À la recherche de Jana Černá

par

Il y a quelques années, l’autrice Alice Babin découvre un petit ouvrage au titre percutant, Pas dans le cul aujourd’hui. Le texte la bouleverse. Elle cherche à en savoir plus sur son autrice, Jana Černá, figure oubliée des milieux underground tchèques des années 1960. De Paris à Prague, en passant par Douarnenez, récit d’une odyssée littéraire sur les traces d’une écrivaine flamboyante et libre.

 

Paris, mai 2014 

Cette his­toire com­mence sur une éta­gère. Ou plu­tôt, sur une planche clouée au mur. Il faut ima­gi­ner un stu­dio d’étudiant dans un quar­tier désert près du péri­phé­rique pari­sien. Canapé-lit lourd à déplier, peur des doigts coin­cés, fri­go vide, pos­ter de Jimi Hendrix à l’entrée. La scène se passe chez un amou­reux de l’époque, qui est encore mon amou­reux aujourd’hui. Serveur dans un res­tau­rant, il m’avait don­né ses clés pour qu’on se retrouve une fois son ser­vice ter­mi­né. À mesure que la nuit tom­bait, mes yeux se fer­maient, mais je me for­çais à tenir. Il fal­lait res­ter éveillée, dis­po­nible, enjouée ; parce qu’après il fal­lait s’aimer. C’était les pre­miers mois, le moment où la rela­tion est pleine de devoirs. Il faut ; je res­sen­tais l’amour comme ça. Alors, pour m’occuper, je fouillais. Il n’y avait pas grand-chose mais peu importe, je pas­sais tout en revue, dont cette éta­gère, où s’entassait un tas d’objets oubliés. Un soir, je fus atti­rée par un joli petit car­ré, ense­ve­li sous le reste, mais qui se démar­quait par sa cou­leur orange vif. Un bou­quin de même pas 100 pages, inti­tu­lé Pas dans le cul aujourd’hui.

 

Avant même de l’avoir ouvert, ce livre me par­la. Par sa simple forme d’abord, si dis­crète, mais si criante à la fois, et par sa pré­sence ici, chez lui. C’était mys­té­rieux. J’ai tout de suite sen­ti qu’il ren­fer­mait quelque chose d’important pour moi. J’aimais sa taille, qui n’en impo­sait pas. Et j’aimais son titre, qui explo­sait. Pas dans le cul aujourd’hui. Je ne trou­vais ça ni « drôle », ni « éton­nant », ni « déca­lé » ou « osé ». Je trou­vais ça fort. D’une assu­rance inébran­lable. D’une fer­me­té inex­tin­guible, et libre. 

« Pour l’amour du ciel, épargnez-moi le rai­son­nable […] le rai­son­nable détruit en moi tout ce qui fait sens. » Traduit du tchèque, le livre était […]

Retrouvez ce por­trait de Jana Černá signé Alice Babin dans La Déferlante #9.

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Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°9, de février 2023. La Déferlante est une revue trimestrielle indépendante consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.

La Déferlante 9 - Baiser