L’expression, qui peut se traduire par « culture de l’annulation » ou « culture de l’effacement » vient à l’origine de la droite états-unienne. Étiquette fourre-tout (comme la « théorie du genre » ou le « wokisme »), elle vise à discréditer tout un répertoire d’actions que les minorités – femmes, personnes racisées, LGBT+, handies… – mettent en place pour contrer, dans l’espace public, la minimisation des oppressions qu’elles subissent. Il peut s’agir de déboulonnage de statues de figures liées à l’esclavagisme ou à la colonisation, du boycott ou de la dénonciation d’œuvres, d’institutions ou de personnalités jugées problématiques (car racistes, transphobes, grossophobes, validistes, sexistes, etc.). Depuis #MeToo, l’expression « cancel culture » est souvent utilisée pour dénoncer une prétendue tyrannie du « politiquement correct », une présumée ostracisation d’individus – principalement masculins, blancs, hétérosexuels et cisgenres – érigés en victimes, ou une mise au ban jugée excessive d’œuvres ou objets culturels.
Or, dans une société aveugle à ses impensés racistes et sexistes, incapable de reconnaître les crimes de l’esclavage et de la colonisation, la violence de l’effacement se loge d’abord dans la culture dominante, comme l’explique l’historienne française Laure Murat dans Qui annule quoi ? Sur la cancel culture (Seuil, 2022). Dans le domaine de l’art, la dimension politique de beaucoup d’œuvres autrefois considérées comme des chefs‑d’œuvre soulèvent nombre de questions dans le contexte actuel, et peuvent être jugées comme discriminantes ou « problématiques », notamment pour les personnes minoritaires. Dans un débat intitulé « Que faire des œuvres problématiques ? », La Déferlante s’interroge sur les réponses à apporter face aux représentations racistes et sexistes dans l’art. L’une d’entre elles consiste à contextualiser les œuvres qui sont montrées ou diffusées et ainsi déconstruire la pensée dominante. « Continuons à regarder les “œuvres majeures”, mais en essayant d’expliquer pourquoi certaines d’entre elles véhiculent des valeurs problématiques. Et allons aussi regarder toutes les œuvres des femmes ou des classes dominées qui ont été effacées », suggère la directrice de théâtre Carole Thibaut.
Lire dans La Déferlante
- Marie Kirschen, « Que faire des œuvres problématiques ? », débat avec Eva Doumbia, Geneviève Sellier, Carole Thibaut La Déferlante no 8 (novembre 2022)
- Nora Bouazzouni, « Que faire des artistes condamnés ? », La Déferlante, no 11 (août 2023)
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Pour aller plus loin
Laure Murat, Qui annule quoi ? Sur la cancel culture, Seuil, 2022. 48 pages.