En Pologne, une riposte féministe

Depuis quelques années, l’accès à l’avortement en Pologne n’a cessé d’être restreint. Face à l’inaction des autorités médicales, les fémi­nistes orga­nisent elles-mêmes les avor­te­ments en dehors des circuits officiels : quelque 100 000 chaque année. Reportage à Cracovie et Varsovie.
Publié le 1 février 2024
Justyna Wydrzyńska, condamnée en mars 2023 à huit mois de service d’intérêt général pour avoir aidé une femme à avorter.
Joanna Musiał pour La Déferlante. Reportage photo réalisé en septembre 2023 à Varsovie et Cracovie.

D’un air déterminé, Joanna, 32 ans, s’empare de tracts en faveur de l’avortement et s’avance dans les rues pavées du centre de Cracovie. À côté d’elle, quatre militant·es dis­tri­buent des stickers à des passant·es et collent des affiches.

On y lit le numéro à joindre pour obtenir de l’aide, un appel à légaliser tota­le­ment et sans condition l’avortement et à soutenir les militant·es. Non loin, dans une voiture, des policiers gardent un œil sur cette agitation soudaine. Lorsqu’elle les voit, le visage de Joanna se crispe.

Une cigarette aux lèvres, elle plonge dans ses souvenirs : « C’était une soirée d’avril 2023, j’étais seule chez moi et je faisais une crise d’angoisse. En pleurs, j’ai appelé ma psy­chiatre pour lui raconter mes problèmes. » Deux semaines plus tôt, Joanna avait avorté seule chez elle grâce à une pilule abortive envoyée depuis l’étranger. Un avor­te­ment légal dans ce cadre, sans douleur ni regret. Au bout du fil, sa psy­chiatre l’écoute avant de la mettre en attente. Peu après, deux policiers se pré­sentent chez Joanna : « Vous devez venir avec nous. Un crime a été commis. »

D’une voix calme, Joanna décrit l’effroi qu’elle a ressenti en les voyant entrer chez elle. « Quand j’ai entendu cette phrase, j’ai compris que ma psy­chiatre m’avait dénoncée à la police. Mais j’ignorais ce qu’elle leur avait dit exac­te­ment. » C’est seulement plusieurs mois plus tard, en juillet 2023, lorsque l’affaire est rendue publique dans la presse polonaise et que l’enregistrement audio de l’appel de sa psy­chiatre à la police est diffusé que Joanna mesure les propos tenus par sa médecin. « Elle avait dit aux flics que je venais de faire un avor­te­ment et que j’étais sui­ci­daire. Ce qui était faux. Mon avor­te­ment, c’était quinze jours plus tôt et je n’avais aucune pensée sui­ci­daire. » Joanna se souvient avoir été conduite à l’hôpital, escortée par une voiture de police. « J’ai eu très peur, je ne savais pas où j’allais, ils m’ont interdit d’utiliser mon téléphone. J’étais en pleine crise d’angoisse, et personne ne m’a aidée. »

Une destruction progressive du droit à l’avortement

Cette violence dont a été victime Joanna n’est pas isolée. Ces dernières décennies, la légis­la­tion polonaise concer­nant l’accès à l’IVG s’est consi­dé­ra­ble­ment durcie. En 1956, la Pologne avait pourtant été l’un des premiers pays européens à alléger les condi­tions d’accès à l’avortement. Mais à la chute du régime com­mu­niste, en 1993, seuls trois motifs auto­ri­saient encore la pratique de l’IVG : la mise en danger de la femme enceinte, une plainte pour viol ou inceste, et une mal­for­ma­tion du fœtus.

Le retour au pouvoir du parti conser­va­teur Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, abrégé en PiS) à l’élection pré­si­den­tielle de 2015 a de nouveau durci l’accès à l’avortement. Progressivement, sa cri­mi­na­li­sa­tion s’est imposée dans le débat public, et de nom­breuses offen­sives contre ce droit ont été menées par le Parlement et les mou­ve­ments anti-avortement. En réaction, en 2016, des milliers de femmes sont des­cen­dues dans la rue et se sont orga­ni­sées en col­lec­tifs. C’est à ce moment-là qu’est né le mouvement de la Grève générale des femmes (Ogólnopolski Strajk Kobiet, OSK), donnant lieu à une large mobi­li­sa­tion pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps. En vain.

Action dans le centre de Cracovie lors de la Journée internationale pour le droit à l’avortement.

Action dans le centre de Cracovie lors de la Journée inter­na­tio­nale pour le droit à l’avortement.

En octobre 2020, en pleine pandémie de Covid, le tribunal consti­tu­tion­nel contrôlé par le PiS déclare illégal l’avortement médi­ca­li­sé en cas de mal­for­ma­tion du fœtus, une situation qui concerne alors 98 % des avor­te­ments en Pologne, selon les chiffres du ministère polonais de la Santé.
Dans les faits, les femmes ayant porté plainte pour viol et celles dont la grossesse est à risque restent éligibles à un avor­te­ment pratiqué à l’hôpital, pourtant nom­breuses sont celles qui peinent à obtenir ce droit. Dès lors, la seule façon légale d’avorter en dehors des hôpitaux polonais est de se procurer une pilule abortive. Seulement le médi­ca­ment, délivré uni­que­ment sur ordon­nance, n’est prescrit que par très peu de médecins et doit donc être envoyé depuis l’étranger. À l’heure actuelle, avorter seule chez soi ou être en pos­ses­sion d’une pilule abortive ne relève pas d’une infrac­tion. En revanche, toute aide apportée en dehors des deux seuls motifs prévus par la loi est passible de trois ans de prison (1).

Une stigmatisation du personnel médical

C’est pourtant l’avortement qu’elle a pratiqué seule chez elle qui a causé l’interpellation de Joanna en avril 2023. Une fois arrivée à l’hôpital, elle a été encerclée par plusieurs policiers. Les médecins présent·es sur place ont rapporté à la presse polonaise avoir cherché à com­prendre et à inter­ve­nir mais en avoir été empêché·es. La police s’est emparée de son ordi­na­teur et lui a demandé son téléphone – qu’elle a refusé de donner – avant d’ordonner à l’équipe médicale de lui faire subir un examen gyné­co­lo­gique. « Je n’avais pas besoin d’aide médicale, j’avais juste une crise de panique comme jamais ! On m’a forcé à subir un examen gyné­co­lo­gique, alors que mon avor­te­ment avait eu lieu quinze jours plus tôt et que je n’avais aucun problème à ce sujet. » Joanna raconte qu’une fois l’examen terminé et le médecin sorti de la salle, deux policiers y sont entrés. « C’était très humiliant et angois­sant, lâche-t-elle. Ils m’ont demandé de me désha­biller, de m’accroupir et de tousser. C’était juste hors de question. Je saignais encore à cause de l’avortement et je venais de subir un examen gynéco. Il n’y avait aucune raison médicale ou légale qui m’obligeait à enlever ma culotte. Alors, j’ai commencé à crier. J’ai eu peur de ce qu’ils allaient me faire. Ils répé­taient qu’ils voulaient mon téléphone et qu’il fallait que je me désha­bille. J’étais déjà presque nue, puisqu’il ne me restait que ma culotte. J’ai fini par leur donner mon téléphone, et ils sont partis. »

Une version cor­ro­bo­rée par un rapport de Human Rights Watch (2) publié en septembre 2023. L’ONG reprend le témoi­gnage de Joanna pour démontrer que « les cas docu­men­tés prouvent que les autorités polo­naises chargées de l’application des lois ont inten­si­fié leurs pour­suites contre les femmes, les filles et les équipes médicales ». De fait, peu de personnes osent parler d’avortement en public par peur des repré­sailles. Gizela Jagielska, gyné­co­logue obs­té­tri­cienne, est l’une des deux seul·es médecins polonais·es assumant publi­que­ment de pratiquer des avor­te­ments. « Beaucoup de médecins disent aux patientes que l’avortement est illégal en Pologne, ce qui est faux. Mais ça les arrange bien. » En raison de cet enga­ge­ment qu’elle refuse de qualifier de « militant », Gizela est régu­liè­re­ment dénigrée par ses confrères et consœurs, reçoit des menaces de mort, et l’hôpital où elle travaille est souvent la cible de mani­fes­ta­tions anti-avortement. « On sait que des IVG sont pra­ti­quées dans les hôpitaux, bien au-delà des chiffres annoncés », explique Mikolaj Czerwinski, res­pon­sable plaidoyer à Amnesty Pologne sur les droits repro­duc­tifs et les droits LGBT+. « Mais à cause de la stig­ma­ti­sa­tion de l’avortement et de la crainte des médecins d’être affiché·es comme “pro-avortement”, beaucoup choi­sissent de ne pas déclarer offi­ciel­le­ment ces IVG. »

Mikolaj Czerwinski, responsable plaidoyer à Amnesty Pologne.

Mikolaj Czerwinski, res­pon­sable plaidoyer à Amnesty Pologne.

À en croire les chiffres du ministère de la Santé, depuis 2020, seule une centaine d’avortements légaux seraient pratiqués en Pologne chaque année, contre plus de 1 000 avant la décision du tribunal consti­tu­tion­nel qui en avait consi­dé­ra­ble­ment restreint l’accès. Cet arrêt pourrait être révoqué dans les prochains mois. En octobre 2023, le PiS a perdu la majorité aux élections légis­la­tives. Lors de la campagne, la question de l’accès au droit à l’avortement a été omni­pré­sente. Les partis de l’opposition, allant de la gauche au centre, sont arrivés en tête. Menés par Donald Tusk, ils ont fait savoir que leur coalition sou­hai­tait revenir sur cette décision judi­ciaire de 2020. Deux d’entre eux proposent aussi de dépé­na­li­ser l’aide pour avorter et de légaliser l’avortement jusqu’à 12 semaines, selon un com­mu­ni­qué de Lewica, la coalition de la gauche polonaise (3).

En attendant une éven­tuelle évolution légis­la­tive, la liste des femmes mortes après qu’on leur a refusé l’accès à un avor­te­ment continue de s’allonger. Depuis 2021, elles sont au moins six à avoir succombé faute de soins. Des données là encore sous-estimées, puisque certaines familles de victimes refusent de parler par peur d’être stig­ma­ti­sées. En novembre 2021, Izabela, 30 ans, est décédée d’une sep­ti­cé­mie. Elle n’avait plus de liquide amnio­tique, mais les médecins ont préféré attendre que le cœur du fœtus arrête de battre plutôt que de pratiquer un avor­te­ment. Quelques mois plus tard, en janvier 2022, c’est Agnieszka, 37 ans, qui meurt, elle aussi d’une sep­ti­cé­mie. Enceinte de jumeaux, elle a dû garder l’un des deux fœtus mort in utero pendant sept jours. Ce qui l’a tuée. En juin 2023, c’est au tour de Dorota, 33 ans, de mourir à l’hôpital : les médecins ont refusé de la soigner alors que son fœtus de vingt semaines était lui aussi mort in utero.

« C’est simple, les médecins laissent mourir les femmes, lâche Joanna. C’est l’une des raisons qui m’a poussée à avorter. Je savais que si j’avais une grossesse à risque, les médecins ne seraient pas là pour me prendre en charge. C’est dur de se dire ça, mais c’est une réalité aujourd’hui en Pologne. Je veux un enfant, mais je ne veux pas mourir. » Une crainte partagée par de nom­breuses Polonaises qui hésitent désormais à entamer une grossesse. « Ce qu’il faut bien com­prendre, c’est que le PiS n’attaque pas seulement le droit à l’avortement, mais tous les droits repro­duc­tifs », explique Monika Płatek, avocate en droit pénal et pro­fes­seure à l’université de Varsovie. « En 2019, l’État a fait fermer une clinique néonatale, et depuis 2022, une pla­te­forme cen­tra­li­sée permet de ficher les gros­sesses pour lister celles qui ne sont pas allées à terme. »

Monika Płatek, avocate en droit pénal et professeure à l’université de Varsovie.

Monika Płatek, avocate en droit pénal et pro­fes­seure à l’université de Varsovie.

Car les femmes qui subissent des inter­rup­tions spon­ta­nées de grossesse sont aussi concer­nées par cette politique anti-avortement. En septembre 2022, une équipe de cher­cheurs financée par l’État a annoncé un nouveau protocole pour vérifier la présence de miso­pros­tol – la substance médi­ca­men­teuse utilisée dans les pilules abortives – dans le sang du fœtus. « Ce test fonc­tionne très bien, mal­heu­reu­se­ment, se désole Mikolaj Czerwinski, d’Amnesty International. Récemment, un juge a demandé à une femme qui avait fait une fausse couche d’examiner son fœtus afin de savoir si ce n’était pas un avor­te­ment déguisé. » Ces attaques de plus en plus viru­lentes à l’encontre des droits repro­duc­tifs s’inscrivent dans un contexte plus large, précise Klementyna Suchanow, cofon­da­trice du mouvement OSK : « C’est une guerre contre les femmes et les personnes LGBT+ qui est actuel­le­ment menée à travers toute l’Europe. Nous ne pourrons pas gagner si nous ne le recon­nais­sons pas. Ces attaques ne cesseront pas si l’on ne se bat pas contre, et au niveau européen. »

Klementyna Suchanow, écrivaine, traductrice et éditrice

Klementyna Suchanow, écrivaine, tra­duc­trice et éditrice

Une charge portée par les militantes

Aujourd’hui, la pratique de l’avortement repose prin­ci­pa­le­ment sur les mili­tantes fémi­nistes. Le collectif Abortion Dream Team (ADT), fondé en 2016, accom­pagne et apporte des solutions aux personnes qui veulent avorter. Dans leur local, des affiches, des pancartes et des stickers rap­pellent l’importance et l’urgence de pouvoir disposer de son corps, d’autant plus que la pilule du lendemain n’est délivrée que sur ordon­nance et au compte-gouttes. « Ce sont des combats simi­laires, reprend Monika Płatek. Dans ce Code pénal res­tric­tif, toutes les femmes ne tombent pas enceintes, mais toutes sont traitées de la même manière. Cette politique-là a pour objectif d’imposer un cadre contrai­gnant pour empêcher les femmes de vivre nor­ma­le­ment, de prendre des décisions pour elles-mêmes et de s’impliquer dans la vie citoyenne. » D’après les chiffres com­mu­ni­qués par plusieurs asso­cia­tions, dont ADT, 100 000 avor­te­ments seraient pris en charge par les militant·es chaque année en Pologne, en dehors des circuits officiels.

« Que ce soit pour des pilules abortives ou des avor­te­ments médicaux dans des hôpitaux par­te­naires en Europe, on est là, souligne Natalia Broniarczyk, 39 ans, membre du collectif ADT. Et on le fait avec le sourire parce qu’un avor­te­ment, ce n’est pas horrible ou dra­ma­tique. Ce qui l’est en revanche, c’est l’absence de droits qui conduit à des décès. » ADT s’occupe donc d’informer, de rassurer mais aussi de donner les coor­don­nées des ONG par­te­naires qui envoient des pilules abortives depuis l’étranger. « Pour ma part, j’ai contacté une fondation étrangère, détaille Joanna. C’était gratuit, mais j’ai choisi de faire un don. » Après plusieurs échanges de mails, deux pilules abortives lui ont été envoyées. « Quand j’en ai pris une, tout s’est bien passé. J’avais pourtant l’impression de faire quelque chose de mal. Je me sentais comme une cri­mi­nelle, alors même que je ne faisais rien d’illégal. »


« C’est une guerre contre les femmes et les personnes LGBT+ qui est actuel­le­ment menée à travers toute l’Europe. Nous ne pourrons pas gagner si nous ne le recon­nais­sons pas. »

Klementyna Suchanow, cofon­da­trice du mouvement de la Grève générale des femmes (OSK)


 

L’aide criminalisée

À défaut d’avoir réussi à pénaliser les femmes qui avortent, la loi polonaise sanc­tionne la personne qui aide. Telle qu’elle est rédigée, la loi cri­mi­na­lise aussi bien l’envoi d’une pilule que le fait d’être présent·e lors de la prise de celle-ci. C’est sur ce motif-là que Justyna Wydrzyńska, 48 ans, militante pro-avortement et cofon­da­trice du collectif ADT a été condamnée à huit mois de travaux d’intérêt général, en mars 2023. Une condam­na­tion dont elle a fait appel. « En 2020, ADT est contacté par une mère de famille, Anna*, qui a besoin d’aide pour avorter », se souvient la militante. Le mari d’Anna, que Justyna décrit comme violent, menace de la dénoncer à la police si elle décide d’avorter. Sa seule solution est donc de trouver une pilule abortive de façon discrète. Mais en 2020, dans le contexte de la pandémie de Covid, Justyna redoute que l’envoi d’une pilule depuis l’étranger ne prenne trop de temps. Elle décide de lui faire parvenir celle qu’elle conser­vait pour son usage personnel, avec son numéro de téléphone. « J’ai senti que je devais l’aider. Elle était dans une situation de violence énorme, comme j’avais pu l’être il y a quelques années en 2006, quand j’ai moi-même avorté. »

Quelques jours plus tard, quand Anna récupère l’enveloppe, les policiers l’attendent chez elle. Son mari l’a dénoncée. « Ils ont utilisé la force pour l’empêcher d’avorter, poursuit Justyna Wydrzyńska. Toute l’idée d’Abortion Dream Team, c’est de dire qu’une personne qui veut avorter devrait pouvoir le faire gra­tui­te­ment et comme elle l’entend. Cette femme m’avait dit qu’elle préférait mourir que de mener à bien cette grossesse. Donc, oui, je l’ai aidée et, non, je ne regrette pas. » Anna n’a pas été pour­sui­vie, mais Justyna Wydrzyńska, elle, a été condamnée. « Je ne vais pas arrêter de me battre à cause d’eux. Au contraire, je vais redoubler d’efforts pour que ça n’arrive plus, précise-t-elle d’une voix calme. Si le nouveau gou­ver­ne­ment décide de légiférer sur le droit à l’avortement dans les prochains mois, j’espère que ça ira dans le bon sens. À ADT, on ne veut pas qu’il soit condi­tion­né par un rendez-vous psy ou autre. On ne veut pas non plus d’un réfé­ren­dum qui déci­de­rait à notre place ce que nous avons le droit de faire. On veut juste des pilules abortives dis­po­nibles, gratuites et acces­sibles sans condition. »

 


« Cette femme m’avait dit qu’elle préférait mourir que de mener à bien cette grossesse. Donc, oui, je l’ai aidée et, non, je ne regrette pas. »

Justyna Wydrzyńska, cofon­da­trice du collectif ADT


Des reven­di­ca­tions que partage Joanna et pour les­quelles elle milite à Cracovie. « J’ai mis du temps à me remettre de ce soir-là, reconnaît-elle. J’ai l’impression d’avoir été victime de viol dans cet hôpital. Mais aujourd’hui, j’ai trans­for­mé cette injustice en combat, et je ne vais pas les laisser gagner. Je veux rester ici et me battre pour que ça évolue. » À ce jour, aucune charge n’a été retenue contre elle, mais son ordi­na­teur ne lui a toujours pas été rendu. Non loin d’elle, dans les rues de Cracovie, les militant·es pro­-avortement s’affairent à alpaguer les passant·es pour leur rappeler qu’il est possible d’avorter léga­le­ment en Pologne. Un sourire aux lèvres, Joanna prend place à leurs côtés. Derrière elle, une affiche annonce : « L’avortement sauve des vies, contrai­re­ment à la police ». •

* Le prénom a été modifié.

Ce reportage a été réalisé à Cracovie et Varsovie en septembre 2023. Le texte a été édité par Diane Milelli.


(1) Selon l’article 152 du Code pénal : « Quiconque aide ou incite une femme enceinte à inter­rompre sa grossesse en violation de la présente loi est passible de la même peine », c’est-à-dire une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

(2) Rapport de l’ONG Human Rights Watch, « Poland: Abortion witch hunt targets women, doctors. Criminalization, pursuit of alleged offenders violates rights », paru en septembre 2023.

(3) Communiqué de Lewica (La Gauche) du 13 novembre 2023, qui souhaite légiférer sur l’avortement. Deux pro­po­si­tions de loi ont été déposées : l’une sur la libé­ra­li­sa­tion de l’avortement, la seconde sur la décri­mi­na­li­sa­tion de l’avortement.

Avorter : Une lutte sans fin

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Consultez le sommaire.

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