Lois sur la parité : on s’est encore fait arnaquer

En ins­tau­rant par la loi du 6 juin 2000 la parité femmes-hommes en politique, la France a joué un rôle pré­cur­seur pour tenter de corriger les effets de siècles d’exclusion des femmes des sphères de pouvoir. Mais les dés étaient pipés. Vingt ans plus tard, on ne peut que constater que l’exigence de parité n’a pas ruisselé.

par

Publié le 7 février 2022

Ça y est : (presque) tout le monde est pour la parité. Voilà au moins une doléance rai­son­nable et répu­bli­caine, un levier d’action à la fois simple, visible et efficace, qui a le mérite de ne pas coûter un sou. 

Pilier des ini­tia­tives légis­la­tives des vingt dernières années en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, la parité est également devenue un mar­ron­nier per­met­tant à peu de frais de mesurer le volon­ta­risme des diri­geants poli­tiques – combien de femmes dans le prochain gou­ver­ne­ment ? Aura-t-on enfin une Première ministre ? Ou, plus audacieux, une préfète de police ?

Égalité en droit mais inégalités sociales

L’adoption pro­gres­sive des lois pour la parité n’a pourtant pas été facile. Outre l’évidente oppo­si­tion des nombreux hommes qui ont vu leur échapper la pers­pec­tive d’un mandat ou d’un poste, elle a d’abord été retardée par le Conseil consti­tu­tion­nel, pour qui le principe d’égalité devant la loi était incom­pa­tible avec toute dis­tinc­tion des citoyen·nes par caté­go­ries – donc avec toute action politique ciblant direc­te­ment une catégorie dis­cri­mi­née pour faire advenir l’égalité de fait. Après ne s’être longtemps appliquée qu’aux hommes (les Françaises ne s’étant vu concéder le droit de vote qu’en 1944), la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, forte de son récent uni­ver­sa­lisme, faisait obstacle à toute  recon­nais­sance légis­la­tive des dis­cri­mi­na­tions dont les femmes étaient victimes.

Il a fallu modifier la Constitution en 1999 pour autoriser « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats élec­to­raux », puis en 2008 pour y ajouter les « res­pon­sa­bi­li­tés pro­fes­sion­nelles et sociales ». Deux séries de textes ont pu alors instaurer la parité en matière de mandats élec­to­raux et fonctions électives, ainsi que dans les conseils d’administration et de sur­veillance des grandes entre­prises. Les grands moyens ont été employés pour tenter  d’abattre ce plafond de verre qui prive les femmes de l’accès aux positions de pouvoir politique et éco­no­mique les plus hautes, ou en tout cas les plus osten­sibles et sym­bo­liques. Cet effort est toujours en cours : en témoigne la pro­po­si­tion de loi examinée à l’Assemblée nationale à l’automne dernier, qui prévoit l’instauration de quotas de femmes aux postes exécutifs des grandes entreprises.

Force est cependant de constater que l’exigence de parité n’a pas ruisselé. Son effet s’est stric­te­ment borné aux pres­crip­tions légales, sans jamais les dépasser : si on compte aujourd’hui 42 % de femmes parmi les conseillers et conseillères muni­ci­pales grâce aux règles de com­po­si­tion paritaire des listes élec­to­rales, elles ne repré­sentent que 20 % des maires fina­le­ment élu·es. De la même manière, son principe ne s’est propagé ni hori­zon­ta­le­ment dans les espaces de pouvoir que la loi ne cible pas – postes de direction du privé ou du public, plateaux de télé­vi­sion, res­pon­sables nationaux des partis poli­tiques et des confé­dé­ra­tions syn­di­cales –, ni ver­ti­ca­le­ment : l’entrée massive des femmes dans les conseils d’administration des entre­prises du CAC 40 n’a pas le moins du monde contribué à réduire les inéga­li­tés de rému­né­ra­tion entre salarié·es.

C’est le défaut originel des lois sur la parité : elles n’opèrent ni ne tra­duisent aucune trans­for­ma­tion des men­ta­li­tés ou de la structure de la société. Elles n’ont au contraire que pour but d’ouvrir certaines portes à certaines femmes – ces « femmes puis­santes », déjà arrivées, ou presque, à qui l’on veut donner les mêmes chances qu’aux hommes, en tout cas ceux de leur milieu social. Aussi, quel est l’intérêt politique et pratique pour les autres femmes, l’immense majorité, celles qui demeu­re­ront toujours trop loin pour se heurter à ces plafonds de verre ? Quel est l’intérêt de voir des femmes accéder à des postes élevés, si elles ne sont là que pour exercer le pouvoir et non pour le changer ?

La complémentarité sans remise en cause des discriminations

Si ce n’était que cela, les lois sur la parité ne seraient qu’un dis­po­si­tif décevant aux gains limités. Mais, en devenant le paradigme ins­ti­tu­tion­nel de l’égalité entre les sexes, il est à craindre que la parité ait condamné d’autres modalités d’action. Car l’accroc à la sacro­sainte égalité devant la loi que repré­sente l’imposition de règles pari­taires n’a en effet pu être justifié idéo­lo­gi­que­ment et juri­di­que­ment que par la recon­nais­sance du caractère naturel de la dif­fé­rence de genre : le genre n’y est pas appré­hen­dé comme un principe d’infériorisation des femmes, mais comme une heureuse com­plé­men­ta­ri­té. Les lois pour la parité n’ont pas pour fonction de remettre en cause les dis­cri­mi­na­tions struc­tu­relles : si les sanctions prévues par la loi s’appliquent indif­fé­rem­ment en cas de sur­re­pré­sen­ta­tion d’hommes ou de femmes, c’est bien qu’il ne s’agit pas d’améliorer la présence globale des femmes dans les espaces de décision, mais seulement d’assurer, table par table, que les deux faces supposées de l’espèce humaine soient également repré­sen­tées. Parfaitement digérée par la doctrine uni­ver­sa­liste, la parité est devenue l’opposé sym­bo­lique de la réunion non mixte : le réta­blis­se­ment de l’harmonie par le haut contre un outil d’émancipation par le bas. Si elle apparaît comme une cor­rec­tion bienvenue, c’est qu’elle n’a vocation ni à s’attaquer aux hié­rar­chies struc­tu­relles ni à s’étendre à d’autres minorités sociales. Illusion d’optique donnant la convic­tion d’une égalité déjà réalisée, elle ferme plus de portes qu’elle n’en ouvre. 

Parler : les voix de l’émancipation

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°5 Parler (mars 2022)

Dans la même catégorie