. En Cisjordanie, les jour­na­listes couvrent régu­liè­re­ment enter­re­ments et affron­te­ments. Les crimes commis par l’armée israé­lienne font rarement l’objet d’enquêtes et sont encore moins véri­ta­ble­ment sanc­tion­nés. Tout cela laisse des marques.

Aujourd’hui, Filastiniyat fournit une aide maté­rielle néces­sai­re­ment insuf­fi­sante à Gaza : des cartes SIM vir­tuelles d’opérateurs étrangers pour contour­ner le blocage des com­mu­ni­ca­tions, une tente pour que les femmes jour­na­listes aient un peu d’intimité… Depuis le 7 octobre, la bande de Gaza est fermée aux jour­na­listes étranger·es. Rapidement après le début de la guerre, les orga­ni­sa­tions de défense des droits humains ont aussi cessé d’envoyer leurs chercheur·euses sur le terrain, estimant que c’était trop dangereux. « Les seul·es qui docu­mentent aujourd’hui ce qui se passe sont les jour­na­listes palestinien·nes, sous les bom­bar­de­ments constants », martèle Wafa’.

Une guerre contre les journalistes

 

Derrière ses écrans à Ramallah, Bara’ Alqadi, le res­pon­sable des réseaux sociaux âgé de 31 ans, récep­tionne leurs pro­duc­tions. Casquette noire vissée sur le crâne, il choisit ses mots avec soin. On sent une rage sourde en lui. Le travail des jour­na­listes, malgré les condi­tions, est d’une qualité « excep­tion­nelle », souligne-t-il à plusieurs reprises. Certaines ne sont pas rentrées dans leur famille depuis des semaines. « Elles risquent d’être visées jusque dans leur maison. Parfois, elles mettent leurs enfants quelque part et ne viennent plus les voir, de crainte que l’endroit soit bombardé parce qu’elles s’y trouvent. Ce ne sont pas des peurs sans fon­de­ments, c’est déjà arrivé », insiste le jeune homme, ses grands yeux noirs se détachant un instant des écrans. Il cite l’exemple de Roshdi Sarraj (1), jour­na­liste très connu à Gaza, qui col­la­bo­rait avec plusieurs médias français, ou Sari Mansour et Salim Hassouneh (2) qui tra­vaillaient pour l’agence de presse locale pales­ti­nienne Quds News Network. Chaque fois, « seul l’appartement où ils se trou­vaient a été visé, pas le reste de l’immeuble, précise Bara’. Dans les mani­fes­ta­tions en Cisjordanie, les reporters et repor­trices qui se mettent sur le côté sont malgré tout pris·es pour cible. Ce n’est pas nouveau que les Israélien·nes visent les jour­na­listes pour les tuer ». Le jeune homme retourne à ses écrans ; une des jour­na­listes vient de lui envoyer un message personnel. Les bom­bar­de­ments sont intenses, elle n’arrive pas à tra­vailler, s’excuse-t-elle. Bara’ est aussi parfois le dépo­si­taire de ce que les jour­na­listes ne peuvent confier à leurs proches, pris·es elles et eux aussi dans l’horreur de la guerre.

« J’ai été réveillée par la voix de mon enfant qui réclamait un bout de pain. Je n’avais rien à lui donner mais il ne me croyait pas. Il a crié plus fort et les autres se sont réveillés, ils se sont mis à chercher un quignon qui aurait été oublié dans un coin de la cuisine. Comment Omar, 4 ans, peut-il com­prendre qu’Israël nous affame ? » Dans un arabe très imagé, la jour­na­liste gazaouie de Filastiniyat Marah Elwadiya décrit en détail, dans une série de messages envoyés sur WhatsApp à La Déferlante, son quotidien enfermé dans la peur, la faim et le trau­ma­tisme. Sur sa page Instagram, avant les photos prises pendant la guerre, apparaît une tout autre Gaza. Des portraits de Marah, souriante, son voile élé­gam­ment assorti à ses tenues, avec son mari ou son fils, à la plage, à la piscine. Un café plein à craquer où femmes et hommes bon­dissent de leurs sièges pour applaudir la victoire du Maroc à un match de la Coupe du monde 2022. Au milieu de ces images heureuses surgit déjà aussi une vidéo de son fils effrayé par un bom­bar­de­ment lors d’une offensive israé­lienne sur Gaza en mai 2023.

Marah a commencé à étudier le jour­na­lisme en 2008. Le 27 décembre cette année-là, Israël lance sa première opération militaire d’ampleur contre Gaza après l’arrivée du Hamas au pouvoir en 2007. « Depuis, c’est comme si j’étais née dans la guerre », nous dit-elle. Début décembre, elle en était à son sixième dépla­ce­ment forcé (3) en deux mois. « Travailler ici relève du jamais-vu. Il n’y a pas d’électricité, ni Internet, aucun transport, pas de moyens de com­mu­ni­ca­tion ou d’équipements de sécurité adéquats. C’est lourd et dou­lou­reux aussi d’un point de vue émo­tion­nel. Nous vivons les histoires que les gens partagent avec nous comme si elles étaient les nôtres, nous entendons les détails de chaque perte. Le deuil d’enfants, de pères, de mères, de frères et de sœurs. Des foyers emportés. Nous mémo­ri­sons les histoires des disparu·es et nous encais­sons. »

 

Les jour­na­listes Hala Asfour (à gauche) et Bouthaïna Harara (à droite) devant l’hôpital Nasser. La première est indé­pen­dante, la seconde travaille pour un média jordanien. Blessée par un tir d’obus et plusieurs fois évacuée, Bouthaïna Harara couvre le conflit dans les hôpitaux.

Travailler dans la peur

 

Comme tous·tes les Gazaoui·es, les jour­na­listes vivent ce deuil permanent dans leur chair ; certaines jour­na­listes de Filastiniyat ont perdu des membres de leurs familles. « Je suis une sur­vi­vante acci­den­telle de la spirale de la mort orches­trée par Israël qui nous enserre », constate Marah. Sa consœur Bouthaïna Harara (en photo page 9), une jour­na­liste indé­pen­dante qui fait également partie du réseau Filastiniyat, a été blessée avec son mari et ses trois enfants dans un tir d’obus qui a touché la maison où elle était réfugiée à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Elle a dû fuir une nouvelle fois avant d’atterrir à Rafah, à la frontière égyp­tienne – sa neuvième éva­cua­tion en deux mois.

« J’ai la trentaine, et mes cheveux blan­chissent déjà du fait de la peur et de tout ce que j’ai vu en pho­to­gra­phiant les horreurs des crimes de l’occupation israé­lienne », écrit-elle dans un long message à La Déferlante. Bouthaïna couvre le conflit dans les hôpitaux, rap­por­tant l’effondrement du système de santé : visé par les attaques israé­liennes et incapable de faire face à l’afflux constant de blessé·es graves. Quand elle est sur le terrain, elle est rongée par l’angoisse que les sien·nes meurent dans un bom­bar­de­ment loin d’elle.


« Il existe un savoir qui a été construit par les fémi­nistes pales­ti­niennes, capables d’aller chercher la trans­for­ma­tion là où elle est possible. »

Flora Gonseth Yousef, doc­to­rante en socio­lo­gie à Paris 8


 

« À cause de la peur, mes règles sont devenues dou­lou­reuses, mon cycle menstruel me fatigue beaucoup », confie-t-elle. Mi-novembre, une autre jour­na­liste gazaouie, Hind Khoudary, twittait déjà : « Trois de mes amies et moi-même avons eu nos règles deux fois en 42 jours. Nous sommes stressées, frustrées et angois­sées. » Trois semaines plus tard, elle rap­por­tait qu’elle ne trouvait plus de ser­viettes hygié­niques. Bouthaïna fait la queue pour accéder à la salle de bains dans les appar­te­ments ou les abris qui débordent de déplacé·es. L’eau se fait rare. Elle passe des jours sans pouvoir prendre une douche, elle ne peut pas laver ses vêtements. Il n’y a plus d’analgésiques, elle n’a rien sous la main pour soulager les crampes menstruelles.

Ces récits font écho aux témoi­gnages recueillis à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, par la cher­cheuse pales­ti­nienne Nadera Shalhoub-Kevorkian lors de la seconde intifada (2000–2005). Pendant l’invasion de l’armée israé­lienne, ouvrir les fenêtres signi­fiait pos­si­ble­ment s’exposer aux tirs ; bouger d’une pièce à l’autre était dangereux. Une Palestinienne racontait s’être retrouvée coincée avec sa belle-fille qui saignait abon­dam­ment après son accou­che­ment et avec d’autres femmes qui avaient leurs règles. La pièce avait été envahie par l’odeur du sang. « Je savais per­son­nel­le­ment qu’être une femme était une malé­dic­tion, mais je n’imaginais pas que c’était à ce point », avait-elle conclu.

La repor­trice indé­pen­dante Hala Asfour documente les condi­tions de vie des femmes déplacées par la guerre. Ici dans les camps près de l’hôpital Nasser. Entre le 7 octobre et la fin novembre 2023, près de 800 000 femmes et enfants avaient été déplacé·es dans la bande de Gaza.

Une « violence coloniale de genre »

 

Israël exerce une « violence coloniale de genre » contre les Palestiniennes, souligne Flora Gonseth Yousef, qui rapporte par exemple que les pri­son­nières n’ont pas accès à des consul­ta­tions gyné­co­lo­giques. À Gaza, les femmes sont quasiment absentes des rangs des com­bat­tants du Hamas qu’Israël a désignés comme sa cible. Pourtant, depuis le 7 octobre, elles sont « sur­re­pré­sen­tées parmi les mort·es », remarque la cher­cheuse. Elle dénonce une situation « aux dimen­sions apo­ca­lyp­tiques. Les accou­che­ments par césa­rienne sans anes­thé­sie, la condition de réfugiée qui, on le sait, aggrave les violences de genre. Alors que sur l’offensive [du Hamas] du 7 octobre, il y a déjà plein de discours qui disent : “Il faut prendre en compte les crimes qui ont été spé­ci­fi­que­ment commis contre les femmes”, ça m’interpelle que, dans le contexte de Gaza, ces dimensions-là, qui rendent un conflit plus horrible, soient invi­si­bi­li­sées, notamment par des orga­ni­sa­tions qui sont censées avoir comme priorité le droit des femmes. »

Plus glo­ba­le­ment, la socio­logue critique l’approche des États et ins­ti­tu­tions étran­gères qui financent en partie la société civile pales­ti­nienne, notamment les mou­ve­ments pour les droits des femmes. Ils ont eu tendance à « dépo­li­ti­ser tout le secteur asso­cia­tif, parce qu’ils ont bien compris combien ce secteur a été à la pointe de la lutte et des mobi­li­sa­tions col­lec­tives pendant la première intifada », explique-t-elle. La plupart des bailleurs vont ainsi indi­vi­dua­li­ser la question féministe en Palestine, notamment pour éviter de l’aborder dans le contexte plus large de la violence coloniale israé­lienne et de son impact sur les femmes : « On ne va parler que de la violence intra-palestinienne et cela va donner une image peu relui­sante de la société pales­ti­nienne. » Cette dernière est, à de nombreux égards, conser­va­trice. Mais « on ne peut pas comparer le conser­va­tisme pales­ti­nien avec le conser­va­tisme aux États-Unis, note encore Flora Gonseth Yousef. Ce ne sont pas les mêmes dyna­miques poli­tiques et sociales. On est dans une société de la survie, en proie à une violence extrême. » Qui doit, d’une certaine manière, se conserver pour ne pas dis­pa­raître sous la domi­na­tion coloniale. « Il faut voir ce qui bouge de l’intérieur. Il existe un savoir qui a été construit par les fémi­nistes pales­ti­niennes, capables d’aller chercher la trans­for­ma­tion là où elle est possible », conclut la chercheuse.

À Ramallah, Wafa’ connaît bien les ambiva­lences de ces bailleurs occi­den­taux. Alors qu’elle remballe ses affaires, elle emporte avec elle une énième demande de finan­ce­ment d’urgence qu’elle remplira pro­ba­ble­ment dans la nuit au lieu de dormir. « Partout dans le monde, les femmes doivent se battre au sein de leur société. Mais les Palestiniennes doivent se battre contre d’autres sté­réo­types. Dans le monde arabe, on nous identifie comme les mères et les sœurs des martyrs et des pri­son­niers… Ils nous voient comme des héroïnes parce qu’on appar­tient à des hommes héroïques. En Occident, on veut nous appliquer les pro­grammes [de déra­di­ca­li­sa­tion] qu’on met en œuvre en Égypte ou en Syrie, voire en Afghanistan. Mais le combat pales­ti­nien est spé­ci­fique du fait de l’occupation ! », explique-t-elle. Elle hausse la voix en reprenant les clichés orien­ta­listes qu’elle sent peser sur ses épaules depuis des décennies – celui de la femme arabe, forcée de porter le voile, pri­son­nière de son foyer. Puis elle ajoute fièrement : « Je suis là, moi, musulmane, pales­ti­nienne, arabe. Et pourtant, je suis arrivée à un point où, peut-être, des milliers de femmes en Occident ne sont jamais parvenues. » •

Reportage réalisé par Clothilde Mraffko à Ramallah en décembre 2023. Journaliste installée à Jérusalem, elle observe les trans­for­ma­tions de la société pales­ti­nienne en Cisjordanie, à Gaza, en Israël et dans la diaspora. Elle collabore au Monde et à Orient XXI. Ce reportage a été édité par Diane Milelli. La Déferlante remercie Bara’ Alqadi, Éléonore Fallot et Anne Roy pour leur aide.

Reportage photo réalisé par Hala Asfour, jour­na­liste pales­ti­nienne indé­pen­dante. Depuis le début de la guerre qui ravage Gaza, elle documente le sort des déplacé·es, basée à l’hôpital Nasser, à Khan Younès, dans le sud de l’enclave. Elle fut assistée de Mohammad Salama pour La Déferlante le 24 décembre 2023 à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.

75 ans d’occupation

En 1948, plus de 700 000 Palestinien·nes sont expulsé·es lors de la création de l’État d’Israël. À partir de 1967, après la guerre des Six Jours, Israël occupe Gaza et la Cisjordanie dont Jérusalem-Est, et y installe ses habitant·es en créant des colonies, en violation du droit inter­na­tio­nal. Sur un même ter­ri­toire, les Israélien·nes jouissent de la loi civile et les Palestinien·nes sont soumis·es à la loi militaire israélienne.
En 1987 éclate la première intifada, un sou­lè­ve­ment populaire pales­ti­nien vio­lem­ment réprimé par l’armée israé­lienne. En 1993 sont signés les accords de paix d’Oslo, et l’Autorité pales­ti­nienne (AP) est créée, censée être un premier pas vers un État pales­ti­nien indé­pen­dant. Mais en 2000, l’échec du processus de paix débouche sur la seconde intifada, encore plus sanglante que la première.
En 2005, le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, décide le retrait des troupes armées et des colonies israélien·nes de Gaza. Un an plus tard, le mouvement islamiste du Hamas remporte les élections légis­la­tives pales­ti­niennes. En 2007, les factions pales­ti­niennes se déchirent, et le Hamas prend le contrôle de Gaza.
L’AP, seul repré­sen­tant des Palestinien·nes reconnu par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, gouverne sans pouvoir en Cisjordanie, où l’État d’Israël intensifie
la colo­ni­sa­tion et la répres­sion. À Gaza, l’État hébreu pense contenir le Hamas en alternant frappes mili­taires et allè­ge­ments à la marge du blocus. Jusqu’au 7 octobre 2023, jour où les com­bat­tants du mouvement islamiste lancent une attaque sur le ter­ri­toire israélien, y com­met­tant des massacres et tuant 1 140 personnes.


(1) Roshdi Sarraj a été tué lors d’un bom­bar­de­ment de la ville de Gaza, le 22 octobre. Sa femme et sa fille de quelques mois ont été blessées.

(2) Sari Mansour, 32 ans, et Salim Hassouneh, 28 ans, ont été tués le 18 novembre dans un bom­bar­de­ment israélien sur le camp de réfugié·es d’Al Bureij, dans le centre de la bande de Gaza. Selon Reporters sans fron­tières, Salim Hassouneh avait reçu la veille une menace de mort liée à son travail.

(3) À plusieurs reprises l’armée israé­lienne a largué des tracts pour sommer la popu­la­tion gazaouie de se déplacer à l’intérieur de l’enclave, entraî­nant des éva­cua­tions répétées vers le sud dans des condi­tions de sécurité et de survie effroyables.

Avorter : Une lutte sans fin

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Consultez le sommaire.

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