Newsletter : L’éducation, cet horizon libérateur

Il y a des sujets qu’on envisage très régu­liè­re­ment d’aborder, à La Déferlante, parce qu’ils reviennent sans cesse dans nos pratiques quo­ti­diennes, dans nos ques­tion­ne­ments : l’éducation est de ceux-là. 
Le 13 mars 2025, à Washington D.C., des manifestant·es protestent contre le projet de l’administration Trump de démanteler le ministère de l’Éducation. Crédit photo : Bonnie Cash / UPI / Shutterstock.
Le 13 mars 2025, à Washington D.C., des manifestant·es pro­testent contre le projet de l’administration Trump de déman­te­ler le ministère de l’Éducation. Crédit photo : Bonnie Cash / UPI / Shutterstock.

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°18 Éduquer, parue en mai 2025. Consultez le sommaire.

C’est une lutte dans laquelle les penseuses fémi­nistes se sont engagées très tôt, à l’image de l’écrivaine Mary Wollstonecraft (1759–1797).

L’équation se formule ainsi : en ensei­gnant aux filles davantage que des savoir-faire domes­tiques, on leur donne les moyens d’être des citoyennes libres et éclairées, à l’égal des garçons. En parallèle, en éduquant les garçons à des notions telles que le consen­te­ment, le non-usage de la force, on se donne les moyens d’une société débar­ras­sée des violences.

Évidemment, c’est un peu plus compliqué que cela. Avant d’offrir un horizon libé­ra­teur, la relation éducative est surtout chargée de tensions : dans ce face-à-face, l’adulte et l’enfant, la ou le pédagogue et son élève, l’institution qui éduque et le groupe qui doit être éduqué ne sont pas dans un rapport d’égalité. La domi­na­tion des adultes sur les enfants est un rapport de pouvoir qu’il convient de mettre en lumière : les fémi­nistes s’y attellent en donnant notamment écho au concept d’infan­tisme. La banalité des violences édu­ca­tives dans les éta­blis­se­ments scolaires catho­liques, mise au jour ces derniers mois, est une illus­tra­tion exacerbée de ce rapport de pouvoir. Au pen­sion­nat de Notre-Dame-de-Bétharram, depuis six décennies, le personnel encadrant vio­len­tait les élèves, avec le soutien tacite de nombreux parents. Alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou a été informé des sévices perpétrés dans l’établissement, et a longtemps cherché à en minimiser la portée. Ces révé­la­tions ont très peu fragilisé l’actuel chef du gou­ver­ne­ment. Penser l’éducation comme une forme plus ou moins sophis­ti­quée de dressage ne met pas en péril une carrière politique. Au contraire.

À l’heure actuelle, cette vision auto­ri­taire, voire auto­ri­ta­riste, a le vent en poupe. En France, le chef de l’État défend le retour du port de l’uniforme dans les éta­blis­se­ments scolaires, ou décide d’investir mas­si­ve­ment dans la mise en place du service national universel pour les jeunes, un dis­po­si­tif qui tient du séjour soft en camp militaire. Ces choix poli­tiques et leur tra­duc­tion bud­gé­taire poussent à s’interroger, quand on sait que la souf­france des per­son­nels des écoles – en grande majorité des femmes – ne cesse de s’accroître du fait de l’insuffisance de moyens et du manque de reconnaissance.

Aux États-Unis, les attaques contre l’enseignement public se mul­ti­plient : le 20 mars dernier, le président, Donald Trump, a signé un décret visant à déman­te­ler pro­gres­si­ve­ment le ministère de l’Éducation – une loi devra toutefois être adoptée au Sénat. Rien de plus efficace, pour asseoir la violence et la domi­na­tion, que de désa­mor­cer toute pensée critique en fabri­quant de l’ignorance. Ce constat n’est pas valable seulement pour les savoirs dits fon­da­men­taux : il concerne aussi l’éducation à la sexualité, sans cesse prise pour cible par les représentant·es des forces réactionnaires.


« Rien de plus efficace, pour asseoir la violence que de fabriquer de l’ignorance. »


À partir de la rentrée prochaine, un nouveau programme d’éducation à la vie affective, rela­tion­nelle et sexuelle (Évars) sera enseigné aux élèves de la mater­nelle au lycée : il est censé rendre effec­tives les trois séances annuelles prévues par la loi de 2001. Il devrait amener les élèves à mieux iden­ti­fier les violences sexuelles et les dis­cri­mi­na­tions dont elles et ils peuvent être l’objet. L’ambition d’une telle démarche rend d’autant plus condam­nable l’absence du mot trans­pho­bie dans le programme final, à l’heure où les attaques contre les personnes trans sont devenues l’un des marqueurs des partis de droite et d’extrême droite.

Plus de deux siècles après la dis­pa­ri­tion de Mary Wollstonecraft, la lutte continue : l’éducation est un enjeu émi­nem­ment politique, au cœur des guerres cultu­relles. Pour en faire l’horizon libé­ra­teur espéré, elle doit être l’affaire de toutes celles et ceux qui sou­haitent, comme le disait la militante féministe, permettre « à l’individu d’acquérir les habitudes ver­tueuses qui assu­re­ront son indé­pen­dance ».

Lucie Geffroy

Elle a travaillé comme journaliste à Courrier international puis au Monde. Cofondatrice de La Déferlante, elle en est également corédactrice en chef et cheffe d'édition. Depuis Marseille, elle coordonne, entre autres, les pages BD de la revue et supervise la maison d’édition avec Emmanuelle Josse. Voir tous ses articles

Marion Pillas

Après un détour par la production de documentaires, elle est revenue au journalisme avec La Déferlante. Elle en est cofondatrice et corédactrice en chef. Depuis Lille, elle supervise la newsletter, les partenariats et les événements. Voir tous ses articles

Marie Barbier

Journaliste spécialisée dans les questions judiciaires. Elle a longtemps traîné sur les bancs des palais de justice pour le quotidien L’Humanité. Cofondatrice, elle en est aujourd’hui corédactrice en chef de La Déferlante. Elle gère, depuis Rennes, les questions financières. Voir tous ses articles

Emmanuelle Josse

Ancienne consultante dans l’édition et la communication et cofondatrice du P.A.F – Collectif pour une parentalité féministe. Cofondatrice, corédactrice en chef, elle est en charge, depuis Paris, des relations libraires et de la maison d’édition. Voir tous ses articles

Pour une éducation qui libère !

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°18 Éduquer, parue en mai 2025. Consultez le sommaire.