Ah, les vacances ! Il y a celles et ceux qui partent en train, avec huit heures de Pat’ Patrouille téléchargées sur la tablette ; celles et ceux qui se lèvent aux aurores avec la glacière sur la banquette arrière ; celles et ceux qui arrivent à l’aéroport en culpabilisant déjà… Et puis il y a celles mais surtout ceux qui font Paris-Nice-Marrakech-Paris en avion en une journée, comme on irait faire ses courses un samedi, puis Paris-Venise-Paris le lendemain – les Spritz sont sans doute meilleurs quand ils sentent le kérosène.
À l’été 2022, la France qui fait pipi sous la douche découvre, grâce à Twitter, que les ultrariches se torchent avec l’écologie. D’après le compte @i_fly_Bernard, qui épingle les voyages en jet des milliardaires français (Bernard Arnault, Vincent Bolloré, François-Henri Pinault, Martin Bouygues…), ces derniers ont émis, rien qu’avec 53 vols, 520 tonnes de CO2, soit l’empreinte carbone moyenne d’un·e Français·e pendant 52 ans.
Ce n’est pas le seul compte Twitter à faire dans la dénonciation publique : @ElonJetNextDay traque les déplacements du milliardaire (et patron de Twitter, ô douce ironie) Elon Musk. De son côté, depuis juin 2022, @laviondebernard épinglait spécifiquement les trajets de Bernard Arnault, patron du groupe de luxe LVMH, propriétaire de médias, en tête du classement mondial des personnes les plus riches. Excédé, le PDG a d’ailleurs vendu son jet Bombardier quelques mois plus tard. Prise de conscience écolo ? Bernard bientôt zadiste-composteur ? Du tout : il loue désormais des avions pour ne plus être pisté. Pirouette, cacahuète.
L’assurance de leur droit à polluer
Interrogé, en août 2022, sur la régulation de ces appareils, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran déclarait sur France Inter : « Dans la grande majorité des cas, ce sont des transports commerciaux, c’est créateur d’emplois. » Bien sûr. Et moi, quand je me ressers des frites à la cantine, c’est pour créer des emplois dans la filière patate.
Entre 2021 et 2022, les émissions des jets privés ont plus que doublé, et la France est le pays de l’Union européenne comptant le plus de vols en jet privé. 55 % de ces trajets étant par ailleurs inférieurs à 750 km, et donc facilement réalisables en train, qu’est-ce qui empêche ces voyageurs de choisir le rail ? Rien, si ce n’est l’assurance de leur droit à polluer. Une conviction renforcée par l’(in)action politique.
Le 23 mai dernier, par exemple, a été publié un décret interdisant les lignes aériennes en cas d’alternative de moins de deux heures et demie en train. Mais Bernard, Martin, François-Henri et les autres peuvent continuer à siffler du champ’ en pissant du kérosène, car cela ne concerne que les lignes commerciales. Surtout que l’Assemblée nationale avait rejeté, quelques semaines auparavant, la proposition de loi du groupe Europe Écologie Les Verts visant à interdire les jets. Rien d’étonnant à ce que les puissants se serrent les coudes, puisqu’eux seuls profitent du statu quo écocidaire qu’ils alimentent.
Les comportements écolos sont perçus comme féminins
Les 10 % les plus riches produisent la moitié des gaz à effet de serre émis dans le monde. Et qui sont ces ultrariches ? Ô surprise, principalement des hommes (« seulement » 13 femmes sont dans le top 100 des milliardaires, aucune dans le top 10). C’est presque devenu un leitmotiv : je pollue, donc je suis… un vrai bonhomme ! Vous trouvez que j’exagère ? Il y a deux ans, Jeff Bezos faisait un aller-retour express en fusée rien que pour mettre le seum à Elon Musk : 11 minutes de vol, 75 tonnes de CO2. Et rappelez-vous le tweet de l’homme d’affaires masculiniste Andrew Tate, qui proposait à la militante écolo Greta Thunberg de lui envoyer la liste détaillée de sa collection de voitures et « leurs énormes émissions ». Ce à quoi l’intéressée répliqua : « Yes, écris-moi donc à [email protected] ».
Vrai homme déteste poubelle jaune
En France, le vote écolo est principalement un vote de femmes. Aux États-Unis, une étude publiée en 2018 démontrait que les hommes blancs conservateurs constituent l’essentiel des climatosceptiques. Une autre, que les comportements écolos (recycler ou faire ses courses avec un sac réutilisable) sont couramment perçus comme « féminins », et susceptibles de remettre en question l’hétérosexualité de celui qui les adopte. Vrai homme déteste poubelle jaune. Vrai homme boit diesel au petit-déj.
La chercheuse états-unienne Cara Daggett a théorisé ce lien entre identités masculines hégémoniques et défense des énergies fossiles : elle appelle cela la pétro-masculinité. Un package qui mêle misogynie, homophobie, suprématisme blanc, néocolonialisme, ultralibéralisme, technosolutionnisme et vision extractiviste de la nature. À défaut de préserver la planète, les hommes préservent leurs intérêts. Le « coût de la virilité », pour reprendre le titre du super essai de Lucile Peytavin, ne se compte pas qu’en millions d’euros. Il s’évalue aussi en milliers de morts climatiques.
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