Depuis plusieurs semaines, Charlotte Rose Siddle, 55 ans, peine à sortir de chez elle : « J’ai une voix grave, et je crains que cela ne trahisse que je suis une femme trans. J’ai peur en permanence d’être attaquée : c’est épuisant. » En avril dernier, la Cour suprême britannique (équivalent de la Cour de cassation en France) rendait un avis de 87 pages donnant raison aux collectifs antitrans.
Les collectifs antitrans – parmi lesquels For Women Scotland, connu pour bénéficier du soutien médiatique et financier de J. K. Rowling, l’autrice de la saga Harry Potter – ont immédiatement crié victoire. Pourtant, si cette décision fait craindre une multiplication des agressions transphobes, elle n’a pas force de loi, et son application reste à la discrétion du législateur.
Permis de discriminer
Selon Jules Buet, membre du groupe régional LGBTQIA+ de Unite the Union, le plus important syndicat britannique, le risque d’agression est d’autant plus important qu’il existe dans l’opinion un préjugé transphobe voulant qu’on peut facilement savoir qu’une personne est trans. « C’est assez peu probable que la police vienne vérifier les parties génitales des personnes trans, explique-t-il. Mais il est tout à fait possible qu’un policier se serve de cette décision pour agresser sexuellement une femme cisgenre. Il lui suffira de dire qu’elle est trans pour que la palpation soit faite par un homme et non par sa collègue femme. »
En outre, cette décision ne s’applique que dans certains lieux publics et dans certaines organisations, et ne remet pas en cause les droits administratifs déjà acquis par les personnes trans. « Par exemple, si je me marie, je serai considérée comme femme aux yeux de la loi, mais je devrais peut-être utiliser les toilettes pour hommes », explique jane fae [elle tient à ce qu’on écrive son nom sans majuscule], directrice de l’organisation Trans Actuel UK, qui lutte contre la transphobie et la désinformation. La militante s’inquiète surtout du bruit médiatique entretenu par les collectifs antitrans : « Cette décision n’interdit rien, elle se contente d’exclure. Mais beaucoup de personnes s’autorisent à nous discriminer parce qu’elles pensent qu’elles ont désormais le droit d’intervenir pour interdire certains lieux aux femmes trans. Et ça, c’est très grave. »
« On peut encore agir »
L’interdiction d’accès à certains lieux ne pourrait en effet être justifiée que sur la base de stéréotypes de genre, un « délit de faciès » selon la militante transféministe Jes Jester, pour qui « cette décision […] crée un précédent ». Car, dans la confusion provoquée par la décision de la Cour suprême et sa médiatisation, certaines structures (entreprises, hôpitaux…) pourraient aménager leur règlement intérieur, avec le risque d’exclure davantage les personnes trans. Mais Jes Jester tempère : « Malgré les efforts des associations transphobes, tout cela n’est pas encore inscrit dans la loi : on peut donc encore agir. »
« Beaucoup de personnes s’autorisent maintenant à intervenir pour interdire aux femmes trans l’accès à certains lieux. »
jane fae, directrice de l’association Trans Actuel UK
Depuis plusieurs semaines, les associations trans du Royaume-Uni connaissent un élan de solidarité sans précédent. Le 19 avril, plusieurs milliers de personnes se réunissaient dans les rues de Londres pour défendre les droits des personnes trans. En réponse à l’implication de J. K. Rowling dans les campagnes transphobes, des citoyen·nes se sont également mis·es à boycotter le merchandising Harry Potter. « Beaucoup de personnes qui, en temps normal, ne nous auraient jamais apporté leur soutien sont venues nous proposer de l’aide, rapporte Jes Jester. Maintenant qu’on a l’attention du grand public, on va s’en saisir pour sensibiliser. »
L’affaire résonne désormais au-delà des frontières du Royaume-Uni, passé récemment de la 16e à la 22e place des pays les plus favorables aux personnes LGBTQIA+ en Europe, selon le classement de l’ONG Inga-Europe. De son côté, l’ancienne juge Victoria McCloud, première magistrate trans du pays, a engagé une action devant la Cour européenne des droits de l’homme pour invalider la décision de la Cour suprême britannique.