Droits des personnes trans : le Royaume-Uni dans la confusion

Le 16 avril 2025, la Cour suprême bri­tan­nique donnait raison au collectif antitrans For Women Scotland, qui demandait que les femmes trans ne soient plus reconnues comme des femmes et, à ce titre, soient exclues de certains lieux non mixtes. Une décision qui sème l’inquiétude chez les personnes trans et dont on ignore toujours, deux mois plus tard, comment elle pourra être appliquée.
Publié le 12/06/2025

de la Cour suprême de définir une femme sur des critères biologiques. Crédit photo : Jeff Mitchell/Getty Images via AFP.
À Glasgow, le 2 mai 2025, des manifestant·es pour les droits des personnes trans pro­tes­taient contre la décision de la Cour suprême de définir une femme sur des critères bio­lo­giques. Crédit photo : Jeff Mitchell/Getty Images via AFP.

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Depuis plusieurs semaines, Charlotte Rose Siddle, 55 ans, peine à sortir de chez elle : « J’ai une voix grave, et je crains que cela ne trahisse que je suis une femme trans. J’ai peur en per­ma­nence d’être attaquée : c’est épuisant. » En avril dernier, la Cour suprême bri­tan­nique (équi­valent de la Cour de cassation en France) rendait un avis de 87 pages donnant raison aux col­lec­tifs antitrans.

Ces derniers cher­chaient à res­treindre la défi­ni­tion légale d’une femme, afin que les femmes trans ne soient plus concer­nées par les termes de l’Equality Act, une loi anti­dis­cri­mi­na­tion datant de 2010. La décision de la Cour suprême parle de sexe « bio­lo­gique », de « femme bio­lo­gique », et non plus de genre. Elle pourrait avoir comme effet d’exclure les femmes trans de certains lieux non mixtes, comme les toilettes publiques, les ves­tiaires sportifs ou les prisons.

Les col­lec­tifs antitrans – parmi lesquels For Women Scotland, connu pour béné­fi­cier du soutien média­tique et financier de J. K. Rowling, l’autrice de la saga Harry Potter – ont immé­dia­te­ment crié victoire. Pourtant, si cette décision fait craindre une mul­ti­pli­ca­tion des agres­sions trans­phobes, elle n’a pas force de loi, et son appli­ca­tion reste à la dis­cré­tion du législateur.

Permis de discriminer

Selon Jules Buet, membre du groupe régional LGBTQIA+ de Unite the Union, le plus important syndicat bri­tan­nique, le risque d’agression est d’autant plus important qu’il existe dans l’opinion un préjugé trans­phobe voulant qu’on peut faci­le­ment savoir qu’une personne est trans. « C’est assez peu probable que la police vienne vérifier les parties génitales des personnes trans, explique-t-il. Mais il est tout à fait possible qu’un policier se serve de cette décision pour agresser sexuel­le­ment une femme cisgenre. Il lui suffira de dire qu’elle est trans pour que la palpation soit faite par un homme et non par sa collègue femme. »

En outre, cette décision ne s’applique que dans certains lieux publics et dans certaines orga­ni­sa­tions, et ne remet pas en cause les droits admi­nis­tra­tifs déjà acquis par les personnes trans. « Par exemple, si je me marie, je serai consi­dé­rée comme femme aux yeux de la loi, mais je devrais peut-être utiliser les toilettes pour hommes », explique jane fae [elle tient à ce qu’on écrive son nom sans majuscule], direc­trice de l’organisation Trans Actuel UK, qui lutte contre la trans­pho­bie et la dés­in­for­ma­tion. La militante s’inquiète surtout du bruit média­tique entretenu par les col­lec­tifs antitrans : « Cette décision n’interdit rien, elle se contente d’exclure. Mais beaucoup de personnes s’autorisent à nous dis­cri­mi­ner parce qu’elles pensent qu’elles ont désormais le droit d’intervenir pour interdire certains lieux aux femmes trans. Et ça, c’est très grave. »

« On peut encore agir »

L’interdiction d’accès à certains lieux ne pourrait en effet être justifiée que sur la base de sté­réo­types de genre, un « délit de faciès » selon la militante trans­fé­mi­niste Jes Jester, pour qui « cette décision […] crée un précédent ». Car, dans la confusion provoquée par la décision de la Cour suprême et sa média­ti­sa­tion, certaines struc­tures (entre­prises, hôpitaux…) pour­raient aménager leur règlement intérieur, avec le risque d’exclure davantage les personnes trans. Mais Jes Jester tempère : « Malgré les efforts des asso­cia­tions trans­phobes, tout cela n’est pas encore inscrit dans la loi : on peut donc encore agir. »


« Beaucoup de personnes s’autorisent main­te­nant à inter­ve­nir pour interdire aux femmes trans l’accès à certains lieux. »

jane fae, direc­trice de l’association Trans Actuel UK

Depuis plusieurs semaines, les asso­cia­tions trans du Royaume-Uni connaissent un élan de soli­da­ri­té sans précédent. Le 19 avril, plusieurs milliers de personnes se réunis­saient dans les rues de Londres pour défendre les droits des personnes trans. En réponse à l’implication de J. K. Rowling dans les campagnes trans­phobes, des citoyen·nes se sont également mis·es à boycotter le mer­chan­di­sing Harry Potter. « Beaucoup de personnes qui, en temps normal, ne nous auraient jamais apporté leur soutien sont venues nous proposer de l’aide, rapporte Jes Jester. Maintenant qu’on a l’attention du grand public, on va s’en saisir pour sensibiliser. »

L’affaire résonne désormais au-delà des fron­tières du Royaume-Uni, passé récemment de la 16e à la 22e place des pays les plus favo­rables aux personnes LGBTQIA+ en Europe, selon le clas­se­ment de l’ONG Inga-Europe. De son côté, l’ancienne juge Victoria McCloud, première magis­trate trans du pays, a engagé une action devant la Cour euro­péenne des droits de l’homme pour invalider la décision de la Cour suprême britannique.

Élie Hervé

Élie Hervé est journaliste spécialiste des questions de genres et de discriminations depuis 2019 et travaille avec de nombreux médias. Iel est aussi l’auteurice de « Transphobia. Enquête sur la désinformation et les discriminations transphobes » (Solar, 2025). Voir tous ses articles

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