La première fois que j’entends sa voix, c’est dans Une partie rouge. Ce récit de 2007¹ contient déjà tout, à la fois d’elle et de son œuvre en cours et à venir. Avec cette image dont je me souviens avec précision : à la fin d’une journée d’audience au procès du meurtre de sa tante Jane, Maggie Nelson erre ivre dans la ville la nuit, loin du souci permanent de la sécurité. Elle parvient à la voie ferrée. Elle s’y allonge pour écouter « le silence du monde ». Elle fume une cigarette « en ayant l’impression de faire partie du sol ». Qui écrit ça, et comme ça ? Et puis elle poursuit, « D’aussi loin que je me souvienne, c’est l’une de mes sensations préférées. Être seule dans un lieu public, errant dans la nuit ou étendue par terre, anonyme, invisible, flottant sur le sol. Être “un homme de la foule” ou au contraire seule avec la Nature, voire Dieu. Réclamer sa part d’espace public alors qu’on a l’impression de disparaître dans son immensité, sa sublimité. […] Ne vous a‑t-on pas répété des millions de fois qu’une femme se promenant seule la nuit court à la catastrophe ? Dans ces conditions, impossible de décider si vous êtes courageuse et libre ou idiote et portée à l’autodestruction. Car parfois, s’entraîner à la mort se résume bien à cela. Adolescente, j’aimais prendre des bains dans le noir avec des pièces de monnaie sur les yeux. » Je sais à cet instant que je la lirai toute ma vie.
Rédigé après la vaste « entreprise psychotique » de Jane, un meurtre² (2005), telle qu’elle désigne son premier recueil de poèmes, Une partie rouge est le lieu de mille choses en une. Un aveu d’échec à plusieurs niveaux sous forme d’enquête. On y assiste à ses côtés à la rupture, au sens propre comme au figuré, qui mènera à ce qui compose l’essentiel de sa méditation sur les bleus dans Bleuets³ (2009). Au commencement du livre, elle cite l’écrivain Peter Handke et parle de « silence hébété » pour décrire l’état dans lequel la plonge, en 2005, la réouverture de l’enquête sur l’assassinat de Jane (lire l’encadré ci-dessus), la sœur cadette de sa mère, trente-cinq ans plus tôt, quand cette dernière se tenait sur le seuil de sa vie d’adulte. Elle-même est alors en train d’effectuer les ultimes corrections du manuscrit de Jane, un meurtre, livre de poésie sur cette affaire classée dont elle pensait être tout juste parvenue à se délester, dans lequel elle a injecté des extraits du journal d’adolescence de sa tante. Le coup de téléphone de l’inspecteur Schroeder réduit tout à néant. La catharsis espérée, via la recréation de la disparue au travers d’éclats de fiction, de poèmes et de ses propres mots est annulée. Ce nouveau procès vient rouvrir les vieilles blessures de cette famille à jamais hantée par la perte. Pour le grand-père, qui a toujours commis la confusion des prénoms entre sa fille Jane et sa petite-fille Maggie, il s’agira de la perdre deux fois.
Mais un autre événement inattendu vient s’ajouter. Entre la réouverture de l’enquête et le début du procès, le cœur de l’écrivaine se brise, suite à une séparation. C’est ce point qui m’intéresse : en vérité, au moment de la prise de notes et du travail préparatoire, elle sombre dans l’état bleu dans lequel elle nous permet de l’accompagner, et nous fait assister de l’intérieur au tressage des raisons menant à l’acte d’écrire. Tout juste débarquée à Los Angeles, qu’elle ne connaît pas, après avoir quitté New York où elle n’a plus rien à faire, elle compose Une partie rouge dans un état mêlant conscience accrue, désarroi et chaos mental, l’esprit dérangé par la souffrance. Elle se donne à voir en train de rouler à toute vitesse des heures durant sur l’autoroute, sans nulle part où aller, comme roule le personnage de Maria Wyeth au début de Play It as it Lays, le livre de Joan Didion⁴ paru en 1970. Elle se donne à voir, hébétée, face à ses gouffres, en train de commencer à perdre pied, en lutte contre les conséquences de l’événement par lequel temporairement son feu s’éteint. Mais elle ne se défile pas. Elle ne rechigne jamais à se montrer en difficulté et c’est une des raisons pour laquelle je l’aime tant.
Entre crudité frontale et grande délicatesse
Écrit depuis le fond de la caverne de la douleur psychique, dans un moment où le réservoir du désir est annihilé, à sec, évaporé, Une partie rouge comporte en arrière-fond la chronique d’un effondrement intérieur, le genre à mener là où le bleu est si bleu que l’on dirait un diamant noir. Ce texte est le revers de Bleuets, projet par lequel elle cherchera plus tard la cessation de la douleur et du manque, le désirable oubli – ce long chemin à parcourir. Elle l’écrit autant pour faire rempart au silence, au mystère entourant la mort de Jane et l’identité de son meurtrier, que pour essayer d’échapper à l’état bleu, dans une tentative déchirante de sauvegarder sa structure mentale en organisant ses journées autour de ce travail. La composition d’Une partie rouge lui permet la survie immédiate. Pour moi, son acharnement à tout noter du procès vient de là. L’écriture est ce qui la tient. À ce moment plus que jamais. Alors, parce qu’on y voit à l’œuvre une partie de l’atelier de l’écriture et la fabrique de la nécessité du geste, qui relève beaucoup du hasard et des circonstances, ce texte incarne sa production la plus personnelle.
Mon second choc après Une partie rouge est Les Argonautes⁵. Ce livre retrace sa rencontre avec Harry Dodge, artiste transgenre ; la naissance de leur grande histoire d’amour ; leur projet de faire famille autrement. Il y a cette première page stupéfiante d’équilibre : « Tu gardais “Molloy” près de ton lit et, dans une douche sombre et inutilisée, un paquet de pénis. Que demander de mieux ? Tu as demandé : Pour que tu prennes du plaisir, ça marche comment ? Et tu es resté pas trop loin, attendant la réponse. » Cette première page réunit à elle seule l’ensemble de ce qui m’intéresse en littérature. Ce que je recherche quand je lis et ce vers quoi j’ai envie de tendre quand j’écris. Un mouvement parfait entre la force et la fragilité ; la crudité frontale et nue et une très grande délicatesse ; l’incarnation la plus sensorielle, prosaïque et ancrée, et la poésie pure.
La corrélation de cette vulnérabilité et de cette puissance traverse l’ensemble de son œuvre. Comment aimer ? n’a‑t-elle de cesse de se demander. Comment atteindre une intimité radicale mais sécurisée face à l’altérité non moins radicale qu’est l’autre ? De l’amour amoureux aux ramifications les plus étendues, élargies, qui mènent à l’amour interespèces en passant par l’amour maternel, loin de tout fétichisme ; plus elle va, plus son œuvre s’ouvre. Plus elle déploie les questionnements afférents à l’éventail de toutes les formes de liens d’attachement envisageables. Comment vivre l’interdépendance sans tomber en morceaux ? Sans négliger ses désirs et besoins, ni ceux des autres ? Sans perdre son centre ? En a‑t-on même un, et si oui, de quoi est-il congloméré ? Pour aboutir au care, notion déployée dans ses textes composés en 2021 à la cinquantaine dans De la liberté. Quatre chants sur le soin et sur la contrainte⁶. Cette obsession me la rend proche, familière, et la sincérité à l’œuvre dans tous ses écrits – cette image d’elle couchée sur les rails –, bien qu’inévitablement mise en scène et ultra calibrée, dans le contrôle, m’impressionne autant qu’elle me bouleverse.
Après, je n’ai pas aimé Bleuets, chronique d’une dépression fondue dans une méditation, une variation en spirale sur la couleur bleue. Je ne l’ai pas aimé car il m’enfermait, me ramenait dans un endroit duquel j’avais eu tant de mal à partir, même si je n’ai pas compris tout de suite la raison de mon rejet. Sans doute voulais-je tenir loin de moi ce puits bleu constituant un écho trop récent. Je suis revenue à elle il y a peu avec son recueil poétique Jane, un meurtre et son essai De la liberté.
Écrire sur le désir
Ces derniers mois, j’ai compris cette chose simple, limpide au fond, qui m’avait pourtant jusque-là échappé : écrire sur le désir au sens large revient à écrire sur le vouloir, ce qui mène directement à tracer un cercle à la craie autour du motif du pouvoir. Or, on ne peut pas évoquer la notion de pouvoir sans la mêler à celle de la relation à l’autre. Et pour bien habiter une relation, il faut être en mesure d’investir son agentivité. L’agentivité, soit la capacité à être un sujet, est trop souvent empêchée du côté des femmes, conditionnées à être des objets, au mieux des sujets qui se minorent pour ne pas effrayer. Cette somme mène directement à la question plus vaste de la liberté. C’est quand est sorti son essai De la liberté. Quatre chants sur le soin et la contrainte (2022) que tout s’est éclairé ; m’est apparue, prisme scintillant, la mise en relation évidente de ces différents blocs. J’ai pu éprouver cette vérité dans ma vie personnelle : après avoir eu si peur lors de la fabrication de mon roman Hommes (L’Olivier, 2022) à cause de la hauteur de sa charge sexuelle, qui visait entre autres à redessiner l’horizon de ce que pourraient être les rapports hétéros avec des hommes cisgenres prêts à abandonner leur pouvoir, je ne me suis jamais sentie autant investie de ma force qu’une fois sa publication avérée, en août dernier. J’ai, depuis, arrêté de me minorer. Tout s’est, bizarrement – ou pas ? –, simplifié.
Comment vivre l’interdépendance sans tomber en morceaux ? Sans négliger ses désirs et besoins, ni ceux des autres ? Sans perdre son centre ?
En reprenant chacun de ses livres, se sont dévoilés à moi des éléments qui avaient été oblitérés par mon propre regard, que je n’avais pas perçus à l’époque. J’ai changé, vieilli. À 37 ans je ne souligne plus les mêmes choses. Partout, tel un fil rouge tendu, une rage d’être à la hauteur de son désir sans concession. La tension de ses phrases à la trajectoire droite comme celle de balles, indépendamment de leur longueur, prose efficace à la précision en arme. La presque sécheresse de celle-ci. Oui mais. Sa beauté de roche nue couvant un magma en fusion. Son acuité, sa façon de viser toujours juste sans jamais arrêter d’osciller sur le fil ténu de l’hybridation de l’intime le plus dévoilé, par là le plus universel, avec la superbe de qui jouerait à la roulette russe. Jamais dupe d’elle-même. Singulier, hypnotique mélange. Et puis des failles, une ambition. Une fierté.
La fierté, à l’égal de l’intime, est une chose éminemment politique. Elle est nécessaire à la capacité d’action. Sans fierté on n’est rien. Sans fierté on ne fait rien. La fierté est déjà à elle seule une forme de sédition, le début d’un élan ; la possibilité d’une résistance ou d’une lutte en perspective. D’autres horizons, de réinventions. En écrivant cela, je vois apparaître Niki de Saint-Phalle⁷ avec ses douze tableaux-performances à la carabine, cet assassinat sans victimes nommé Tirs qui la fit connaître dans le monde entier et contient aussi le mot « tears », « larmes ». Protestation politique contre l’époque. Protestation personnelle, si tant est qu’il y ait une distinction entre le politique et le personnel, pour se libérer d’une douleur, d’un chagrin. Le geste charrie une violence abrupte qui peut faire communauté avec celle figurant dans Une partie rouge – ou avec les pulsions de la mienne que je contiens par l’écriture.
Le désir vif de Maggie Nelson résonne avec celui de Jeannette Winterson⁸, d’Eileen Myles⁹, écrivaines anglophones majeures et queer. Et si le queer était finalement la manière d’être au monde dont nous avons tous et toutes besoin, après laquelle nous courons tous et toutes sans le savoir, un rapport horizontal aux êtres ? À l’instar de Phoebe Waller Bridge dans la série Fleabag¹⁰ elle nous montre combien la crudité et la sincérité sont des prises de pouvoir, et la vulnérabilité qui ne se cache pas, un autre nom de la puissance. La lire m’explique pourquoi, depuis toujours, j’écris au « je » en engageant mon corps et mon expérience, pourquoi montrer la corporéité m’intéresse tant, pourquoi écrire à ce point sur le et autour du désir, alors qu’il n’y a pas si longtemps, je me revois dire à mon éditeur je ne veux pas devenir l’écrivaine du désir, quand chacun de mes livres conteste cette assertion. Pourquoi, dans la position de lectrice-auditrice-spectatrice, c’est toujours l’écriture de l’intime que je préfère. Pour sa portée et sa proximité, sa capacité d’agissement. Un engagement de la part de l’auteur·ice, une prise de risque. Une confession, des confidences. Un don : celui d’un fragment inédit d’agentivité possible, que chaque lecteur·ice possède en soi souvent en sommeil, qui sera activé par la lecture.
La fin de l’espérance comme une délivrance
Puis j’ai relu Bleuets et je l’ai enfin aimé. Entre-temps, je m’étais réagrégée, réagencée et précisée. À la relecture, j’y ai vu autre chose qu’une spirale de dépression : une brèche apparaît vers la fin. Quelque chose de l’ordre de l’évolution qui préfigure déjà la guérison. Un horizon se dégage. Un ciel s’ouvre. J’ai pu percevoir la grande beauté de sa recherche poétique, et le grand courage qui courent entre les lignes pour parvenir à écrire depuis cette longue période d’anémie. Réussir à en faire quelque chose malgré tout. J’ai été émue par ce lent mouvement patient, ténu vers une ataraxie¹¹ mineure, l’instant où l’on cessera de compter les jours. Où l’on cessera d’espérer le retour de la personne perdue. Où l’on pourra entrevoir la fin de l’espérance comme une délivrance.
Quand Jane, un meurtre était une réinterprétation des événements au filtre de l’arbitraire des souvenirs et de l’imaginaire, ainsi qu’un acte de reconstitution de la figure de sa tante tuée, Une partie rouge est un récit personnel à partir de cette identique faille familiale originelle, le déroulé au jour le jour d’un procès et une sorte de sauve-qui-peut la vie. Ce pan de non-fiction lui permet également une exploration protéiforme de ce qu’est l’écriture et pose ses raisons d’être devenue poète. Il la voit réfléchir aux limites de cette pratique proche d’un pharmakon – mot récurrent dans Bleuets, qui recouvre l’idée à la fois d’un poison et d’un remède. Il vient soulever ses implications et ses conséquences et la notion d’une responsabilité quand on écrit – l’écriture étant jaugée ici comme l’une des pratiques de la liberté, et donc d’une éthique de l’écriture. Les journaux des morts sont-ils inviolables comme ceux des vivants ? Les lire, avant même de les utiliser, représente-t-il une effraction ? La licence poétique constitue-t-elle une violence – écrire Jane ne revenait-il pas à la créer et à l’assassiner dans un élan conjoint ? Le temps décalé lui permet un regard empreint de recul sur ce travail originel : une mise en perspective des conséquences de l’acte d’écrire avec ce qui mène à le réitérer, quand bien même elle n’en ignore pas l’ambiguïté, ni les limites. Il est enfin un correctif ambivalent au sentimentalisme mêlé de descriptions pornographiques, de la part des médias, des sévices subis par les jeunes femmes, dans une tension constante entre l’exposition – le dévoilement public de l’intime calibré – et le secret. Voyeuse de Jane comme d’elle-même, à la seconde où elle vient de réussir à transmuer des années de confusion et de ravage en une forme articulée tangible – une histoire publiée, évoquée à la télévision –, elle ressent un vif sentiment d’imposture.
De livre en livre, on assiste à la succession des mues d’une personnalité en construction ; à la formation, caillou après caillou, d’une grande puissance.
Les raisons d’écrire sont impénétrables. Tour à tour considérée comme un simulacre d’intelligibilité, un moyen pour borner l’obsession, une façon de créer de nouvelles traces, d’amoindrir le sentiment d’étrangeté à soi, un enfermement et une idiotie faisant des souffrances une propriété publique, ou un subterfuge pour aborder au rivage de la consolation, comme une façon d’effacer une buée en rassemblant les morceaux de différentes époques – est-ce seulement envisageable sans mettre du sang partout ? –, la recomposition permettrait néanmoins d’approcher, non une vérité inatteignable, mais une clarté. L’écriture est alors perçue comme une façon de cerner la blessure à défaut de pouvoir mesurer la perte. Elle est sans doute aussi un artefact pour la garder auprès de soi toujours, comme le pull gris torsadé du père mort beaucoup trop tôt, conservé et jamais lavé afin d’en conserver l’odeur, jusqu’à ce que sa mère le passe un jour en machine. Et où loge le chagrin ? L’écriture ne résout pas ça. D’ailleurs, l’écriture ne résout rien, simplement elle tient. Un grand nombre de réflexions sont soulevées, la plupart demeurent irrésolues. Telle la peine vide de sens, à l’image de nombreux destins féminins, reliée à ce meurtre qui restera « ouvert », soit sans véritable mobile. Sa tante est-elle morte parce qu’elle s’était permis d’arpenter le monde ? Mystère. Le fait que Jane, en raison de ses menstruations, n’ait pas été violée mais peut-être tuée pour cette même raison, fait uniquement partie des suppositions. L’énigme demeure. L’absence restera une compression quotidienne du cœur, malgré le vœu que les membres de la famille Nelson avaient fait d’accepter l’irrésolu pour survivre.
« La fierté, à l’égal de l’intime, est une chose éminemment politique. Elle est nécessaire à la capacité d’action. Sans fierté on n’est rien. Sans fierté on ne fait rien. »
Emmanuelle Richard
Une profession de foi païenne, hédoniste et sexy
Le journal original de Jane utilisé dans le livre est un journal de mue, comme l’est aussi chacun des textes de Maggie Nelson. Chez cette dernière, l’identité est une matière ouverte, plurielle, jamais figée, mouvante, à la hauteur de son horreur de la nécessité de performer une identité pour les autres – injonctions et assignations qu’elle craint tant de transmettre à Iggy, son fils né de la procréation médicalement assistée accomplie avec son amoureux·se non binaire. Harry est d’ailleurs le point temporel de bascule vers la joie, rencontre à partir de laquelle elle parvient à affirmer ce qu’elle veut dans l’intimité, à le demander après des années de mutisme. Et cela change tout.
De la même façon qu’à travers le journal de sa tante dans Jane, un meurtre, on assistait au processus de déchirement de la chrysalide de la jeune fille pour aboutir à son éclosion en jeune femme heureuse, vibrante et déterminée vouée à devenir une brillante avocate avant d’être tuée, chacun des livres de Maggie Nelson revêt d’elle une nouvelle peau. De livre en livre, on assiste à la succession des mues d’une personnalité en construction ; à la formation, caillou après caillou, d’une grande puissance. Le cœur ne change pas, la radicalité du désir coexiste avec l’intransigeance, l’intérêt et le souci portés à l’altérité.
Par son œuvre comme profession de foi païenne, hédoniste et sexy et on ne peut plus contemporaine, Maggie Nelson nous fait expérimenter toute la palette des sentiments, les plus cachés inclus, et pose les questions essentielles de l’époque. De sa voix singulière et forte, audacieuse et vulnérable, elle offre des possibilités de résistance face à la culture dominante. Elle permet l’avènement d’une reconnaissance adelphe et d’une fierté d’existence à tous·tes celleux qui ne se sentent pas chez elleux dans un système binaire et polarisé, piégé·es dans les propagandes, étranger·es aux vrais-faux choix des récits majoritaires. Ses textes sont des manières de hacker le système avec ses partitions. Des îlots habitables. Des façons différentes de faire famille, de relationner avec ses semblables et les autres espèces, l’environnement, en changeant la qualité des liens, les modes de production et de reproduction. Comment se tenir face à l’autre et bien veiller sur nos liens d’attachement ? se et nous demande-t-elle sans cesse. Avec précaution et attention serait un début de réponse. •
- Une partie rouge. Un récit, traduit par Julia Deck, paraît en France en 2017. Ce livre, ainsi que l’ensemble de l’œuvre de Maggie Nelson, est publié aux Éditions du sous-sol.
- Jane, un meurtre paraît en français en 2021, traduit par Céline Leroy et Julia Dech.
- Bleuets est publié en 2019 en France dans une traduction de Céline Leroy.
- Joan Didion (1934–2021) est une romancière, essayiste, scénariste et journaliste américaine, célèbre pour ses reportages sur le milieu hippie dans les années 1970. Play It as it Lays est publié en français sous le titre Maria avec et sans rien (Robert Laffont, 2007), puis Mauvais joueurs (Grasset 2018).
- Paru en 2015 aux États-Unis, Les Argonautes, est publié en France en 2018, dans une traduction de Jean-Michel Théroux, et réédité en poche aux éditions Points en 2022.
- De la liberté. Quatre chants sur le soin et la contrainte paraît en France en 2022, traduit par Violaine Huisman.
- Niki de Saint-Phalle (1930–2002) est une artiste franco-états-unienne connue pour ses sculptures monumentales et ses performances, ainsi que pour ses engagements féministes et antiracistes.
- Jeanette Winterson, née en 1959, est une romancière britannique connue notamment pour Les oranges ne sont pas les seuls fruits (1985), roman autobiographique dans lequel elle raconte sa vie d’enfant adoptée dans une famille religieuse et ses premières relations homosexuelles.
- Née en 1949, la poétesse et romancière Eileen Myles est une figure de la contre-culture LGBT+ nord-américaine.
- Fleabag est une série britannique créée en 2016. Écrite et incarnée par Phoebe Waller Bridge, elle se distingue par un humour noir portant sur des sujets intimes.
- Ce mot désigne la tranquillité de l’âme, telle que définie notamment par les épicuriens et les stoïciens.