La Hongrie se prépare à une Pride historique

Le 18 mars dernier, le parlement hongrois votait l’interdiction de la Marche des fiertés de Budapest, prévue le 18 juin. Une première pour cet événement qui a lieu chaque année depuis trente ans. Comme beaucoup d’autres les­biennes, Dorottya Rédai, direc­trice de l’association Labrisz, défilera malgré tout. La Déferlante l’a ren­con­trée fin avril à Rome, lors de la quatrième Conférence lesbienne euro­péenne et centre-asiatique (Euro central asian lesbian*community ou EL*C).
Publié le 15/05/2025

Le 30 mars 2025, dans les rues de Budapest, des milliers de personnes pro­tes­taient contre l’annulation de la Marche des fiertés et pour défendre le droit à mani­fes­ter. Crédit : Bernadett Szabo / Reuters

Découvrez la revue La Déferlante n°18, « Pour une éducation qui libère », parue en mai 2025. Consultez le sommaire.

À la tête du gou­ver­ne­ment hongrois depuis 2010, le populiste Viktor Orban dispose d’une majorité au Parlement grâce aux alliances des députés de sa majorité avec l’extrême droite. 

Au prétexte de défendre les valeurs tra­di­tio­na­listes chré­tiennes et de « protéger les enfants », il mène depuis plusieurs années une offensive contre les droits des minorités, en par­ti­cu­lier contre ceux de la com­mu­nau­té LGBTQIA+ : inter­dic­tion du mariage civil des couples de même sexe (2012), fin de la recon­nais­sance des tran­si­tions de genre (2020), ten­ta­tives multiples de censure des médias et des enseignant·es abordant les questions d’orientation sexuelle et de genre. Mardi 13 mai, un député du Fidesz, le parti de Viktor Orban, a déposé un projet de loi visant à interdire aux orga­ni­sa­tions hon­groises d’avoir recours à des finan­ce­ments étrangers. Ce texte menace direc­te­ment l’existence de bon nombre d’associations LGBTQIA+ hon­groises.

C’est pour témoigner de ces attaques que Dorottya Rédai était présente à Rome, du 23 au 26 avril dernier, dans le cadre de la quatrième Conférence de l’Euro central asian lesbian*community, un événement annuel organisé par des acti­vistes lesbiennes.

Comment l’annonce de l’interdiction de la Marche des fiertés de Budapest a‑t-elle été reçue par la com­mu­nau­té LGBTQIA+ hongroise ?

Ce n’est pas la première fois qu’Orban s’en prend à nous : nous sommes attaqué·es en per­ma­nence. Mais cette inter­dic­tion pure et simple, même les organisateur·ices ne s’y atten­daient pas. Notre com­mu­nau­té est sous le choc.

La Budapest Pride est une grande mani­fes­ta­tion en faveur des droits humains. Elle est devenue un événement très important en Hongrie au cours des dix dernières années. L’an dernier, nous étions 35 000 participant·es.

Cette décision inquiète aussi plus géné­ra­le­ment les Hongrois·es opposé·es à Orban, qui ont peur de voir dis­pa­raître leurs droits fon­da­men­taux – notamment le droit de mani­fes­ter. Et cette inquié­tude est légitime puisque Orban marche dans les pas de Poutine. Si nous ne l’arrêtons pas, la Hongrie pourrait devenir comme la Russie [un État auto­ri­taire qui persécute les femmes et les minorités sexuelles et de genre].

Quelles sont les consé­quences de la politique du gou­ver­ne­ment d’extrême droite hongrois dans la vie quo­ti­dienne des personnes LGBTQIA+ ?

Selon les sta­tis­tiques de la Háttér Society, la plus grande orga­ni­sa­tion LGBTQIA+ de Hongrie, le nombre d’agressions physiques n’a pas augmenté, mais les agres­sions verbales ont gagné en violence. Elles reflètent le langage grossier que s’autorise aujourd’hui la classe politique du pays pour parler des homosexuel·les, des personnes trans et des personnes queers.

L’association Labrisz [son nom fait référence à une hache antique devenue un symbole lesbien], que je dirige, veut rester un espace ouvert et sûr pour les les­biennes en Hongrie. Nous conti­nuons à faire ce que nous avons toujours fait, comme si la situation était normale : nous mettons sur pied des évé­ne­ments com­mu­nau­taires et des festivals qui, à chaque attaque du gou­ver­ne­ment, attirent toujours plus de monde. Nous col­lec­tons et conser­vons des archives les­biennes, pro­dui­sons des films, publions des livres et coopérons avec d’autres organisations.


« Avec l’annulation de la Pride, les Hongrois·es ont peur de voir leurs droits fon­da­men­taux disparaître. »


En 2020, vous avez justement édité un livre jeunesse, traduit en onze langues : Brune-Feuille. Le prince se marie et autres contes inclusifs (trad. J. Dufeuilly, C.A. Holdban, C. Philippe, Talents Hauts, 2022). Pouvez-vous revenir sur cet épisode ?

Au moment de sa publi­ca­tion, une femme politique d’extrême droite, qui ne l’avait pas lu, a organisé une per­for­mance média­tique d’une grande violence, lors de laquelle elle a passé le livre à la déchi­que­teuse, arguant qu’il ne faisait pas partie de la culture hongroise.

Pourtant, il s’agit sim­ple­ment d’un ouvrage qui repré­sente des per­son­nages queers ou appar­te­nant à d’autres minorités [des personnes racisées ou issues des classes popu­laires] que le gou­ver­ne­ment invi­si­bi­lise ou attaque. C’était très choquant, mais cela nous a fait beaucoup de publicité. On en a vendu 35 000 exem­plaires, et le livre est même devenu un best-seller en Hongrie sur le marché des livres pour enfants !

Le 18 juin prochain, les asso­cia­tions LGBTQIA+ hon­groises main­tiennent l’appel à mani­fes­ter. Comment allez-vous vous organiser ?

Toutes nos orga­ni­sa­tions sont d’accord : nous ne recu­le­rons pas. On va essayer d’être aussi nombreux·ses que possible parce que plus la foule sera grande, plus il sera difficile pour la police de traquer les manifestant·es. La loi autorise désormais la police à utiliser un système de recon­nais­sance faciale pour iden­ti­fier les manifestant·es, cela peut donc dissuader les gens de descendre dans la rue. Celles et ceux qui braveront l’interdiction s’exposeront à une amende pouvant aller jusqu’à 500 euros, soit plus de la moitié du salaire mensuel moyen. En prévision, des cagnottes ont déjà été lancées par des activistes.

La soli­da­ri­té s’exprime aussi en dehors de la com­mu­nau­té. Des citoyen·nes hétérosexuel·les mani­festent chaque semaine pour soutenir la Marche des fiertés : c’est du jamais vu ! Des personnes qui n’étaient jamais allées à la Pride veulent main­te­nant y par­ti­ci­per. J’ai rencontré ces derniers jours à la confé­rence EL*C des acti­vistes les­biennes membres du Parlement européen qui m’ont assurée de leur présence. En fin de compte, une résis­tance se met en place et cette Pride pourrait bien être la plus grande qu’on n’ait jamais eue !

Annabelle Georgen

Correspondante à Berlin pour la presse française, suisse et belge, elle s’intéresse aux questions féministes et LGBTQIA+. Elle suit l’actualité culturelle berlinoise pour le mensuel queer allemand Siegessäule. Voir tous ses articles

Pour une éducation qui libère !

Découvrez la revue La Déferlante n°18, « Pour une éducation qui libère », parue en mai 2025. Consultez le sommaire.