Alors que, en France, la natalité baisse depuis cinq ans, la télévision chercherait-elle à redresser notre taux de fécondité ? Les émissions qui vantent les joies de la vie en famille se sont multipliées ces dernières années sur le petit écran. Visibles sur les chaînes des groupes TF1 et M6, elles sont surtout regardées en replay sur Internet.
Dans « Baby Boom » (TF1) et « 7 jours 7 nuits à la maternité » (6ter, filiale de M6), des maternités flambant neuves, où œuvre un personnel soignant nombreux et heureux, sont équipées de caméras qui filment en continu les histoires des couples (toujours hétéros) venus accueillir leur enfant. Entre deux séquences où madame raconte sa grossesse et ses craintes concernant l’accouchement – tandis que monsieur fait la plante verte –, le public assiste aux discussions avec (ou entre) les sages-femmes, puis direction la salle de travail, pour un final en accéléré sur une musique dramatique. Mais tout est bien qui finit (presque) toujours bien : l’enfant naît en bonne santé, et la mère n’a subi aucune de ces violences obstétricales dénoncées depuis quelques années par les collectifs féministes. « C’est magique », nous répète-t-on.
Exaltation des ménages grand format, « Familles nombreuses : la vie en XXL » (TF1) et « Ma famille très nombreuse » (M6) mettent en scène le quotidien de parents hétéros – eux aussi – qui élèvent quatre enfants ou plus. Une vraie curiosité, puisque ils et elles représentent à peine 5,7 % des familles, selon l’Insee. Ce que disent aussi les statistiques, c’est que les enfants de ces familles très nombreuses sont dans 43 % des cas des enfants pauvres. Or, à la télé, si certains parents ouvriers ne roulent clairement pas sur l’or, personne ne saute de repas pour économiser sur les courses au supermarché, et tout le monde part en vacances.
L’émancipation passerait par la maternité
Malgré tout, ces émissions de divertissement disent pour partie la vérité : ce sont essentiellement les femmes qui abandonnent leur activité professionnelle pour s’occuper des enfants. En 2020, 31 % des mères de plus de quatre enfants sont des mères dites « au foyer », contre 1 % des pères2. Les revenus de ces derniers sont donc souvent les seuls du ménage, même si leurs conjointes tentent parfois de lancer leur entreprise. Mais dans ces émissions, la répartition des rôles selon le genre n’est jamais questionnée : les femmes s’affirment généralement très épanouies par leur « métier de maman » et ravies de se farcir tout le travail reproductif ; les pères, de leur côté, ne rentrent le soir que pour mettre les pieds sous la table et connaissent à peine l’âge de leurs enfants. Ces émissions diffusent finalement l’idée trompeuse d’une émancipation qui passerait par la maternité, en présentant la division sexuelle du travail comme naturelle, équitable et nécessairement gratifiante. Un monde magique où le burn-out maternel n’existe pas plus que la dépression post-partum.
Injonctions à la perfection et discours réactionnaires
Ce que ces programmes ne montrent pas non plus, c’est comment ces femmes, en plus de gérer seules le quotidien, monétisent la médiatisation de leur famille à travers une présence importante sur les réseaux sociaux. La continuité paie, certes, puisque fortes de centaines de milliers d’abonné·es sur Instagram ou TikTok, elles sont courtisées par de nombreuses marques (shampooings, vêtements pour enfants, bijoux, etc.) dont elles font la promotion. Une source de revenus non négligeable pour maintenir un quotidien confortable, mais qui repose sur l’exploitation d’images d’enfants mineurs. Même constat chez « Les Mamans » (M6), dont certaines protagonistes deviennent influenceuses et… mères de familles nombreuses. « Mamans et célèbres » (TF1) met en scène, de son côté, des candidates de télé-réalité devenues épouses et mères au foyer. Ici, la maternité est présentée par la chaîne comme la caution morale de femmes souvent hypersexualisées par le passé, « une forme de rite vertueux vers une image […] plus respectable », analyse l’autrice et sociologue Illana Weizman. Entre injonctions à la perfection – elles sont toujours tirées à quatre épingles, comme leurs enfants et leurs intérieurs – et discours réactionnaires, ces mères entendent ainsi « racheter » leur ancienne vie et étendre du même coup leur sphère d’influence à un public plus conservateur.
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Depuis la fin des années 1990, de nombreuses études montrent à quel point la télévision influence nos modes de vie, jusqu’à notre comportement reproductif. De la même manière, les réseaux sociaux comme Instagram et ses « instamums » à l’esthétique léchée diffusent une rhétorique ultra normative bourrée d’injonctions, entre survalorisation de la domesticité, féminité hégémonique et maternité naturalisée. Il n’est pas question de juger les femmes au foyer ni celles qui ont six enfants, mais de rester vigilant·es sur le pouvoir des médias de masse, propriétés de businessmen aux agendas politiques chargés, et dont les programmes sont capables de normaliser ou de glamouriser certains comportements pour les convertir en idéaux. •
Membre du comité éditorial de La Déferlante, Nora Bouazzouni est journaliste. Cette chronique est la dernière d’une série de cinq.