La fête, un milieu hostile pour les femmes trans

Au sur­len­de­main de la Fête de la musique et alors que se déroule le mois des Fiertés, nous avons souhaité nous attarder sur la condition spé­ci­fique des femmes trans, sur­ex­po­sées aux violences sexistes, par­ti­cu­liè­re­ment dans les milieux festifs. Dans cette news­let­ter, le jour­na­liste Tal Madesta analyse cette violence ordinaire et rappelle quelles actions peuvent être mises en œuvre pour y remédier.
Publié le 23 juin 2023
Creative commons.

« À l’arrivée [dans le club], la dame de la sécu annonce : “Je ne fais de pal­pa­tions qu’aux femmes qui ont un F sur leurs papiers d’identité” ». Ce récit, relaté en avril dernier sur Instagram par la poétesse Luz Volckmann et la DJ Edna, venues par­ti­ci­per à une soirée queer à Marseille, s’inscrit dans la conti­nui­té d’une « trans­pho­bie ordinaire » vécue par les femmes trans dans les lieux festifs.

Reçus à la suite d’un appel sur les réseaux sociaux lancé pour les besoins de cet article, une trentaine de témoi­gnages rendent compte d’une dynamique double : être une femme trans dans les milieux de la fête consiste à subir dans un même geste la féti­chi­sa­tion sexuelle et la réas­si­gna­tion au masculin. C’est ce que raconte Lana, 26 ans, fré­quen­tant les soirées étu­diantes de Metz : «Les gens me traitent  de “travelo”, “fausse femme”… J’ai été la cible d’attouchements et de mecs qui voulaient “tester” une femme trans. Soit je me fais insulter, soit on me voit comme un objet sexuel. »

Passer pour une femme dominée

Les femmes trans sont sur­ex­po­sées en per­ma­nence aux violences sexistes dans l’espace public et par­ti­cu­liè­re­ment en soirée, leurs agres­seurs profitant de la pro­mis­cui­té offerte par un lieu clos. «Ils pensent que je fais partie du show, que je suis là pour les divertir, les faire s’explorer, avec ou sans apos­trophe», relate Améthyste, 30 ans, sortant à Lyon. Claude-Emmanuelle, 32 ans et vivant à Paris, confirme : «J’ai le sentiment d’appartenir à tout le monde. On touche mes seins, on me tire les cheveux, on me demande quelles chi­rur­gies j’ai faites. Si je m’énerve, on me dit que je suis hys­té­rique et fermée d’esprit.»

Spécificité des com­por­te­ments trans­mi­so­gynes en soirée : ils se déploient de la même façon en milieu queer que dans des fêtes cis-hétéro. C’est ce que remarque Milan Bonté, géographe et chercheur, auteur d’une thèse sur l’accessibilité des espaces publics aux personnes trans : «Les femmes trans sont poussées à adopter une féminité subor­don­née. Une vraie femme, c’est une femme dominée : celle qui ne prend pas de place, qui ne va pas parler trop fort. C’est pareil dans les soirées queer, même si la rhé­to­rique est politisée : une femme trans qui prend trop de place ne serait pas une “bonne femme”, car elle prendrait la place des femmes cis.»


« Ils pensent que je fais partie du show, que je suis là pour divertir »


Au cœur de la fête, certains lieux sont par­ti­cu­liè­re­ment éprou­vants pour les femmes trans. C’est le cas des toilettes genrées. Maud Royer, militante trans­fé­mi­niste, détaille ce constat : «On vient te rappeler en per­ma­nence que tu es perçue comme trans. Dans la file d’attente des toilettes, les personnes se retournent vers toi pour te demander si tu vas pisser debout. »
Militante dans le collectif Toutes des femmes, elle explique aisément cette per­pé­tua­tion des violences : «Il y a très peu de lieux de fête par et pour les personnes trans­fé­mi­nines. Elles naviguent dans des espaces pensés d’abord pour les personnes cis», espaces dans lesquels les femmes trans qui dévient des normes attendues sont bien souvent réas­si­gnées au masculin. Cela se joue à « un ongle pas assez taillé », ironise la poétesse Luz Volckmann.

Discriminées dès la file d’attente

Avant même qu’on passe la porte, le personnel de sécurité à l’entrée donne le ton. « Pendant les fouilles, on nous demande de passer du côté des hommes», raconte Galathéa, 24 ans, à Paris. Sunsiaré, Arlésienne de 42 ans, se souvient : «Le service de sécurité d’une soirée à laquelle j’étais lançait en boucle en rigolant : “C’est des travelos !”» De manière générale, c’est souvent dans la file d’entrée que se jouent les dyna­miques de dis­cri­mi­na­tion, un « enfer » dont Améthyste a été la victime : «Je me souviens d’une physio [pour “phy­sio­no­miste”, qui filtre les entrées] qui me touchait l’entrejambe et me faisait bien com­prendre que je n’avais pas à me plaindre. » Elle ajoute : «Je ne compte pas les fois où les gens de la sécu disent bien fort lorsqu’ils me voient : “Les hommes, c’est dans l’autre file.”»

Milan Bonté explique : «La spé­ci­fi­ci­té du milieu festif, c’est qu’il y a des chefs, des gardiens. En soirée, il y a une notion de maintien de l’ordre encore plus présente qu’ailleurs, ce qui peut amener à renforcer les violences. » C’est un double circuit de mar­gi­na­li­sa­tion que subissent les femmes trans venues faire la fête : éprouver les violences d’abord, et les voir légi­ti­mées, voire encou­ra­gées par le personnel de sécurité ensuite. Galathéa résume : «Avec mes amies, on sait que, en cas de conflit avec d’autres client·es, c’est nous qui allons nous faire virer de la soirée, pas elleux. »

Afin de ne pas subir ces violences, pas d’autre solution que de mettre en place des stra­té­gies d’évitement. Pour Maud Royer, il s’agit de « trouver le juste milieu » dans sa manière de s’habiller. Pour Galathéa et Améthyste, il faut venir en groupe, le collectif faisant office de bouclier. Dernière pos­si­bi­li­té : rester chez soi. Des stra­té­gies simi­laires à celles adoptées par les femmes cis. Selon Milan Bonté, cela témoigne d’un rapport commun à l’espace social : « Les trau­ma­tismes vécus dans le monde festif accom­pagnent ces femmes dans les autres espaces publics. Cette socia­li­sa­tion à la peur des violences mas­cu­lines est typi­que­ment féminine. »

Formation et prévention en soirée

La situation n’est pas irré­mé­diable, assurent les bénévoles de Consentis. L’association, basée en régions pari­sienne et nantaise, s’est spé­cia­li­sée dans la lutte contre les violences sexuelles et les dis­cri­mi­na­tions en milieu festif. «On fait de la formation avec les struc­tures en amont, on les accom­pagne à organiser maté­riel­le­ment un lieu où on n’est pas en hyper­vi­gi­lance quand on est une personne minorisée, on va leur parler logis­tique, toilettes, on les accom­pagne à une posture d’écoute et d’accueil des personnes victimes», liste Safiatou, membre de l’association. Celle-ci propose des stands de pré­ven­tion direc­te­ment dans les soirées pour assurer une per­ma­nence et répondre aux questions.
L’association martèle : c’est avant tout un enjeu de politique de recru­te­ment et de volon­ta­risme. Safiatou résume : « Il faut des physios fixes et un enga­ge­ment concret dans la pro­tec­tion des clientes. On fait des cas pratiques pour expliquer comment assurer l’accueil des personnes trans et on fait de la pédagogie sur l’impact des violences. C’est une chose de dire : “Désigner une personne par le mauvais genre, c’est pas bien”, mais expliquer pourquoi, c’est mieux. »

📖 ⟶  Tal Madesta sera à la librairie Dialogues à Brest le 7 juillet. Il échangera avec les lecteur·ices autour de son livre La Fin des monstres, publié en avril dernier par La Déferlante Éditions.

→ Retrouvez la revue de presse ainsi que les coups de cœur de la rédaction juste ici.

Danser : l’émancipation en mouvement

Commandez le dernier numéro de La Déferlante : Danser, de mai 2023. La Déferlante est une revue tri­mes­trielle indé­pen­dante consacrée aux fémi­nismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­ne­ment, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.
Consulter le sommaire

Dans la même catégorie