« On ne peut plus rien dire »

Publié le 07/02/2022
Laurie Quétel

Le recours à cette expres­sion s’est multiplié dans l’espace public et média­tique après #MeToo. Remontant aux années 2000, relayée par l’humoriste Didier Bourdon et l’ancien président Nicolas Sarkozy, elle s’inscrit dans la filiation d’un discours réac­tion­naire qui fustige le poli­ti­que­ment correct sous couvert de défendre la liberté d’expression.

« On peut plus rien dire »: c’est la phrase de tonton Gégé qui clôt la dis­cus­sion au repas des fêtes de fin d’année. C’est aussi le mar­ron­nier média­tique des chaînes d’information en continu. C’est également le fonds de commerce des essais et inter­ven­tions dans les médias d’éditorialistes – Alain Finkielkraut, Eugénie Bastié, Éric Zemmour, Caroline Fourest, ou encore le socio­logue québécois Mathieu Bock-Côté… – qui ont en commun d’avoir publié des ouvrages plus ou moins liés aux dangers du poli­ti­que­ment correct. Évoquez l’introduction du pronom iel dans le dic­tion­naire, les collages contre les fémi­ni­cides ou encore l’organisation de réunions en non-mixité pour les mili­tantes racisées… et la dis­cus­sion se terminera inva­ria­ble­ment de la même manière : « Non mais de toute façon, aujourd’hui on ne peut plus rien dire ! »
La cir­cu­la­tion de cette phrase a connu un regain dans la période post-#MeToo. Entre 2017 et 2021, le nombre d’articles de presse publiés en France com­por­tant l’expression « on ne peut plus rien dire » a été multiplié par cinq. Peu après qu’ont été initiés plusieurs mou­ve­ments de libé­ra­tion de la parole dans l’espace public, les médias tra­di­tion­nels se sont fait l’écho d’une crainte néo­réac­tion­naire de res­tric­tion de la liberté d’expression. À la télé, dans les journaux, à table, parler des droits des minorités revenait rapi­de­ment à débattre de si, oui ou non, « on » pouvait toujours faire autant de blagues sur les Arabes et impor­tu­ner une femme dans la rue.

QUI EST CE « ON » ?
Depuis le début des années 2000, dans les médias français, le « on » du « on ne peut plus rien dire » a été incarné par trois figures : l’humoriste, l’homme politique et l’éditorialiste réac­tion­naire. En 2005, Didier Bourdon, comédien du groupe Les Inconnus, sort un single intitulé On peuplu rien dire, dans lequel il ironise, entre autres choses, sur le fait de ne plus pouvoir dire « pédé » ou « tafiole » pour désigner un « homo ». […]

 

Thibault Grison

Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication, son travail porte sur les enjeux de liberté d’expression et censure pour les minorités sexuelles et de genre dans la presse française et les réseaux sociaux numériques. Sa thèse porte sur les enjeux de discriminations algorithmiques dans la modération des réseaux sociaux. Son article est inspiré de son mémoire de recherche consacré aux discours « On peut plus rien dire ». Voir tous ses articles