Des colonies de vacances inclusives

Loin de n’être que des lieux d’évasion et de loisirs, les séjours pour enfants et adolescent·es repro­duisent la plupart du temps les logiques de dis­cri­mi­na­tions présentes dans l’ensemble de la société. Certaines ini­tia­tives tentent donc de faire bouger les lignes, comme celle de Toustes en colo, un camp d’été inclusif lancé l’année dernière, qui repense les séjours estivaux, armé des lunettes du féminisme.
Publié le 5 août 2022
Des colonies de vacances inclusives - Newsletter La Déferlante
Marie Rouge

Quest-ce qui cloche dans les colonies de vacances ? Pas mal de choses à en croire Mélina Raveleau et Thibaut Wojtkowski, à l’origine des séjours Toustes en colo. Avant de créer leur asso­cia­tion, ces deux « ani­ma­teu­rices » ( néo­lo­gisme désignant à la fois les ani­ma­teurs et les ani­ma­trices) ont travaillé pendant de nom­breuses années au sein de struc­tures spé­cia­li­sées dans laccueil des jeunes. Des expé­riences qui leur ont parfois laissé un goût amer. Thibaut évoque, par exemple, cet enfant choqué de s’être entendu répondre par un encadrant que, pour la répar­ti­tion des chambres, il fallait bien que « les bites soient avec les bites et les vagins avec les vagins ». Mélina se souvient d’une jeune fille trans qui sest scarifiée après quun animateur dune autre colo lui a lancé « un mec en jupe, cest dégueu­lasse ».

Après une première édition en 2021, l’association à but non lucratif organise cet été deux nouvelles sessions dans le Jura, pour des jeunes de 12 à 17 ans. « Celles et ceux qui viennent chez nous se sentent exclu·es des séjours clas­siques, donc il y a beaucoup de jeunes trans, des personnes en situation de handicap ou neu­roa­ty­piques [qui pré­sentent un fonc­tion­ne­ment cognitif par­ti­cu­lier : autisme, troubles de l’apprentissage…]. Il y a aussi une vraie diversité au niveau de lorigine sociale », précise Mélina Raveleau. Lannée dernière, ils et elles étaient une dizaine dinscrit·es.

Outre linclu­si­vi­té, le but du projet éducatif est de remettre les aspi­ra­tions des jeunes au centre du séjour. Ainsi, dès leur arrivée, il leur est demandé quels pronom et prénom ils et elles sou­haitent utiliser, et dans quel type de chambres ou dortoirs ils et elles sou­haitent dormir. « Lannée dernière, certain·es ont dormi dans des chambres mixtes, dautres dans des dortoirs non mixtes, et dautres en chambre indi­vi­duelle », détaille Mélina. Les règles de vie et le programme quotidien sont ensuite cocons­truits entre les ani­ma­teu­rices et les jeunes. Chaque activité est pensée, en confor­mi­té avec les goûts des participant·es et de manière à ne pas créer de discriminations.

L’hétérosexualité est pensée comme une orientation sexuelle par défaut

« La plupart des colonies de vacances ne réflé­chissent pas à la manière dont elles repro­duisent les normes de genre », analyse Gabrielle Richard, socio­logue spé­cia­liste des questions queer et autrice de Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation antiop­pres­sive à la sexualité. Lhété­ro­sexua­li­té y est donc géné­ra­le­ment pensée comme une orien­ta­tion sexuelle par défaut qui justifie l’organisation en dortoirs non mixtes, réaf­fir­mant de fait une binarité des sexes.

Pas facile, de composer avec ces règles pour les jeunes qui ne rentrent pas dans les cases « hétéro » ou « cisgenre ». « Pour elles et eux, la colo ne remplit pas son plein potentiel, poursuit Gabrielle Richard. Les colonies de vacances repré­sentent un espace en marge de la vie de tous les jours, où on peut respirer. Ce sont des contextes qui pour­raient être particulièrement propices à des jeunes qui sou­hai­te­raient explorer des manières d’être alter­na­tives. »


Il faudrait réfléchir col­lec­ti­ve­ment à la manière dont les colonies de vacances repro­duisent les rapports de pouvoir


Cest dans cette idée que sont apparues, depuis quelques années, des colonies de vacances alter­na­tives. Au Canada, le Rainbow Camp propose des séjours pour les jeunes LGBTQ+, leurs allié·es et les enfants issu·es de familles queer. En Californie, le Gender Camp vise, lui, plus par­ti­cu­liè­re­ment les enfants trans ou non binaires (sur ce même sujet, ne manquez pas dans le prochain numéro de La Déferlante, le portfolio signé Lindsay Morris). En France, l’association Toustes en colo ne sadresse pas uni­que­ment aux enfants LGBTQ+, elle propose « des séjours bien­veillants et res­pec­tueux de toustes les jeunes, quels que soient leur genre, leurs origines, leurs orien­ta­tions roman­tiques ou sexuelles, leur religion, leur état de santé, leur physique et leurs opinions ».

« Je leur serai redevable à vie »

La formule de séjour est plé­bis­ci­tée par Noémie, la mère de Madeleine, 17 ans, qui a fait son coming out trans non binaire au retour de son séjour : « Cette expé­rience lui a fait du bien et lui a donné confiance. Iel a pu mettre des mots et nous en parler. » Même son de cloche enthou­siaste du côté de Simon (le prénom a été modifié), désormais majeur, qui a participé à Toustes en colo lannée dernière et, aupa­ra­vant, à dautres séjours animés par Mélina Raveleau. « Ce sont les premiers endroits où jai pu être out en tant que mec trans, explique-t-il. Deux semaines dans l’été où on peut être soi-même, sans quil y ait de questions gênantes, cest très important. Mon parcours ne serait abso­lu­ment pas le même si je navais pas eu cette expé­rience. Je leur serai redevable à vie. »

Son seul regret est que lorganisme ne soit pas plus connu. « Il faudrait que plus de jeunes puissent béné­fi­cier de ce genre despace ! », assure-t-il. Alors comment faire en sorte que cette ini­tia­tive fasse des émules ? « On aimerait bien inter­ve­nir dans le cadre du BAFA sur les questions dinclusion », avance Thibaut Wojtkowski. Le dossier dhabi­li­ta­tion est en cours de pré­pa­ra­tion, sans garantie de succès. La socio­logue Gabrielle Richard, elle aussi, appelle de ses vœux une évolution de la formation initiale. « Lorsqu’on forme des ani­ma­teurs et des ani­ma­trices, il faudrait réfléchir col­lec­ti­ve­ment à la manière dont les colonies de vacances ne sont pas exemptes des rapports de pouvoir. » Être mieux outillé·e pour ne plus exclure malgré soi.

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