Mère de famille : la nouvelle star

Quelles repré­sen­ta­tions de la maternité la télé-réalité donne-t-elle ? Dans sa chronique sur la pop culture et le genre, la jour­na­liste Nora Bouazzouni s’intéresse aux mères de famille qui peuplent les pla­te­formes de replay et Instagram.
Publié le 2 février 2024
La Déferlante

Alors que, en France, la natalité baisse depuis cinq ans, la télé­vi­sion chercherait-elle à redresser notre taux de fécondité ? Les émissions qui vantent les joies de la vie en famille se sont mul­ti­pliées ces dernières années sur le petit écran. Visibles sur les chaînes des groupes TF1 et M6, elles sont surtout regardées en replay sur Internet.

Dans « Baby Boom » (TF1) et « 7 jours 7 nuits à la maternité » (6ter, filiale de M6), des mater­ni­tés flambant neuves, où œuvre un personnel soignant nombreux et heureux, sont équipées de caméras qui filment en continu les histoires des couples (toujours hétéros) venus accueillir leur enfant. Entre deux séquences où madame raconte sa grossesse et ses craintes concer­nant l’accouchement – tandis que monsieur fait la plante verte –, le public assiste aux dis­cus­sions avec (ou entre) les sages-femmes, puis direction la salle de travail, pour un final en accéléré sur une musique dra­ma­tique. Mais tout est bien qui finit (presque) toujours bien : l’enfant naît en bonne santé, et la mère n’a subi aucune de ces violences obs­té­tri­cales dénoncées depuis quelques années par les col­lec­tifs fémi­nistes. « C’est magique », nous répète-t-on.

Exaltation des ménages grand format, « Familles nom­breuses : la vie en XXL » (TF1) et « Ma famille très nombreuse » (M6) mettent en scène le quotidien de parents hétéros – eux aussi – qui élèvent quatre enfants ou plus. Une vraie curiosité, puisque ils et elles repré­sentent à peine 5,7 % des familles, selon l’Insee. Ce que disent aussi les sta­tis­tiques, c’est que les enfants de ces familles très nom­breuses sont dans 43 % des cas des enfants pauvres. Or, à la télé, si certains parents ouvriers ne roulent clai­re­ment pas sur l’or, personne ne saute de repas pour éco­no­mi­ser sur les courses au super­mar­ché, et tout le monde part en vacances.

L’émancipation passerait par la maternité

Malgré tout, ces émissions de diver­tis­se­ment disent pour partie la vérité : ce sont essen­tiel­le­ment les femmes qui aban­donnent leur activité pro­fes­sion­nelle pour s’occuper des enfants. En 2020, 31 % des mères de plus de quatre enfants sont des mères dites « au foyer », contre 1 % des pères2. Les revenus de ces derniers sont donc souvent les seuls du ménage, même si leurs conjointes tentent parfois de lancer leur entre­prise. Mais dans ces émissions, la répar­ti­tion des rôles selon le genre n’est jamais ques­tion­née : les femmes s’affirment géné­ra­le­ment très épanouies par leur « métier de maman » et ravies de se farcir tout le travail repro­duc­tif ; les pères, de leur côté, ne rentrent le soir que pour mettre les pieds sous la table et connaissent à peine l’âge de leurs enfants. Ces émissions diffusent fina­le­ment l’idée trompeuse d’une éman­ci­pa­tion qui passerait par la maternité, en pré­sen­tant la division sexuelle du travail comme naturelle, équitable et néces­sai­re­ment gra­ti­fiante. Un monde magique où le burn-out maternel n’existe pas plus que la dépres­sion post-partum.

Injonctions à la perfection et discours réactionnaires

Ce que ces pro­grammes ne montrent pas non plus, c’est comment ces femmes, en plus de gérer seules le quotidien, moné­tisent la média­ti­sa­tion de leur famille à travers une présence impor­tante sur les réseaux sociaux. La conti­nui­té paie, certes, puisque fortes de centaines de milliers d’abonné·es sur Instagram ou TikTok, elles sont cour­ti­sées par de nom­breuses marques (sham­pooings, vêtements pour enfants, bijoux, etc.) dont elles font la promotion. Une source de revenus non négli­geable pour maintenir un quotidien confor­table, mais qui repose sur l’exploitation d’images d’enfants mineurs. Même constat chez « Les Mamans » (M6), dont certaines pro­ta­go­nistes deviennent influen­ceuses et… mères de familles nom­breuses. « Mamans et célèbres » (TF1) met en scène, de son côté, des can­di­dates de télé­-réalité devenues épouses et mères au foyer. Ici, la maternité est présentée par la chaîne comme la caution morale de femmes souvent hyper­sexua­li­sées par le passé, « une forme de rite vertueux vers une image […] plus res­pec­table », analyse l’autrice et socio­logue Illana Weizman. Entre injonc­tions à la per­fec­tion – elles sont toujours tirées à quatre épingles, comme leurs enfants et leurs inté­rieurs – et discours réac­tion­naires, ces mères entendent ainsi « racheter » leur ancienne vie et étendre du même coup leur sphère d’influence à un public plus conservateur.

Depuis la fin des années 1990, de nom­breuses études montrent à quel point la télé­vi­sion influence nos modes de vie, jusqu’à notre com­por­te­ment repro­duc­tif. De la même manière, les réseaux sociaux comme Instagram et ses « instamums » à l’esthétique léchée diffusent une rhé­to­rique ultra normative bourrée d’injonctions, entre sur­va­lo­ri­sa­tion de la domes­ti­ci­té, féminité hégé­mo­nique et maternité natu­ra­li­sée. Il n’est pas question de juger les femmes au foyer ni celles qui ont six enfants, mais de rester vigilant·es sur le pouvoir des médias de masse, pro­prié­tés de busi­ness­men aux agendas poli­tiques chargés, et dont les pro­grammes sont capables de nor­ma­li­ser ou de gla­mou­ri­ser certains com­por­te­ments pour les convertir en idéaux. •

Membre du comité éditorial de La Déferlante, Nora Bouazzouni est jour­na­liste. Cette chronique est la dernière d’une série de cinq.

Avorter : une lutte sans fin

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Consultez le sommaire.

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