En mars dernier est paru le rapport « La transidentification des mineurs », produit par des sénateur·ices Les Républicains (LR). Les sites d’information Les Jours et Mediapart l’épinglent pour son absence de méthodologie et de rigueur scientifique.
On apprend aussi que Céline Masson et Caroline Eliacheff, cofondatrices de l’Observatoire de la petite sirène (une association ouvertement opposée aux transitions des mineur·es) ont été missionnées et rémunérées, sur fonds publics, pour sa rédaction. Ce rapport a débouché sur une proposition de loi (PPL), défendue par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, opposée à l’interdiction des thérapies de conversion et à l’institutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette PPL suggère, entre autres, l’interdiction des transitions sociales et médicales avant la majorité, à rebours des recommandations internationales actuelles.
Dans un avis défavorable à cette PPL, la Défenseure des droits souligne les risques d’atteinte aux droits de l’enfant qu’elle sous-tend et rappelle la nécessité de respecter la notion d’identité de genre, inscrite dans le droit français.
Des journaux conservateurs, comme Le Point, n’ont pas hésité pas à reprendre les affirmations alarmistes (et un brin complotistes) que contient le rapport (« les élus veulent prévenir un “scandale d’État” »…), sans jamais questionner sa probité. La parole transphobe se banalise aussi dans les médias audiovisuels (on pense aux déclarations de Ségolène Royal sur BFM-TV sur les perturbateurs endocriniens qui auraient un effet sur les transitions de genre)
La saturation de l’espace public par les discours haineux a tendance à faire oublier que le respect des personnes trans est un droit fondamental et une lutte quotidienne. Comme toutes les autres personnes, les trans devraient avoir le droit de décider de leurs vies et de faire leurs propres choix. Une pétition, initiée par l’association Toutes des femmes, demande notamment que soient facilités les changements de genre à l’état civil.
Voici quelques informations clés pour battre en brèche les arguments dits scientifiques dont se targuent les sénateur·ices LR et les associations anti-trans, au nom d’une prétendue « protection de l’enfant » :
Dans une étude publiée en 2018, la Dr Lisa Littman, gynécologue et professeure à l’université Brown aux États-Unis, évoque une nouvelle forme de « dysphorie de genre » : la rapid-onset gender dysphoria (ROGD, dysphorie de genre à apparition rapide). Selon cette médecin, les jeunes présentant une santé mentale dégradée seraient encouragé·es à transitionner par les réseaux sociaux, et ce de façon particulièrement rapide. La méthodologie de son travail a été vivement critiquée par d’autres médecins : l’étude purement déclarative a été réalisée auprès de parents d’enfants trans et non directement auprès des jeunes en question, leur recrutement s’est fait sur des sites à la sensibilité anti-trans, les preuves et les liens de causalité manquent. Une correction est finalement publiée, qui nuance très largement ses observations. En 2021, une étude clinique affirme qu’il n’existe aucun lien entre transitions et fréquentation des réseaux sociaux. Cela n’empêche pas l’Observatoire de la petite sirène de se référer à l’étude de 2018 et à son autrice. Et encore moins la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio d’y faire référence dès le titre du rapport avec l’emploi du terme « Transidentification ».
Pour expliquer la demande croissante de transition des mineur·es – qui connaît un peu partout une stabilisation –, les soignant·es spécialisé·es sur ces questions, comme les associations, soulignent l’importance de la médiatisation récente des personnes trans, donnant aux adolescent·es la possibilité de s’identifier à de nouveaux modèles. Parce que, de la même façon que garçons ou filles ont toujours construit leur identité de genre par mimétisme avec d’autres hommes ou femmes, les jeunes trans voient ainsi s’ouvrir de nouvelles possibilités.
Estimant qu’un suivi psychiatrique permettrait de « faire disparaître » la transidentité, certain·es soignant·es pratiquent des thérapies « exploratoires » ou des prises en charge « prudentes ». Selon ces thérapeutes, la transidentité serait la manifestation d’un trouble psychique et pourrait donc être « guérie ». C’est ce même postulat qui motive les thérapies de conversion, interdites en France depuis le 31 janvier 2022. Une étude américaine menée auprès de plus de 27 000 adultes transgenres exposé·es à des thérapies de conversion pendant l’enfance et publiée en 2020 montre des taux significatifs de détresse et/ou de tentatives de suicide.
À l’inverse, les approches thérapeutiques dites « trans-affirmatives » respectent le choix des personnes mineures d’explorer leur genre, tant au sein de leur famille qu’à l’école. Elles prévoient un accompagnement par des équipes formées et figurent dans les dernières recommandations sur la prise en charge des mineur·es trans de l’Association mondiale des professionnels en santé transgenre (WPATH), référente en la matière.
3- Les traitements hormonaux seraient irréversibles et prescrits trop facilement
Prescrits depuis les années 1990 à des enfants dont la puberté se manifeste de manière très précoce, les bloqueurs de puberté sont utilisés pour les mineur·es trans depuis une vingtaine d’années, au moment de l’apparition de la poitrine ou de la croissance testiculaire. Ces molécules empêchent le développement de caractéristiques physiques spécifiques au sexe de naissance. Leurs effets sont réversibles et la puberté reprend à l’arrêt du traitement. Quant à la baisse de densité osseuse provoquée par les bloqueurs qui inquiète les milieux anti-trans, elle se rétablit au bout de cinq à dix ans, sans risque à long terme pour la santé.
Prises dans le cadre d’une transition – avec ou sans bloqueurs de puberté en amont –, les hormones féminisantes ou masculinisantes favorisent, de leur côté, l’apparition de caractéristiques sexuelles secondaires du genre souhaité (pilosité, poitrine, masse musculaire). Leurs effets sur le bien-être des jeunes en font un argument en faveur d’un accès à ces traitements si elles et ils en ressentent le besoin. Une étude de 2019 montre en effet un taux significativement plus faible des troubles anxieux ou dépressifs et d’idées suicidaires chez les mineur·es ayant eu recours aux bloqueurs de puberté, comparé à ceux qui n’en ont pas encore bénéficié.
Rappelons que ces prises en charge médicales émanent de recommandations de sociétés savantes telles que la Société mondiale d’endocrinologie et de la WPATH qui ont établi – des centaines de références scientifiques à l’appui – que le rapport bénéfice-risque était en faveur du recours aux bloqueurs comme des hormones lorsque les conditions étaient réunies.
Du reste, la prise d’hormones n’est pas systématique et se fait avec l’accord des parents à la suite de nombreuses consultations et de réunions pluridisciplinaires entre les soignant·es et les familles, dans des lieux de consultations spécifiques. Au sein de la consultation spécialisée de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, sur plus de 230 enfants suivi·es en dix ans, 11 % ont reçu des bloqueurs de puberté, et 44 % des traitements hormonaux de masculinisation ou de féminisation dans un délai de dix à quatorze mois après la première consultation (respectivement à un âge moyen de 13,9 ans et de 16,9 ans).
4- Le mythe des « détransitions »
Motivant la volonté d’interdire l’accès aux traitements avant la majorité, il y aurait le risque, brandi par les collectifs anti-trans, que les jeunes regrettent leur choix par la suite et retransitionnent vers leur genre de naissance. Les données à ce sujet demeurent peu nombreuses, et l’amplitude des chiffres (1 % à 6 %) s’explique par une méthodologie approximative. À quel âge les répondant·es ont-elles et ils été interrogé·es ? Leur a‑t-on demandé si elles et ils avaient bénéficié du soutien de leurs proches, d’un accompagnement psychosocial et d’un véritable suivi médical ? Ainsi, certain·es répondant·es déclarent avoir renoncé à leur transition sous l’influence de leur entourage ou du fait de n’avoir bénéficié d’aucun soutien. En France, dans les 18 consultations spécialisées qui existent sur le territoire, seulement 0,3 % de jeunes ont retransitionné.
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