Avortement, une lutte sans fin

On a longtemps pensé, en France, que le droit à l’avortement, objet d’un relatif consensus dans l’opinion, était indé­bou­lon­nable. Mais, alors que partout dans le monde des dirigeant·es poli­tiques de droite et d’extrême droite ne cessent de l’attaquer, il semble aujourd’hui urgent de le défendre coûte que coûte. C’est le sujet de notre prochain numéro, en prévente dès aujourd’hui.
Publié le 6 février 2024
Numéro 13 - Avorter - Couverture
Le numéro 13 de La Déferlante sortira le 1er mars en librairie. Crédit illus­tra­tion : Itziar Barrios pour La Déferlante.

Il y a quelques jours, le numéro 13 de La Déferlante partait à l’imprimerie. Son thème : « Avorter, une lutte sans fin ». Au même moment, dans la rue en bas de notre bureau à Paris, de grandes lettres noires sur fond blanc ont fleuri sur les murs : « Nos corps, nos choix ».

 

Quatre mots qui depuis cinquante ans accom­pagnent les luttes fémi­nistes pour les droits repro­duc­tifs — et que nous avons d’ailleurs choisis pour figurer sur l’affiche accom­pa­gnant le nouveau numéro.Ces collages ont été arrachés dès le lendemain. Mais j’ai voulu en savoir plus sur ce slogan et j’ai tapé « mon corps, mon choix » dans un moteur de recherche. Je ne suis pas tombée que sur des pages com­mé­mo­rant les combats fémi­nistes des années 1970, mais aussi sur la prose de militant·es réac­tion­naires qui avaient pro­ba­ble­ment acheté ce nom de domaine pour détourner des personnes cherchant à accéder à une inter­rup­tion volon­taire de grossesse (IVG) d’une véritable infor­ma­tion sur le sujet.
Ce ne serait qu’une triste anecdote si, le 16 janvier dernier, pour ses vœux de nouvelle année, Emmanuel Macron n’avait pas, lui-même, remis un euro dans la machine à propager des idées réac­tion­naires.« Pour que la France reste la France » – selon une expres­sion empruntée à Jean-Marie et Marine Le Pen, mais aussi à Éric Zemmour –, le président de la République appelle de ses vœux un « réar­me­ment démo­gra­phique ». Autrement dit, pour redresser le pays, les femmes doivent se remettre à faire des enfants, comme le veut une vieille obsession nataliste des élites diri­geantes qui parcourt toute l’histoire politique française. Mais attention, on ne parle pas de n’importe quelles femmes : pas les étran­gères, dont les recon­duites à la frontière sont encore faci­li­tées par la loi « immi­gra­tion » votée le 26 janvier ; pas les personnes trans qui n’ont toujours pas accès à la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assistée (PMA) ; pas les les­biennes qui peuvent bien attendre un peu plus longtemps leur tour au guichet des centres d’insémination débordés. Pas non plus, enfin, les habi­tantes des dépar­te­ments d’outre-mer à qui on peut proposer, comme à Mayotte depuis l’année dernière, une sté­ri­li­sa­tion défi­ni­tive. Celles dont parle Emmanuelle Macron, ce sont les mères« auto­ri­sées », autrement dit fran­çaises, blanches de pré­fé­rence, hété­ro­sexuelles et cisgenres.

 

Une femme sur quatre doit quitter son département pour avorter

Outre que, comme l’a rappelé le démo­graphe Hervé Le Bras, le lien entre le taux de natalité et la puissance d’un pays n’a jamais été prouvé, le discours pré­si­den­tiel apparaît comme tota­le­ment à contre­sens de la réalité.

D’abord, il confond lutte contre l’infertilité et natalité. À savoir, d’un côté, un problème de santé publique, pour lequel les expert·es recom­mandent notamment de limiter l’usage des pes­ti­cides agricoles, à rebours des récents enga­ge­ments du gou­ver­ne­ment auprès des agriculteur·ices. De l’autre, un sujet politique, dont l’extrême droite a coutume de s’emparer pour exprimer son racisme.
Ensuite, les démo­graphes sont plutôt d’accord là-dessus, la natalité n’a pas besoin d’être relancée. Et si elle craint le déclin démo­gra­phique, la France peut aussi renoncer à fermer ses fron­tières, comme le suggèrent depuis longtemps la gauche inter­na­tio­na­liste tout comme les éco­no­mistes libéraux.

Le péril, c’est plutôt celui qu’encourent les femmes qui sou­haitent disposer librement de leur corps. Comme nous le rappelons dans notre dossier, en France, presque cinquante ans après la loi Veil, une femme sur quatre est obligée de changer de dépar­te­ment pour avorter, faute de place dans les centres de pla­ni­fi­ca­tion. La pro­pa­gande anti-IVG s’est frayé un chemin jusque dans les salles de classe de certains éta­blis­se­ments. Partout dans le monde, à la faveur d’une poussée des idées d’extrême droite, des dirigeant∙es conservateur∙ices reviennent sur les droits acquis. Aux États-Unis, l’abrogation du décret Roe vs Wade par la Cour suprême en juin 2022 laisse la liberté aux États de revenir sur le droit à l’IVG. En Argentine, l’arrivée au pouvoir du populiste ultra­li­bé­ral Javier Milei risque de mettre à bas le droit à l’avortement acquis de haute lutte en 2020. En Italie, les mères les­biennes non gestantes se voient rayées des livrets de famille de leurs enfants.


L’ACTUALITÉ NOUS APPORTE LA PREUVE QUE LES DROITS REPRODUCTIFS DES FEMMES ET DES PERSONNES LGBT+ NE SONT JAMAIS TOTALEMENT ACQUIS


Et pendant ce temps-là, en France, alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir et que le scénario états-unien est dans toutes les têtes, Gérard Larcher, président du Sénat, affiche tran­quille­ment son oppo­si­tion à la consti­tu­tion­na­li­sa­tion de l’IVG – pourtant voulue par l’Élysée – au prétexte qu’elle « n’est pas menacée dans notre pays ». Un signal inquié­tant à l’approche du vote à la chambre haute.

Lorsque nous avons commencé à tra­vailler sur notre numéro « Avorter » il y a six mois, nous étions loin de nous douter que le droit à l’IVG revien­drait d’une manière aussi toni­truante au centre du débat politique français. Cinquante ans après les combats militants qui ont abouti à la loi Veil du 17 janvier 1975 dépé­na­li­sant l’avortement, l’actualité nous apporte la preuve que les droits repro­duc­tifs des femmes et des personnes LGBT+, en France pas plus qu’ailleurs, ne sont jamais tota­le­ment acquis. En 1971, aux juges du tribunal de Bobigny devant lesquels elle défendait Marie-Claire Chevalier, une jeune femme pour­sui­vie pour avoir avorté illé­ga­le­ment, l’avocate et militante Gisèle Halimi lançait : « Est-ce que vous accep­te­riez, vous, messieurs, de com­pa­raître devant des tribunaux de femmes parce que vous auriez disposé de votre corps ? »

Plus d’un demi-siècle plus tard, il semble utile de refor­mu­ler cette question : « Et vous, messieurs Macron et Larcher, accepteriez-vous que deux femmes, bien ins­tal­lées sur les deux plus hauts fauteuils de l’État, vous intiment de vous repro­duire tout en chipotant sur votre droit le plus élé­men­taire à contrôler votre fécondité ? »

 

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Avorter : Une lutte sans fin

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Consultez le sommaire.

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