En janvier 2020, l’éditrice Vanessa Springora publie Le Consentement, une autobiographie sur la relation d’emprise que lui a fait subir l’écrivain Gabriel Matzneff lorsqu’elle avait 14 ans. Huit mois plus tard, paraît Chavirer de la romancière Lola Lafon, l’histoire d’une danseuse de 13 ans prise au piège d’un réseau de prédateur·ices sexuel·les. Leurs deux livres ont donné un puissant écho au mouvement #MeToo en faisant de la littérature une arme contre les agresseurs. Cet entretien inédit révèle leur admiration réciproque et les troublantes résonances qui jalonnent leur parcours de femmes et d’écrivaines.
Vanessa Springora et Lola Lafon, vous étiez toutes deux adolescentes à la fin des années 1980. Comment vous êtes-vous construites en tant que femmes dans ces années-là ?
LOLA LAFON
On commence par la grande catastrophe…
VANESSA SPRINGORA
Dans ses livres, Lola parle du fétichisme des années 1970 ‑1980 pour les adolescentes. C’est quelque chose qui nous a forgées, je pense, en tant que jeunes filles. La femme-enfant était un peu l’ersatz de la femme-objet. À partir du moment où les femmes avaient réclamé leur émancipation dans les années 1970, il restait les petites filles qui n’étaient pas encore capables de se défendre, et qui ont été prises dans les rets de cet imaginaire masculin… Avec cette tentation d’être femmes avant l’heure et le risque de devenir prisonnières de ce schéma.
LOLA LAFON
C’est le moment où la jeune actrice Brooke Shields était une star pour ados. Elle était hypersexualisée, donc elle faisait rêver. On avait envie d’être comme elle. Et en même temps, on ne sait pas à qui s’adressait cette image. De mon côté, j’étais dans le monde de la danse, qui était une autre forme de coercition, que j’avais choisie. Je crois qu’on avait à peu près le même âge… Moi, j’avais 13 ans au moment où j’ai fait une très mauvaise rencontre. Ce n’est pas que mon adolescence n’a pas été vécue, mais je ne sais pas ce qu’elle […]