Une femme accomplie, à la vie sexuelle intense, conte ses déboires à son ami de longue date. Ils se comprennent bien : elle couche avec des hommes, et lui aussi. Ça, c’est la relation type vue dans les séries et les films lorsqu’une femme et un homme sont meilleur·es ami·es.
Je replonge dans mes souvenirs de pop culture, Sex and the City, Ugly Betty, Dawson, Glee ou plus récemment Girls : il m’est difficile de citer des amitiés mixtes où l’homme n’est pas gay. C’est un lieu commun vu jusqu’à l’usure et qui n’a pas toujours fait du bien, véhiculant le stéréotype de l’homosexuel dépourvu de « virilité », et dont l’activité principale serait de faire du shopping avec sa meilleure copine. Quand le meilleur ami est hétéro, les relations finissent par évoluer vers « autre chose », une relation sexuelle ou une histoire d’amour qui finit mal ou, plus rarement, vers une relation durable avec mariage, chien et enfants à la clé. Il n’y a évidemment aucun mal, au contraire, à vouloir construire sa vie amoureuse avec un homme ou une femme qu’on connaît sur le bout des doigts, avec qui on a partagé des moments inoubliables. C’est même un idéal pour beaucoup. Ce qui est dérangeant, c’est de penser que c’est le seul scénario possible.
La crainte d’une séduction mal placée
La femme et son meilleur ami gay, c’est en apparence cliché et paresseux, mais c’es pourtant un motif réaliste. Les amis masculins dont je suis la plus proche sont des hommes gay, sans que je fasse attention au premier abord à cet aspect de leur identité. C’est au fur et à mesure de la relation que je comprends ce qui fait la différence. Je me sens plus à l’aise, je baisse la garde, pour avoir une confiance totale sans crainte d’une séduction mal placée. Chaque fois que j’ai eu une relation forte avec un homme hétérosexuel, cela s’est soldé, au choix, par une déclaration d’amour impromptue ou une coucherie que j’ai regrettée le lendemain, des sentiments qui s’allument et s’éteignent constamment, de la frustration, de la jalousie et l’impossibilité de voir la relation revenir à son état initial.
Nous n’envisageons pas – notre vocabulaire et nos représentations le reflètent – de relations amicales mixtes, et l’hétéronormativité est au coeur de ces liens, comme si l’attirance entre un homme et une femme était inévitable. Comme si le fait de passer beaucoup de temps ensemble devait transformer le regard, le comportement, les corps. D’une relation platonique on passe à une relation ambiguë, puis au plaisir charnel, au cataclysme de l’amour.
Où sont les véritables amitiés filles — garçons ?
J’en veux à la pop culture de nous avoir offert très peu de modèles de véritables amitiés entre filles et garçons. Les images véhiculées dans les médias forgent des représentations puissantes auxquelles nous nous identifions ou qui nous permettent d’envisager d’autres possibles. L’une des premières images qui me revient est celle d’un groupe d’ami·es où tout le monde a déjà couché avec tout le monde. C’était dans Beverly Hills, série culte de années 1990 qui suit les tribulations des Rich Kids de Los Angeles. Je revois aussi Joey Potter, dans Dawson, montant dans la chambre de son meilleur ami pour le prévenir, à la veille de ses 16 ans, que « les choses vont changer », car elle et lui sont désormais colocataires, et avec des hormones en feu. Puis je me souviens de Nick et Jess, un duo amical qui fonctionnait bien avant de voir la tension sexuelle prendre le dessus. C’était dans New Girl, la série phare du début des années 2010. La liste des séries mettant en scène des relations stéréotypées est longue. Si bien que, un jour, on finit par regarder autrement ce vieux copain qu’on a depuis le primaire.
Au début des années 2010, Hollywood s’est mis à multiplier les histoires de sexe entre ami·es : Sexe entre amis et Sex Friends ont pris la suite du flot de scénarios contant les histoires de relations ambiguës entre hommes et femmes. Puis le terme « friendzoner » (reléguer au purgatoire amical une ancienne relation), est même devenu à la mode. On l’aurait entendu pour la première fois dans la série Friends, quand Joey résume ainsi la relation entre Rachel et Ross. Sous des abords amusants se cache en réalité une pensée sexiste : les femmes doivent toujours aux hommes davantage qu’une simple camaraderie. Pourtant la friendzone devrait exister pour ce qu’elle est : un endroit où il n’y a pas de place pour autre chose qu’une amitié qui peut être belle et puissante sans impliquer de sexe.
Puisque les images nous impactent, faisons-les évoluer. Montrons davantage de relations entre des femmes et des hommes où les premières ne sont pas toujours vues comme des objets sexuels. Proposons des amitiés choisies où la personne du sexe opposé peut être considérée comme un frère ou une soeur. Si l’amour doit exister, cela se fera naturellement, non pas sans douleur, mais sans avoir à perdre la personne qu’on considérait comme un·e ami·e.