Depuis un an, une femme politique a rejoint Alice Coffin dans le trou noir qui remplace le cœur des antiféministes assumés qui ne sont certainement pas misogynes, la preuve, ils ont une sœur. Car si les hommes détestent les femmes politiques, ils détestent encore plus celles qui leur mettent le nez dans leurs idées reçues. Il en est ainsi de Sandrine Rousseau qui, à défaut de cumuler les mandats, accumule ce qui, dans notre société patriarcale, s’apparente à des tares : femme + politique + écolo + féministe… et grande gueule avec ça ! N’en jetez plus, c’est un bingo.
En août 2022, lors de l’université d’été d’Europe Écologie Les Verts, l’élue parisienne a ouvert les portes de l’enfer – et Buffy n’était pas là pour les refermer. Interrogée sur les stratégies à adopter pour convaincre les gens de réduire leur consommation de viande (afin de limiter le changement climatique), elle a répondu : « Il faut aussi changer de mentalité, pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité. »
Un privilège masculin
En France, voyez-vous, on ne s’attaque pas à la nourriture, encore moins d’un point de vue sociologique. J’en sais quelque chose, puisqu’ayant publié deux essais sur le genre et l’alimentation, j’ai reçu menaces de viol, de mort, tweets racistes, commentaires homophobes et mails d’insultes. Sandrine Rousseau s’en est pris, ce jour-là, à deux totems hexagonaux : la viande et les hommes. Interdiction de dire que les hommes tuent les femmes (Alice Coffin cyberharcelée, puis sous protection policière), interdiction de dire que l’élevage intensif est catastrophique pour la planète (pas touche au soi-disant terroir, central dans la construction et la perpétuation d’une identité française fantasmatique) ; donc affirmer que la viande est un fétiche viriliste, c’est une double hérésie sauce bleu-blanc-rouge.
« Placer sa virilité dans une côtelette d’agneau, je trouve ça consternant de bêtise. »
Or, n’en déplaise à celles et ceux qui se sont fâché·es tout rouge en décrétant qu’elle avait encore perdu une occasion de se taire, les faits sont têtus et documentés : partout dans le monde, les hommes mangent plus de viande rouge que les femmes (en France, deux fois plus) ; la majorité des personnes végétariennes sont des femmes. Donc au-delà du symbole de virilité qu’elle matérialise, la consommation carnée est un privilège masculin. En 2021, une étude britannique démontrait que le régime alimentaire des hommes émet 41 % de gaz à effet de serre en plus que celui des femmes, principalement à cause de leur consommation disproportionnée de viande.
Hélas, nous vivons dans l’ère de la post-vérité où les faits, tels des traits de vinaigre balsamique sur une assiette de restaurant étoilé, sont superfétatoires même au sein de la classe politique. L’important, c’est de ne pas froisser l’électorat, de flatter ses habitudes et de le rassurer : boys will be boys et la France restera la France, viande partout et inclusivité nulle part. Quitte à faire montre de son ignorance, tel Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, drôlement fier de ses punchlines, qui déclarait le 30 août 2022 sur Europe 1 : « Vous n’allez pas me parler du sexe des escalopes, quand même ! », ou encore : « On mange de la viande en fonction de ce qu’on a dans le porte-monnaie, et pas de ce qu’on a dans sa culotte ou dans son slip. » Belle leçon de démagogie, à défaut de faire dans la pédagogie.
Des photos de côtes de bœuf
Mais lorsque Roussel fait l’éloge du steak, reçoit-il, sur Twitter et Instagram, des photos de curry de chou-fleur, de pizza marinara ou de ratatouille, accompagnées de messages véhéments de véganes outré·es ? Que nenni. Pourtant, sur les réseaux sociaux, Sandrine Rousseau est depuis un an inondée d’images de merguez et de côtes de bœuf, comme autant de dick pics non sollicitées et envoyées rien que pour l’emmerder et l’intimider. Le comble, c’est qu’elle n’est même pas végétarienne. Partant de là, c’est comme envoyer un gros chèque à quelqu’un qui critiquerait les ultrariches.
Placer sa virilité au cœur de son identité, et placer sa virilité dans une côtelette d’agneau, je trouve ça consternant de bêtise – et à la fois, ça ne me surprend qu’à moitié de la part d’un groupe dont 29 % des individus ne se lavent que deux fois par semaine ou moins, qui a banni la couleur rose de sa penderie parce que… (euh, pourquoi au juste ?), et se crée des ulcères quand les producteurs de Star Wars donnent le rôle principal à une femme. À la limite, je préférerais que les hommes placent leur virilité dans un gel douche ou une brosse à ongles, ce serait déjà ça de pris. Mais dans la vie, on n’a pas toujours ce qu’on veut, un peu comme un·e végétarien·ne dans un restaurant français.
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