Barbecue : les féministes marchent sur des braises

Dernière news­let­ter de notre série sur les mots de l’été (car après tout, la rentrée n’est que lundi !). Cette semaine, Nora Bouazzouni revient sur la polémique autour du « barbecue » de l’été 2022. Pourquoi donc les propos de Sandrine Rousseau sur la consom­ma­tion de viande des hommes les ont-ils à ce point énervés ?
Publié le 1 septembre 2023
illustration : Maëlle Réat pour La Déferlante « Barbecue : les féministes marchent sur des braises »
Crédit illus­tra­tion : Maëlle Réat pour La Déferlante

Depuis un an, une femme politique a rejoint Alice Coffin dans le trou noir qui remplace le cœur des anti­fé­mi­nistes assumés qui ne sont cer­tai­ne­ment pas misogynes, la preuve, ils ont une sœur. Car si les hommes détestent les femmes poli­tiques, ils détestent encore plus celles qui leur mettent le nez dans leurs idées reçues. Il en est ainsi de Sandrine Rousseau qui, à défaut de cumuler les mandats, accumule ce qui, dans notre société patriar­cale, s’apparente à des tares : femme + politique + écolo + féministe… et grande gueule avec ça ! N’en jetez plus, c’est un bingo.

En août 2022, lors de l’université d’été d’Europe Écologie Les Verts, l’élue pari­sienne a ouvert les portes de l’enfer – et Buffy n’était pas là pour les refermer. Interrogée sur les stra­té­gies à adopter pour convaincre les gens de réduire leur consom­ma­tion de viande (afin de limiter le chan­ge­ment cli­ma­tique), elle a répondu : «Il faut aussi changer de mentalité, pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité.»

Un privilège masculin

En France, voyez-vous, on ne s’attaque pas à la nour­ri­ture, encore moins d’un point de vue socio­lo­gique. J’en sais quelque chose, puisqu’ayant publié deux essais sur le genre et l’alimentation, j’ai reçu menaces de viol, de mort, tweets racistes, com­men­taires homo­phobes et mails d’insultes. Sandrine Rousseau s’en est pris, ce jour-là, à deux totems hexa­go­naux : la viande et les hommes. Interdiction de dire que les hommes tuent les femmes (Alice Coffin cybe­rhar­ce­lée, puis sous pro­tec­tion policière), inter­dic­tion de dire que l’élevage intensif est catas­tro­phique pour la planète (pas touche au soi-disant terroir, central dans la construc­tion et la per­pé­tua­tion d’une identité française fan­tas­ma­tique) ; donc affirmer que la viande est un fétiche viriliste, c’est une double hérésie sauce bleu-blanc-rouge.


« Placer sa virilité dans une côtelette d’agneau, je trouve ça conster­nant de bêtise. »


Or, n’en déplaise à celles et ceux qui se sont fâché·es tout rouge en décrétant qu’elle avait encore perdu une occasion de se taire, les faits sont têtus et docu­men­tés : partout dans le monde, les hommes mangent plus de viande rouge que les femmes (en France, deux fois plus) ; la majorité des personnes végé­ta­riennes sont des femmes. Donc au-delà du symbole de virilité qu’elle maté­ria­lise, la consom­ma­tion carnée est un privilège masculin. En 2021, une étude bri­tan­nique démon­trait que le régime ali­men­taire des hommes émet 41 % de gaz à effet de serre en plus que celui des femmes, prin­ci­pa­le­ment à cause de leur consom­ma­tion dis­pro­por­tion­née de viande.

Hélas, nous vivons dans l’ère de la post-vérité où les faits, tels des traits de vinaigre bal­sa­mique sur une assiette de res­tau­rant étoilé, sont super­fé­ta­toires même au sein de la classe politique. L’important, c’est de ne pas froisser l’électorat, de flatter ses habitudes et de le rassurer : boys will be boys et la France restera la France, viande partout et inclu­si­vi­té nulle part. Quitte à faire montre de son ignorance, tel Fabien Roussel, secré­taire national du Parti com­mu­niste, drôlement fier de ses pun­chlines, qui déclarait le 30 août 2022 sur Europe 1 : « Vous n’allez pas me parler du sexe des escalopes, quand même ! », ou encore : « On mange de la viande en fonction de ce qu’on a dans le porte-monnaie, et pas de ce qu’on a dans sa culotte ou dans son slip. » Belle leçon de démagogie, à défaut de faire dans la pédagogie.

Des photos de côtes de bœuf

Mais lorsque Roussel fait l’éloge du steak, reçoit-il, sur Twitter et Instagram, des photos de curry de chou-fleur, de pizza marinara ou de rata­touille, accom­pa­gnées de messages véhéments de véganes outré·es ? Que nenni. Pourtant, sur les réseaux sociaux, Sandrine Rousseau est depuis un an inondée d’images de merguez et de côtes de bœuf, comme autant de dick pics non sol­li­ci­tées et envoyées rien que pour l’emmerder et l’intimider. Le comble, c’est qu’elle n’est même pas végé­ta­rienne. Partant de là, c’est comme envoyer un gros chèque à quelqu’un qui cri­ti­que­rait les ultrariches.

Placer sa virilité au cœur de son identité, et placer sa virilité dans une côtelette d’agneau, je trouve ça conster­nant de bêtise – et à la fois, ça ne me surprend qu’à moitié de la part d’un groupe dont 29 % des individus ne se lavent que deux fois par semaine ou moins, qui a banni la couleur rose de sa penderie parce que… (euh, pourquoi au juste ?), et se crée des ulcères quand les pro­duc­teurs de Star Wars donnent le rôle principal à une femme. À la limite, je pré­fé­re­rais que les hommes placent leur virilité dans un gel douche ou une brosse à ongles, ce serait déjà ça de pris. Mais dans la vie, on n’a pas toujours ce qu’on veut, un peu comme un·e végétarien·ne dans un res­tau­rant français.

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