D’où est venue l’idée d’écrire À nos désirs ?
Au départ il y a, pour moi, un double constat : d’une part, beaucoup de personnes imaginent que les lesbiennes n’ont pas de sexualité. Elles se les représentent souvent cantonnées au rôle de copines qui ne feraient pas vraiment l’amour, qui se contenteraient de chastes baisers et de caresses douces et légères.
D’autre part – et c’est paradoxal –, les relations sexuelles entre femmes sont souvent fétichisées par un regard très hétéronormé : on retrouve aussi beaucoup de fantasmes sur le sexe lesbien dans la pornographie. Face à ce double standard, je me suis demandé : « À quoi ressemblent réellement ces sexualités lesbiennes ? » Ce livre, c’est finalement celui que j’aurais eu envie de lire quand j’ai découvert mon homosexualité.
Comment as-tu travaillé ?
En France, il n’y a pour ainsi dire aucune étude sur la manière dont les lesbiennes font l’amour ou sur l’âge de leur première fois. J’ai donc lancé un questionnaire sur les réseaux sociaux dans lequel je proposais aux répondant·es d’évoquer autant leurs pratiques sexuelles que leur vie affective et conjugale. Est-ce que vous regardez du porno ? Est-ce que vous utilisez des godes ? Est-ce que vous pratiquez le cunnilingus, la pénétration, la masturbation, seule ou à deux ? Avez-vous des orgasmes ? Avez-vous eu des rapports avec des hommes auparavant ? Êtes-vous satisfaite de votre sexualité ?
En dix jours j’ai reçu environ 1 200 témoignages de femmes entre 14 et 87 ans. J’ai mis des mois à m’emparer de ce corpus et à oser décrocher mon téléphone pour les appeler : j’étais impressionnée par tous leurs mots, par la confiance qu’elles m’accordaient. J’ai finalement pris contact avec plus d’une centaine d’entre elles pour réaliser des entretiens et j’ai aussi interrogé des chercheuses en sciences sociales et des sexologues. À nos désirs est donc une enquête journalistique construite comme un récit choral à partir des témoignages de ces femmes et de ces expertes, auxquels je mêle ma propre histoire. Il s’agit de dessiner les contours d’un « nous » lesbien, tout en célébrant la diversité et la complexité des manières d’être lesbienne aujourd’hui.
« IL S’AGIT DE DESSINER UN “NOUS” LESBIEN, TOUT EN CÉLÉBRANT LA DIVERSITÉ DES MANIÈRES D’ÊTRE LESBIENNE AUJOURD’HUI »
Justement, qu’est-ce que ces témoignages t’ont apporté ?
L’homosexualité, notamment féminine est souvent perçue à travers le prisme du coming out, ce moment souvent douloureux où on va dire aux autres qu’on est homosexuel·le. Moi, j’avais envie qu’on parle aussi de nos quotidiens : nos plaisirs, nos corps. Ce que c’est d’aimer une femme quand on en est une, de divorcer, d’avoir une libido fluctuante, d’avoir beaucoup d’orgasmes ou de ne pas en avoir.
On ne se rend pas compte à quel point le manque de représentations nous fait défaut au quotidien. Jusqu’à l’écriture de ce livre, je n’avais par exemple jamais discuté avec une lesbienne âgée ! Comment s’imaginer vieillir quand on ne sait pas à quoi ressemble le quotidien d’une lesbienne de 70 ou de 80 ans ? Toutes les femmes qui témoignent le font parce qu’elles aussi ont manqué de récits. Elles m’ont dit : « Je veux apporter ma pierre à l’édifice avec mon témoignage. » De mon côté, les lire puis les écouter a changé ma vie. Je suis davantage en paix avec mon désir.
À qui s’adresse ce livre ?
Aujourd’hui 22 % des personnes nées après 1997 se déclarent LGBT+. C’est énorme, comparé aux plus âgé∙es, né∙es entre 1948 et 1964, qui ne sont que 4 % à le formuler ainsi ! Dans le même temps, ça n’est pas toujours simple de se dire lesbienne quand on a 15 ou 16 ans : j’ai reçu plein de témoignages de collégiennes et de lycéennes disant : « Moi, j’ai toujours du mal à le dire aux autres, à me figurer sortir de la norme. » Ce livre parle de ce que, justement, ça signifie d’avoir une sexualité « en dehors de la norme ». Mais il ne concerne pas que les femmes lesbiennes : faire entendre des lesbiennes qui parlent librement de leur corps et de leur désir, c’est finalement faire entendre la parole de toutes les femmes. C’est montrer à quoi ressemble une sexualité débarrassée de certaines injonctions. J’espère que le livre accompagnera beaucoup de personnes, qu’elles soient queers ou non.
→ Élodie Font, À nos désirs. Dans l’intimité des lesbiennes, 208 pages, La Déferlante Éditions. En précommande sur notre site et en librairie le 31 mai.
Dans la lignée de La Fin des monstres de Tal Madesta puis de Et l’amour ausside Marie Docher publiés en 2023, La Déferlante Éditions poursuit, avec la publication d’À nos désirs, son ambition de donner à lire des récits féministes et LGBT+. Nous tenons à souligner qu’au-delà des autrices et des auteurs, c’est toute une équipe qui est mobilisée sur chacun de ces ouvrages. À nos désirs a été accompagné par l’éditrice indépendante Clara Tellier Savary et, en interne par Lucie Geffroy. La couverture a été réalisée par Marin van Uhm à partir d’une illustration de Louise de Crozals. Les textes ont été corrigés par Mélanie Tanous et Fanny Le Borgne.
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