C’est Alice Diop qui a eu l’idée de cette rencontre : la cinéaste de 42 ans rêvait de dialoguer avec l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira, âgée de 69 ans. De loin, les deux femmes nourrissaient une admiration et une affection réciproques. Femmes noires dans une société où le racisme s’exprime sans fard, elles ont en partage l’expérience de la violence subie et l’art d’y résister. Grâce à la littérature, au cinéma, à l’amitié, ainsi qu’à une réflexion puissante et sensible sur les legs de l’Histoire, elles ouvrent d’autres imaginaires émancipateurs.

Marie Docher
Christiane Taubira, qu’est ce-que le travail d’Alice Diop vous inspire ?
CHRISTIANE TAUBIRA. Ce que je ressens lorsque je regarde ses images, lorsque je l’entends, lorsque je lis ce qu’elle déclare, c’est de l’admiration et de la gratitude. Alice symbolise cette génération qui ouvre son chemin: elle pose ses questions, bouscule les choses. Je l’aime d’affection parce que c’est une belle jeune femme, parce qu’elle assume d’exister dans l’espace public. Elle ne courbe pas l’échine, elle ne s’étonne pas d’être reconnue, d’être admirée. Et ça, c’est une assurance qui est absolument formidable.
ALICE DIOP. Merci, ça me touche beaucoup.
En 2001, la loi Taubira reconnaît l’esclavage comme crime contre l’humanité. Alice Diop, qu’est-ce que la figure de Christiane Taubira, alors députée et rapporteuse de la loi à l’Assemblée nationale, a représenté pour la jeune adulte que vous étiez ?
ALICE DIOP. Je crois qu’il n’y a pas une seule femme noire française qui ne vous considère pas comme son héroïne, Christiane Taubira. Moi, vous êtes mon héroïne ! Je vous ai toujours considérée comme une mère, même si on ne s’était jamais rencontrées. Cette légitimité dont vous parlez, il m’a fallu des années d’analyse pour l’acquérir, pour arriver à consolider à l’intérieur de moi-même une force et une détermination me permettant de supporter les violences, les attaques que l’on subit lorsqu’on naît femme noire dans cette société-là. J’ai grandi dans […]