Barbecue : les féministes marchent sur des braises

Dernière news­let­ter de notre série sur les mots de l’été (car après tout, la rentrée n’est que lundi !). Cette semaine, Nora Bouazzouni revient sur la polémique autour du « barbecue » de l’été 2022. Pourquoi donc les propos de Sandrine Rousseau sur la consom­ma­tion de viande des hommes les ont-ils à ce point énervés ?
Publié le 01/09/2023

Modifié le 16/01/2025

illustration : Maëlle Réat pour La Déferlante « Barbecue : les féministes marchent sur des braises »
Crédit illus­tra­tion : Maëlle Réat pour La Déferlante

Commandez le dernier numéro de La Déferlante : Habiter, de août 2023. La Déferlante est une revue tri­mes­trielle indé­pen­dante consacrée aux fémi­nismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­ne­ment, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.
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Depuis un an, une femme politique a rejoint Alice Coffin dans le trou noir qui remplace le cœur des anti­fé­mi­nistes assumés qui ne sont cer­tai­ne­ment pas misogynes, la preuve, ils ont une sœur. Car si les hommes détestent les femmes poli­tiques, ils détestent encore plus celles qui leur mettent le nez dans leurs idées reçues. Il en est ainsi de Sandrine Rousseau qui, à défaut de cumuler les mandats, accumule ce qui, dans notre société patriar­cale, s’apparente à des tares : femme + politique + écolo + féministe… et grande gueule avec ça ! N’en jetez plus, c’est un bingo.

En août 2022, lors de l’université d’été d’Europe Écologie Les Verts, l’élue pari­sienne a ouvert les portes de l’enfer – et Buffy n’était pas là pour les refermer. Interrogée sur les stra­té­gies à adopter pour convaincre les gens de réduire leur consom­ma­tion de viande (afin de limiter le chan­ge­ment cli­ma­tique), elle a répondu : «Il faut aussi changer de mentalité, pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité.»

Un privilège masculin

En France, voyez-vous, on ne s’attaque pas à la nour­ri­ture, encore moins d’un point de vue socio­lo­gique. J’en sais quelque chose, puisqu’ayant publié deux essais sur le genre et l’alimentation, j’ai reçu menaces de viol, de mort, tweets racistes, com­men­taires homo­phobes et mails d’insultes. Sandrine Rousseau s’en est pris, ce jour-là, à deux totems hexa­go­naux : la viande et les hommes. Interdiction de dire que les hommes tuent les femmes (Alice Coffin cybe­rhar­ce­lée, puis sous pro­tec­tion policière), inter­dic­tion de dire que l’élevage intensif est catas­tro­phique pour la planète (pas touche au soi-disant terroir, central dans la construc­tion et la per­pé­tua­tion d’une identité française fan­tas­ma­tique) ; donc affirmer que la viande est un fétiche viriliste, c’est une double hérésie sauce bleu-blanc-rouge.


« Placer sa virilité dans une côtelette d’agneau, je trouve ça conster­nant de bêtise. »


Or, n’en déplaise à celles et ceux qui se sont fâché·es tout rouge en décrétant qu’elle avait encore perdu une occasion de se taire, les faits sont têtus et docu­men­tés : partout dans le monde, les hommes mangent plus de viande rouge que les femmes (en France, deux fois plus) ; la majorité des personnes végé­ta­riennes sont des femmes. Donc au-delà du symbole de virilité qu’elle maté­ria­lise, la consom­ma­tion carnée est un privilège masculin. En 2021, une étude bri­tan­nique démon­trait que le régime ali­men­taire des hommes émet 41 % de gaz à effet de serre en plus que celui des femmes, prin­ci­pa­le­ment à cause de leur consom­ma­tion dis­pro­por­tion­née de viande.

Hélas, nous vivons dans l’ère de la post-vérité où les faits, tels des traits de vinaigre bal­sa­mique sur une assiette de res­tau­rant étoilé, sont super­fé­ta­toires même au sein de la classe politique. L’important, c’est de ne pas froisser l’électorat, de flatter ses habitudes et de le rassurer : boys will be boys et la France restera la France, viande partout et inclu­si­vi­té nulle part. Quitte à faire montre de son ignorance, tel Fabien Roussel, secré­taire national du Parti com­mu­niste, drôlement fier de ses pun­chlines, qui déclarait le 30 août 2022 sur Europe 1 : « Vous n’allez pas me parler du sexe des escalopes, quand même ! », ou encore : « On mange de la viande en fonction de ce qu’on a dans le porte-monnaie, et pas de ce qu’on a dans sa culotte ou dans son slip. » Belle leçon de démagogie, à défaut de faire dans la pédagogie.

Des photos de côtes de bœuf

Mais lorsque Roussel fait l’éloge du steak, reçoit-il, sur Twitter et Instagram, des photos de curry de chou-fleur, de pizza marinara ou de rata­touille, accom­pa­gnées de messages véhéments de véganes outré·es ? Que nenni. Pourtant, sur les réseaux sociaux, Sandrine Rousseau est depuis un an inondée d’images de merguez et de côtes de bœuf, comme autant de dick pics non sol­li­ci­tées et envoyées rien que pour l’emmerder et l’intimider. Le comble, c’est qu’elle n’est même pas végé­ta­rienne. Partant de là, c’est comme envoyer un gros chèque à quelqu’un qui cri­ti­que­rait les ultrariches.

Placer sa virilité au cœur de son identité, et placer sa virilité dans une côtelette d’agneau, je trouve ça conster­nant de bêtise – et à la fois, ça ne me surprend qu’à moitié de la part d’un groupe dont 29 % des individus ne se lavent que deux fois par semaine ou moins, qui a banni la couleur rose de sa penderie parce que… (euh, pourquoi au juste ?), et se crée des ulcères quand les pro­duc­teurs de Star Wars donnent le rôle principal à une femme. À la limite, je pré­fé­re­rais que les hommes placent leur virilité dans un gel douche ou une brosse à ongles, ce serait déjà ça de pris. Mais dans la vie, on n’a pas toujours ce qu’on veut, un peu comme un·e végétarien·ne dans un res­tau­rant français.

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Nora Bouazzouni

Journaliste indépendante, écrivaine et traductrice, elle écrit sur les questions d’alimentation, le genre et la pop culture. Elle est membre du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles

Habiter : brisons les murs

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