« Nous sommes les oubliées des oublié·es »

Incarcérée à Rennes, Itziar Moreno Martinez a recueilli les témoi­gnages de plusieurs de ses codé­te­nues sur la manière dont elles ont vécu la pandémie. Toutes dénoncent les res­tric­tions qui en ont découlé et le sentiment de colère que celles-ci ont provoqué.
Publié le 12 novembre 2021

- « Je me sens comme une huître : cette situation m’a com­plè­te­ment coupée de l’extérieur et m’a renfermée à l’intérieur de moi-même.

- « C’est vraiment très dur de ne pas pouvoir toucher mes enfants au parloir. »

– « Je déprime en cellule, toute la journée seule, à ne rien faire. »

– « Depuis la pandémie, les problèmes psy­cho­lo­giques des détenues ont augmenté. Toutes ces res­tric­tions font croître la néga­ti­vi­té des pri­son­nières, nous sommes plus en colère, plus effrayées. »

– « C’est très lourd de porter le masque toute la journée. Je sais qu’à l’extérieur aussi c’est obli­ga­toire, mais chez eux, les gens peuvent l’enlever, tandis que nous le portons toute la journée. Et si on ne le porte pas, on risque des punitions et la perte de jours de liberté. »

– « On a moins de parloirs qu’avant la pandémie. »

– « Quand on sort en per­mis­sion, même si ce n’est que pour une démarche de deux heures, nous sommes obligées de rester 14 jours confinées ! Même si on n’a touché personne, même si on n’est pas un cas contact, même si on n’est pas symp­to­ma­tiques… C’est honteux ! Pourquoi on nous punit pour rien ? »

– « Nous sommes de plus en plus enfermées, ils en profitent pour réduire nos droits, même les droits les plus fon­da­men­taux nous sont refusés. »

– « L’administration refuse de prendre notre tem­pé­ra­ture ou de nous faire faire des tests [PCR] qui per­met­traient de nous éviter un confi­ne­ment injus­ti­fié : ils nous enferment et un point c’est tout. C’est scandaleux ! »

– « Moi je n’ai plus envie de sortir en per­mis­sion, pour éviter le confinement. »

– « J’ai peur que, une fois que la pandémie sera passée, on ne récupère pas nos droits perdus. »

– « C’est encore plus dur pour les personnes qui ne savent pas lire ou écrire, elles n’ont rien à faire d’autre que regarder la télé toute la journée. »

– « Plus que jamais, j’ai besoin de toucher, embrasser, baiser… Le contact humain me manque trop ! Au lieu de ça, ils essaient de nous acheter en nous proposant une vie arti­fi­cielle : on nous organise des visio­con­fé­rences qui ne marchent jamais cor­rec­te­ment (c’est tellement frustrant !) et on nous laisse la télé gratis (d’habitude nous payons la télé assez cher)… C’est comme ça qu’ils nous veulent : toute la journée à regarder la télé ! En fait, la télé est l’arme habi­tuelle contre les pri­son­nières, pour nous contrôler encore et encore. »

– « D’habitude, nous les femmes incar­cé­rées, nous sommes traitées comme des enfants, mais là, la prison est vraiment devenue une crèche ! »

– « À cause du manque de contact humain, on devient un peu sauvages. »

– « Je voudrais dénoncer l’attitude des sur­veillantes : elles menacent nos familles au parloir si elles enlèvent leur masque, même les enfants, même si c’est pour un moment, et même s’il y a un plexiglas qui nous sépare… tandis qu’elles l’enlèvent quand ça leur chante, elles se regroupent à plusieurs dans leurs bureaux tandis que nous ne pouvons pas aller à l’école, pour éviter les regroupements. »

– « On dit que la situation dans les prisons est un indi­ca­teur du niveau démo­cra­tique des États : eh bien avec la pandémie, on a bien vu le niveau démo­cra­tique de la France ! »

– « J’ai envie de crier à tout le monde : “ON EXISTE !” Nous sommes les oubliées des oublié·es. »

Les prisons françaises sont des endroits de non-droit

Ce sont les com­men­taires des femmes incar­cé­rées à la prison de Rennes à qui j’ai demandé de me livrer leur ressenti sur cette période de pandémie en détention. Les témoi­gnages que j’ai récoltés évoquent dif­fé­rentes étapes de cette crise. Nous sommes restées trois mois sans parloirs, un an sans UVF¹, et la plupart du temps presque sans activité.

Pendant cette année et demie, nous avons beaucoup entendu parler des consé­quences de la crise sanitaire (qui est aussi une crise éco­lo­gique, sociale et éco­no­mique et la crise du système hété­ro­pa­triar­cal et capi­ta­liste !) pour les Français·es, mais encore une fois, ce qui arrive à l’intérieur des murs de la prison, personne n’en parle. Personne ne nous a demandé comment nous, détenu·es, avions vécu la pandémie. Ce qui se passe à l’intérieur des  prisons reste à l’intérieur. Nous avons besoin de briser cette invi­si­bi­li­té pour en finir avec l’isolement des pri­son­niers et des pri­son­nières, et pour mettre fin une fois pour toutes à l’impunité des surveillant·es et de l’administration péni­ten­tiaire face aux injus­tices intra-muros : le non-respect des droits fon­da­men­taux, le manque d’hygiène, la sur­po­pu­la­tion, les violences faites aux détenu·es. Les prisons fran­çaises sont aussi des endroits de non-droit. Si la conscience est le premier pas pour agir, je vous invite à ouvrir les yeux et à regarder ce qui se passe entre ces murs. Cette chronique est une fenêtre qui s’ouvre.

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¹ Les unités de vie familiale (UVF) sont des appar­te­ments de petite taille aménagés à l’intérieur de la prison, dans lesquels les détenu·es qui n’ont pas de per­mis­sion de sortie peuvent recevoir leur famille ou leurs proches, sous réserve de l’accord du juge d’application des peines.

S’aimer : pour une libération des sentiments

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°4 S’aimer (décembre 2021.)

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