« À l’arrivée [dans le club], la dame de la sécu annonce : “Je ne fais de palpations qu’aux femmes qui ont un F sur leurs papiers d’identité” ». Ce récit, relaté en avril dernier sur Instagram par la poétesse Luz Volckmann et la DJ Edna, venues participer à une soirée queer à Marseille, s’inscrit dans la continuité d’une « transphobie ordinaire » vécue par les femmes trans dans les lieux festifs.
Reçus à la suite d’un appel sur les réseaux sociaux lancé pour les besoins de cet article, une trentaine de témoignages rendent compte d’une dynamique double : être une femme trans dans les milieux de la fête consiste à subir dans un même geste la fétichisation sexuelle et la réassignation au masculin. C’est ce que raconte Lana, 26 ans, fréquentant les soirées étudiantes de Metz : « Les gens me traitent de “travelo”, “fausse femme”… J’ai été la cible d’attouchements et de mecs qui voulaient “tester” une femme trans. Soit je me fais insulter, soit on me voit comme un objet sexuel. »
Passer pour une femme dominée
Les femmes trans sont surexposées en permanence aux violences sexistes dans l’espace public et particulièrement en soirée, leurs agresseurs profitant de la promiscuité offerte par un lieu clos. « Ils pensent que je fais partie du show, que je suis là pour les divertir, les faire s’explorer, avec ou sans apostrophe », relate Améthyste, 30 ans, sortant à Lyon. Claude-Emmanuelle, 32 ans et vivant à Paris, confirme : « J’ai le sentiment d’appartenir à tout le monde. On touche mes seins, on me tire les cheveux, on me demande quelles chirurgies j’ai faites. Si je m’énerve, on me dit que je suis hystérique et fermée d’esprit. »
Spécificité des comportements transmisogynes en soirée : ils se déploient de la même façon en milieu queer que dans des fêtes cis-hétéro. C’est ce que remarque Milan Bonté, géographe et chercheur, auteur d’une thèse sur l’accessibilité des espaces publics aux personnes trans : « Les femmes trans sont poussées à adopter une féminité subordonnée. Une vraie femme, c’est une femme dominée : celle qui ne prend pas de place, qui ne va pas parler trop fort. C’est pareil dans les soirées queer, même si la rhétorique est politisée : une femme trans qui prend trop de place ne serait pas une “bonne femme”, car elle prendrait la place des femmes cis. »
« Ils pensent que je fais partie du show, que je suis là pour divertir »
Au cœur de la fête, certains lieux sont particulièrement éprouvants pour les femmes trans. C’est le cas des toilettes genrées. Maud Royer, militante transféministe, détaille ce constat : « On vient te rappeler en permanence que tu es perçue comme trans. Dans la file d’attente des toilettes, les personnes se retournent vers toi pour te demander si tu vas pisser debout. »
Militante dans le collectif Toutes des femmes, elle explique aisément cette perpétuation des violences : « Il y a très peu de lieux de fête par et pour les personnes transféminines. Elles naviguent dans des espaces pensés d’abord pour les personnes cis », espaces dans lesquels les femmes trans qui dévient des normes attendues sont bien souvent réassignées au masculin. Cela se joue à « un ongle pas assez taillé », ironise la poétesse Luz Volckmann.
Discriminées dès la file d’attente
Avant même qu’on passe la porte, le personnel de sécurité à l’entrée donne le ton. « Pendant les fouilles, on nous demande de passer du côté des hommes », raconte Galathéa, 24 ans, à Paris. Sunsiaré, Arlésienne de 42 ans, se souvient : « Le service de sécurité d’une soirée à laquelle j’étais lançait en boucle en rigolant : “C’est des travelos !” » De manière générale, c’est souvent dans la file d’entrée que se jouent les dynamiques de discrimination, un « enfer » dont Améthyste a été la victime : « Je me souviens d’une physio [pour “physionomiste”, qui filtre les entrées] qui me touchait l’entrejambe et me faisait bien comprendre que je n’avais pas à me plaindre. » Elle ajoute : « Je ne compte pas les fois où les gens de la sécu disent bien fort lorsqu’ils me voient : “Les hommes, c’est dans l’autre file.” »
Milan Bonté explique : « La spécificité du milieu festif, c’est qu’il y a des chefs, des gardiens. En soirée, il y a une notion de maintien de l’ordre encore plus présente qu’ailleurs, ce qui peut amener à renforcer les violences. » C’est un double circuit de marginalisation que subissent les femmes trans venues faire la fête : éprouver les violences d’abord, et les voir légitimées, voire encouragées par le personnel de sécurité ensuite. Galathéa résume : « Avec mes amies, on sait que, en cas de conflit avec d’autres client·es, c’est nous qui allons nous faire virer de la soirée, pas elleux. »
Afin de ne pas subir ces violences, pas d’autre solution que de mettre en place des stratégies d’évitement. Pour Maud Royer, il s’agit de « trouver le juste milieu » dans sa manière de s’habiller. Pour Galathéa et Améthyste, il faut venir en groupe, le collectif faisant office de bouclier. Dernière possibilité : rester chez soi. Des stratégies similaires à celles adoptées par les femmes cis. Selon Milan Bonté, cela témoigne d’un rapport commun à l’espace social : « Les traumatismes vécus dans le monde festif accompagnent ces femmes dans les autres espaces publics. Cette socialisation à la peur des violences masculines est typiquement féminine. »
Formation et prévention en soirée
La situation n’est pas irrémédiable, assurent les bénévoles de Consentis. L’association, basée en régions parisienne et nantaise, s’est spécialisée dans la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations en milieu festif. « On fait de la formation avec les structures en amont, on les accompagne à organiser matériellement un lieu où on n’est pas en hypervigilance quand on est une personne minorisée, on va leur parler logistique, toilettes, on les accompagne à une posture d’écoute et d’accueil des personnes victimes », liste Safiatou, membre de l’association. Celle-ci propose des stands de prévention directement dans les soirées pour assurer une permanence et répondre aux questions.
L’association martèle : c’est avant tout un enjeu de politique de recrutement et de volontarisme. Safiatou résume : « Il faut des physios fixes et un engagement concret dans la protection des clientes. On fait des cas pratiques pour expliquer comment assurer l’accueil des personnes trans et on fait de la pédagogie sur l’impact des violences. C’est une chose de dire : “Désigner une personne par le mauvais genre, c’est pas bien”, mais expliquer pourquoi, c’est mieux. »
📖 ⟶ Tal Madesta sera à la librairie Dialogues à Brest le 7 juillet. Il échangera avec les lecteur·ices autour de son livre La Fin des monstres, publié en avril dernier par La Déferlante Éditions.
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