Dans notre entretien, la juriste Céline Bardet, spécialisée dans les crimes sexuels utilisés comme arme de guerre, à qui nous demandions : « Y a‑t-il un historique de violences sexuelles dans le conflit israélo-palestinien ? », a donné cette réponse que nous avons retranscrite : « Non, c’est le seul au monde où – jusqu’ici en tout cas – la violence sexuelle n’est pas utilisée. L’armée israélienne a un système disciplinaire extrêmement strict et éprouvé, avec des formations sur ces questions. Une ligne rouge a été formulée et posée, ce qui manque encore dans beaucoup de systèmes militaires. » Et nous n’y avons pas apporté les éléments contradictoires inhérents à la démarche journalistique.
Vous avez été très nombreuses et nombreux à réagir, sur les réseaux sociaux et par mail, pour nous dire votre colère à la lecture de ces lignes. De fait, de multiples sources* font état de violences sexuelles commises en Israël et en Palestine depuis 1948. Il était tout aussi problématique d’utiliser l’expression « conflit israélo-palestinien », qui ne reflète pas l’asymétrie de la situation sur le terrain, et de reprendre, sans la questionner, cette affirmation selon laquelle l’armée israélienne serait exemplaire.
Dans les heures qui ont suivi l’envoi de cette newsletter, nous avons modifié l’article publié sur notre site. Céline Bardet y précise son propos, qui portait spécifiquement sur les violences sexuelles utilisées comme arme de guerre au regard du droit international et de critères juridiques précis.
Notre engagement doit avant tout apparaître dans nos choix éditoriaux
Cette erreur est celle de notre collectif de rédactrices en chef. Nous voulons redire ici avec force que nous croyons toutes les femmes victimes de violences sexuelles. Nous croyons les Palestiniennes. Nous croyons les Israéliennes.
Comme beaucoup d’entre vous, nous avons été horrifiées par les tueries méthodiques commises le 7 octobre par le Hamas, et nous sommes révulsées et sidérées par le massacre en cours des femmes, hommes et enfants palestien·nes, dans le silence assourdissant des dirigeant·es occidentaux et occidentales. Nous sommes indignées par la vaste politique de déshumanisation des habitant·es de Gaza et de Cisjordanie, une situation qui résulte du système d’apartheid et de colonisation mis en place de longue date par l’État d’Israël, comme l’expliquait la juriste franco-palestinienne Rima Hassan dans notre newsletter du 10 novembre.
Au tout début de nos réflexions sur la revue, nous avons décidé qu’elle ne comporterait pas d’édito. Nous ne voulons pas reproduire cet exercice journaliste surplombant qui consiste à exposer son opinion sur n’importe quel sujet, sans en être, la plupart du temps, spécialiste. Pour autant, comme nous l’écrivions dans notre manifeste (La Déferlante no 1, mars 2021), « La Déferlante ne se place pas au-dessus de la mêlée : elle prend parti. »
Que ce soit dans notre revue trimestrielle, notre newsletter bimensuelle et maintenant aussi à travers les livres que nous publions, nous nous appliquons à raconter les luttes féministes et LGBT+ et à documenter l’époque, dans une perspective intersectionnelle, en tentant de déconstruire les biais sexistes, racistes et classistes. Nous maintenons notre idée, et considérons que notre engagement doit avant tout apparaître dans nos choix éditoriaux, dans les récits, idées, et images que nous proposons à nos lecteur·ices, dans la hiérarchisation de l’information que nous défendons. Dans le cas de la newsletter du 17 novembre dernier, ce positionnement a été illisible. Publié en plein massacre du peuple palestinien, ce texte est apparu comme une occultation de ses souffrances.
Lorsque l’on commet des erreurs, il faut savoir les reconnaître, les analyser et tout faire pour ne pas les répéter. Nous nous devons de questionner sans relâche la place depuis laquelle nous produisons notre média. Et il nous faut dès à présent ajuster les modes de fabrication de nos newsletters, élargir nos sources et écouter encore davantage la parole des personnes concernées.
À toutes et tous, nous réitérons nos sincères excuses.
- « Des féminités mobilisées et incarcérées en Palestine », Critique internationale, 2013. Article de la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah, qui mentionne des viols commis en prison sur des détenues palestiniennes
- « I Saw Fit To Remove Her From The World », Haaretz, 29 octobre 2003. Article (en anglais) qui révèle le viol d’une bédouine du Néguev par plusieurs soldats israéliens en 1949. Ces faits ont inspiré le roman d’Adania Shibli, Un détail mineur (Actes Sud, 2020)
- « Burying the Nakba: How Israel Systematically Hides Evidence of 1948 Expulsion of Arabs », Haaretz, 5 juillet 2019. Article, traduit ici en français, qui évoque le travail d’historiens révélant des crimes commis pendant la Nakba
- « Violence Against Palestinian Women », juillet 2005, rapport de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
- « Israeli soldiers accused if raping a 11-year-old », The Guardian, 2 mai 2006
- Le site de l’association palestinienne Addameer, association des droits humains et de soutien aux prisonnier·es