Organiser nos résistances

Hier, jeudi 5 septembre, faisant fi du résultat des dernières élections légis­la­tives, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier (Les Républicains) au poste de Premier ministre. Un déni de démo­cra­tie qui confirme et consolide l’influence du Rassemblement national et de ses allié·es au sein du Parlement. Sorti le 30 août, notre numéro spécial « Résister en fémi­nistes » documente la longue pro­gres­sion politique des extrêmes droites, en France et dans le monde, et propose des idées pour riposter.
Publié le 6 septembre 2024
Le numéro spécial de La Déferlante consacré aux résis­tances à l’extrême droite est sorti le 20 août. Crédit illus­tra­tion : Clémence Gouy pour La Déferlante

En balayant la can­di­da­ture de Lucie Castets portée par le Nouveau Front populaire (NFP), pourtant arrivé en tête des élections légis­la­tives le 7 juillet dernier, puis en choi­sis­sant Michel Barnier, un Premier ministre de droite adoubé par le Rassemblement national (RN), Emmanuel Macron a confirmé deux hypo­thèses inquié­tantes qui planaient à son sujet depuis plusieurs mois.

D’abord, il se fiche des usages répu­bli­cains. Contrairement à ce qui se pratique habi­tuel­le­ment sous la Ve République, il ne se place pas au-dessus des partis mais incarne bel et bien une droite libérale qui refuse toute remise en question du système capitaliste.

Emmanuel Macron préfère un gou­ver­ne­ment de droite sous le contrôle par­le­men­taire de l’extrême droite à une formation de gauche dirigée par Lucie Castets : « Si je la nomme, elle ou un repré­sen­tant du Nouveau Front populaire, aurait-il déclaré le 26 août dernier, selon des propos rapportés par L’Express, ils abro­ge­ront la réforme des retraites, ils aug­men­te­ront le Smic à 1 600 euros, les marchés finan­ciers pani­que­ront, et la France plongera. »

Ensuite, il se moque du suffrage universel. En refusant de nommer un·e Premier·e ministre issu·e des rangs de la coalition arrivée en tête et en main­te­nant tout l’été un gou­ver­ne­ment démis­sion­naire en place, il a « géré la situation sur un mode auto­ri­taire, dans une mesure qui n’a […] pas d’équivalent dans l’histoire de la Ve République », analysait, en début de semaine dans Mediapart, le politiste Samuel Hayat.

« Après avoir appliqué des pans entiers du programme du Rassemblement national, Macron est en train d’appliquer ses méthodes », a réagi jeudi soir la militante féministe Caroline de Haas dans une réunion publique en ligne. « Il est en train de s’organiser pour donner le pouvoir à l’extrême droite dans ce pays. » Du côté des militant·es qui, depuis début juin, se mobi­lisent au sein du NFP : « On parle de dys­fonc­tion­ne­ments démo­cra­tiques graves auxquels le président essaie de nous habituer », explique Madeline Da Silva, cofon­da­trice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique.

 

Emballement réactionnaire

Depuis le début de son second mandat, le président et sa majorité n’ont, en effet, eu de cesse de mettre à l’agenda politique et par­le­men­taire les sujets qui obsèdent l’extrême droite : elles et ils sont notamment à l’origine de l’interdiction de l’abaya à l’école à la rentrée 2023 et de la loi immi­gra­tion adoptée le 26 janvier dernier. Quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron annonçait à la presse un plan visant à « relancer la natalité » en France. Le contrôle du corps des femmes allié à celui des fron­tières. « On parle certes de réar­me­ment démo­gra­phique à propos de certains ventres, mais on pense menace démo­gra­phique à neu­tra­li­ser pour certains autres », écrit la militante éco­lo­giste, féministe et anti­ra­ciste Fatima Ouassak dans notre dernier numéro, sorti le 30 août.

Pendant que la majorité pré­si­den­tielle déroule une partie du programme nau­séa­bond de l’extrême droite, le Rassemblement national a tout loisir de se faire oublier : « Emmanuel Macron est allé chasser sur les terres du RN pour le dégonfler. Or, quand un parti de droite commence à investir les enjeux de l’extrême droite, à utiliser sa façon de parler, elle s’en trouve légitime et renforcée », explique le socio­logue Vincent Tiberj dans Libération. Lors des légis­la­tives de juin et juillet dernier, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella et ses allié·es ont remporté plus de 14 millions de voix et fait élire 143 députés sans véri­ta­ble­ment faire campagne sur le terrain.


« UN NAUFRAGE MORAL INTELLECTUEL ET POLITIQUE »


C’est que, de concert avec la classe politique, de nombreux médias ont eux-mêmes repris tels quels les récits sur l’insécurité, l’immigration ou, plus récemment, sur une supposée idéologie trans­genre. Dans un débat avec la jour­na­liste et militante Sihame Assbague et l’universitaire Maboula Soumahoro à lire dans le numéro spécial de La Déferlante, Pauline Perrenot, jour­na­liste et coa­ni­ma­trice de l’observatoire des médias Acrimed, pose d’emblée : « Le rôle des médias dans la bana­li­sa­tion des idées conser­va­trices et racistes est immense. » On en veut pour preuve la tentative récente de Cyril Hanouna d’intégrer à l’équipe de chro­ni­queurs et chro­ni­queuses de « On marche sur la tête », son talk politique sur Europe 1, l’influenceuse d’extrême droite et porte-parole du groupe Génération iden­ti­taire, Thaïs d’Escufon.
D’un pôle média­tique contrôlé par le mil­liar­daire d’extrême droite Vincent Bolloré, organisé autour du Journal du dimanche, d’Europe 1 et de la chaîne C8, les embal­le­ments réac­tion­naires se propagent ainsi à toute une partie des médias mains­tream, notamment à la radio, à la télé­vi­sion et dans la presse magazine.

 

« Les campagnes font les électeur·ices »

Pour Vincent Tiberj, qui publie en cette rentrée un ouvrage intitulé La Droitisation de la France. Mythe et réalités (Presses uni­ver­si­taires de France), l’influence du discours média­tique et politique agit en trompe‑l’œil. Dans Libération, il affirme : « Ce ne sont pas les citoyens qui se droi­tisent, mais la scène politique et média­tique. » Pour lui, il ne s’agit pas de nier les scores fara­mi­neux du RN aux dernières élections mais de com­prendre que « ce sont les campagnes qui modèlent des électeurs ».

Alors que depuis le début de l’été, Emmanuel Macron ne cesse de doucher les espoirs de la gauche, il semble urgent de battre en brèche cette narration selon laquelle le pire est déjà advenu. « En tant que militante anti­ra­ciste, écrit notre chro­ni­queuse Goundo Diawara, je me demande moins comment nous en sommes arrivé·es à ce naufrage moral, intel­lec­tuel et politique que comment nous en sortirons. » Jeudi soir, Caroline De Haas rappelait l’impact de la campagne citoyenne pour le NFP au début de l’été : « En trois semaines, on a retourné le pays ! » Demain, samedi 7 septembre, plusieurs orga­ni­sa­tions étu­diantes rejointes par La France insoumise, appellent les militant·es de gauche, fémi­nistes, LGBT+, anti­ra­cistes à descendre dans la rue pour dénoncer « le coup de force » d’Emmanuel Macron.

L'arrivée du Nouveau front populaire en tête des élections législatives le 8 juillet dernier a suscité l'espoir chez de nombreuses féministes. Crédit photo Louise Quignon pour La Déferlante. 

L’arrivée du Nouveau front populaire en tête des élections légis­la­tives le 7 juillet dernier a suscité l’espoir chez de nom­breuses fémi­nistes. Crédit photo Louise Quignon.

Plus que jamais, le numéro spécial de La Déferlante « Extrêmes droites : résister en fémi­nistes » entend nourrir ces luttes. Par des articles exhaus­tifs sur les courants de pensée d’extrême droite, par des analyses sur les moyens d’organiser la résis­tance en fémi­nistes, par des repor­tages sur celles et ceux qui luttent à l’échelle d’une ville ou d’un pays, il veut accom­pa­gner cette repo­li­ti­sa­tion d’une partie des citoyennes et citoyens. Parce que la pré­si­den­tielle de 2027 s’imagine dès aujourd’hui, nous devons nous dégager des discours fata­listes, croire fermement en un projet de société féministe, éco­lo­gique et anti­ra­ciste et suivre le conseil de Fatima Ouassak : « N’attendons pas d’être au soir des victoires fascistes dans le champ électoral pour commencer à organiser nos résistances. »


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Résister en féministes

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°15 Résister en fémi­nistes, à paraître en août 2024. Consultez le sommaire.

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