Qu’est-ce qui cloche dans les colonies de vacances ? Pas mal de choses à en croire Mélina Raveleau et Thibaut Wojtkowski, à l’origine des séjours Toustes en colo. Avant de créer leur association, ces deux « animateurices » ( néologisme désignant à la fois les animateurs et les animatrices) ont travaillé pendant de nombreuses années au sein de structures spécialisées dans l’accueil des jeunes. Des expériences qui leur ont parfois laissé un goût amer. Thibaut évoque, par exemple, cet enfant choqué de s’être entendu répondre par un encadrant que, pour la répartition des chambres, il fallait bien que « les bites soient avec les bites et les vagins avec les vagins ». Mélina se souvient d’une jeune fille trans qui s’est scarifiée après qu’un animateur d’une autre colo lui a lancé « un mec en jupe, c’est dégueulasse ».
Après une première édition en 2021, l’association à but non lucratif organise cet été deux nouvelles sessions dans le Jura, pour des jeunes de 12 à 17 ans. « Celles et ceux qui viennent chez nous se sentent exclu·es des séjours classiques, donc il y a beaucoup de jeunes trans, des personnes en situation de handicap ou neuroatypiques [qui présentent un fonctionnement cognitif particulier : autisme, troubles de l’apprentissage…]. Il y a aussi une vraie diversité au niveau de l’origine sociale », précise Mélina Raveleau. L’année dernière, ils et elles étaient une dizaine d’inscrit·es.
Outre l’inclusivité, le but du projet éducatif est de remettre les aspirations des jeunes au centre du séjour. Ainsi, dès leur arrivée, il leur est demandé quels pronom et prénom ils et elles souhaitent utiliser, et dans quel type de chambres ou dortoirs ils et elles souhaitent dormir. « L’année dernière, certain·es ont dormi dans des chambres mixtes, d’autres dans des dortoirs non mixtes, et d’autres en chambre individuelle », détaille Mélina. Les règles de vie et le programme quotidien sont ensuite coconstruits entre les animateurices et les jeunes. Chaque activité est pensée, en conformité avec les goûts des participant·es et de manière à ne pas créer de discriminations.
L’hétérosexualité est pensée comme une orientation sexuelle par défaut
« La plupart des colonies de vacances ne réfléchissent pas à la manière dont elles reproduisent les normes de genre », analyse Gabrielle Richard, sociologue spécialiste des questions queer et autrice de Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité. L’hétérosexualité y est donc généralement pensée comme une orientation sexuelle par défaut qui justifie l’organisation en dortoirs non mixtes, réaffirmant de fait une binarité des sexes.
Pas facile, de composer avec ces règles pour les jeunes qui ne rentrent pas dans les cases « hétéro » ou « cisgenre ». « Pour elles et eux, la colo ne remplit pas son plein potentiel, poursuit Gabrielle Richard. Les colonies de vacances représentent un espace en marge de la vie de tous les jours, où on peut respirer. Ce sont des contextes qui pourraient être particulièrement propices à des jeunes qui souhaiteraient explorer des manières d’être alternatives. »
Il faudrait réfléchir collectivement à la manière dont les colonies de vacances reproduisent les rapports de pouvoir
C’est dans cette idée que sont apparues, depuis quelques années, des colonies de vacances alternatives. Au Canada, le Rainbow Camp propose des séjours pour les jeunes LGBTQ+, leurs allié·es et les enfants issu·es de familles queer. En Californie, le Gender Camp vise, lui, plus particulièrement les enfants trans ou non binaires (sur ce même sujet, ne manquez pas dans le prochain numéro de La Déferlante, le portfolio signé Lindsay Morris). En France, l’association Toustes en colo ne s’adresse pas uniquement aux enfants LGBTQ+, elle propose « des séjours bienveillants et respectueux de toustes les jeunes, quels que soient leur genre, leurs origines, leurs orientations romantiques ou sexuelles, leur religion, leur état de santé, leur physique et leurs opinions ».
« Je leur serai redevable à vie »
La formule de séjour est plébiscitée par Noémie, la mère de Madeleine, 17 ans, qui a fait son coming out trans non binaire au retour de son séjour : « Cette expérience lui a fait du bien et lui a donné confiance. Iel a pu mettre des mots et nous en parler. » Même son de cloche enthousiaste du côté de Simon (le prénom a été modifié), désormais majeur, qui a participé à Toustes en colo l’année dernière et, auparavant, à d’autres séjours animés par Mélina Raveleau. « Ce sont les premiers endroits où j’ai pu être out en tant que mec trans, explique-t-il. Deux semaines dans l’été où on peut être soi-même, sans qu’il y ait de questions gênantes, c’est très important. Mon parcours ne serait absolument pas le même si je n’avais pas eu cette expérience. Je leur serai redevable à vie. »
Son seul regret est que l’organisme ne soit pas plus connu. « Il faudrait que plus de jeunes puissent bénéficier de ce genre d’espace ! », assure-t-il. Alors comment faire en sorte que cette initiative fasse des émules ? « On aimerait bien intervenir dans le cadre du BAFA sur les questions d’inclusion », avance Thibaut Wojtkowski. Le dossier d’habilitation est en cours de préparation, sans garantie de succès. La sociologue Gabrielle Richard, elle aussi, appelle de ses vœux une évolution de la formation initiale. « Lorsqu’on forme des animateurs et des animatrices, il faudrait réfléchir collectivement à la manière dont les colonies de vacances ne sont pas exemptes des rapports de pouvoir. » Être mieux outillé·e pour ne plus exclure malgré soi.
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