Comme chaque année, dans le cadre de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé samedi 19 novembre dans les rues de France pour dénoncer le manque de volonté politique en la matière. Cette protestation, portée par le mouvement #MeToo, est l’héritière d’une longue tradition de manifestations de femmes qui remonte à l’Ancien Régime. Christine Bard, historienne et commissaire scientifique de l’exposition « Parisiennes, citoyennes ! » qui se tient jusqu’au 29 janvier prochain au musée Carnavalet (Paris) revient sur cette généalogie.
Les manifestations du 19 novembre ont battu un nouveau record d’affluence, avec 100 000 personnes dans toute la France, selon les organisatrices. Quel est votre regard d’historienne sur ces rassemblements ?
Ces manifestations ont de quoi impressionner, mais la présence revendicative des femmes dans la rue n’a rien de nouveau. Sous l’Ancien Régime, les femmes du peuple étaient craintes pour leur violence dans les émeutes. Leur rôle politique est majeur, quand, le 5 octobre 1789, les marchandes parisiennes – 6 000 à 7 000 « dames de la Halle » – marchent jusqu’à Versailles pour demander la ratification par Louis XVI de l’abolition des privilèges et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, toutes deux votées par l’Assemblée. Pendant la révolution de 1848, elles participent aux combats de rue, créent des clubs et des journaux. Elles sont également omniprésentes lors de la Commune. Il faut noter que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les manifestantes sont presque exclusivement issues de milieux populaires, et leurs revendications concernent souvent leurs conditions de vie et de travail.
À quel moment les féministes, et non plus seulement les femmes, se mettent-elles à descendre dans la rue ?
Le 14 juillet 1881, dans un contexte d’essor des associations féministes, la journaliste et militante Hubertine Auclert appelle à « prendre la Bastille », pour parachever la Révolution de 1789 : étendre les droits de l’homme aux femmes. Une quarantaine de manifestantes se réunissent alors sur les lieux de l’ancienne prison, habillées en noir. C’est la première manifestation féministe connue.
Juste avant le début de Première guerre mondiale, en juillet 1914, elles parviennent à réunir 2 400 personnes pour une marche dans le jardin des Tuileries, qui a pour but de fleurir la statue de Condorcet, grand défenseur des droits des femmes. Le dispositif, rassurant, est une des raisons de ce succès.
À cette époque, le mouvement féministe est composé d’associations plutôt réformistes et de militantes issues de la bourgeoisie et des classes moyennes. Il refuse la radicalité des manifestations de rue, qui lui rappelle les actions spectaculaires des suffragettes anglaises, dont un millier ont été arrêtées et mises en prison depuis le début du mouvement, à la toute fin du XIXe siècle.

La manifestation du 19 novembre 2022 a réuni près de 80 000 personnes, à Paris, selon ses organisatrices. Crédit photo : La Déferlante.
Comment passe-t-on de ces premiers rassemblements à des mobilisations plus systématiques ?
Entre les deux guerres, le droit de vote des femmes est encore bloqué par le Sénat, et l’exaspération monte. Cet échec, vécu comme une humiliation, pousse certaines […]
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