Jouer : les féministes bousculent les règles

par

Léa Djeziri
Les féministes bousculent les règles

Dans tes sou­ve­nirs d’enfance, il y a peut-être, pour toi qui fus socia­li­sée comme une fille, des heures pas­sées à jouer aux Polly Pocket, ces cof­frets aux cou­leurs pas­tel qui, une fois ouverts, dévoi­laient un uni­vers minia­ture. Tu tenais entre tes mains tout un monde – sans per­ce­voir à quel point il pou­vait être un peu étri­qué et mono­chrome, ce monde.

Dans tes sou­ve­nirs d’enfance, il y a peut-être, pour toi qui fus socia­li­sé comme un gar­çon, des méchants pour­fen­dus à l’épée et des maquettes de fusée à envoyer dans l’espace. Tu avais, semble t‑il, toute lati­tude pour conqué­rir le monde – et, si tu as sui­vi ta route de « vrai mec », de « vrai bon­homme », c’est un sen­ti­ment qui ne t’a peut-être jamais quitté.

Dans tes sou­ve­nirs d’enfance, il y a peut-être, pour toi qui n’as pas été très à l’aise avec ce truc binaire de fille/garçon, un malaise per­sis­tant. Ça ne col­lait jamais : tu vou­lais à la fois la ten­dresse des pou­pées et l’ivresse des matchs de foot. 

Mais le fait est qu’on n’autorise pas vrai­ment les enfants à jouer avec le genre. Dans les rayons des grands maga­sins, constate le cher­cheur Kévin Bideaux dans les pages de notre dos­sier, les jouets des petites filles sont deve­nus roses, for­cé­ment roses. « Les enfants par­ti­cipent à construire l’ordre du genre », confirme de son côté la socio­logue Julie Pagis, spé­cia­liste de l’enfance – tout en sou­li­gnant le fait que les adolescent·es d’aujourd’hui ont un rap­port « moins stric­te­ment binaire » au genre. Les lignes bougent, sou­vent au prix de rudes batailles : la jour­na­liste Lucie Ronfaut montre dans son article com­ment une prise de conscience s’est opé­rée ces der­nières années sur les vio­lences sexistes propres à l’industrie du jeu vidéo – l’une des plus lucra­tives au monde. Le col­lec­tif des Afrogameuses, qui lutte pour une meilleure repré­sen­ta­tion des femmes noires dans le sec­teur, contri­bue à ce chan­ge­ment des men­ta­li­tés. Tout comme la cham­pionne de poker Rosalie Petit, qui, lors d’un récent tour­noi inter­na­tio­nal, arbo­rait un tee-shirt « Girls can do any­thing ». « La révo­lu­tion, je peux la mener si je veux », clame cette joueuse pro­fes­sion­nelle. Ne jamais hési­ter à faire la révo­lu­tion sur les ter­rains de jeu : peut-être est-ce là la seule règle à laquelle les enfants devraient obéir.

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Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°8, de novembre 2022. La Déferlante est une revue trimestrielle indépendante consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.

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