En balayant la candidature de Lucie Castets portée par le Nouveau Front populaire (NFP), pourtant arrivé en tête des élections législatives le 7 juillet dernier, puis en choisissant Michel Barnier, un Premier ministre de droite adoubé par le Rassemblement national (RN), Emmanuel Macron a confirmé deux hypothèses inquiétantes qui planaient à son sujet depuis plusieurs mois.
D’abord, il se fiche des usages républicains. Contrairement à ce qui se pratique habituellement sous la Ve République, il ne se place pas au-dessus des partis mais incarne bel et bien une droite libérale qui refuse toute remise en question du système capitaliste.
Emmanuel Macron préfère un gouvernement de droite sous le contrôle parlementaire de l’extrême droite à une formation de gauche dirigée par Lucie Castets : « Si je la nomme, elle ou un représentant du Nouveau Front populaire, aurait-il déclaré le 26 août dernier, selon des propos rapportés par L’Express, ils abrogeront la réforme des retraites, ils augmenteront le Smic à 1 600 euros, les marchés financiers paniqueront, et la France plongera. »
Ensuite, il se moque du suffrage universel. En refusant de nommer un·e Premier·e ministre issu·e des rangs de la coalition arrivée en tête et en maintenant tout l’été un gouvernement démissionnaire en place, il a « géré la situation sur un mode autoritaire, dans une mesure qui n’a […] pas d’équivalent dans l’histoire de la Ve République », analysait, en début de semaine dans Mediapart, le politiste Samuel Hayat.
« Après avoir appliqué des pans entiers du programme du Rassemblement national, Macron est en train d’appliquer ses méthodes », a réagi jeudi soir la militante féministe Caroline de Haas dans une réunion publique en ligne. « Il est en train de s’organiser pour donner le pouvoir à l’extrême droite dans ce pays. » Du côté des militant·es qui, depuis début juin, se mobilisent au sein du NFP : « On parle de dysfonctionnements démocratiques graves auxquels le président essaie de nous habituer », explique Madeline Da Silva, cofondatrice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique.
Emballement réactionnaire
Depuis le début de son second mandat, le président et sa majorité n’ont, en effet, eu de cesse de mettre à l’agenda politique et parlementaire les sujets qui obsèdent l’extrême droite : elles et ils sont notamment à l’origine de l’interdiction de l’abaya à l’école à la rentrée 2023 et de la loi immigration adoptée le 26 janvier dernier. Quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron annonçait à la presse un plan visant à « relancer la natalité » en France. Le contrôle du corps des femmes allié à celui des frontières. « On parle certes de réarmement démographique à propos de certains ventres, mais on pense menace démographique à neutraliser pour certains autres », écrit la militante écologiste, féministe et antiraciste Fatima Ouassak dans notre dernier numéro, sorti le 30 août.
Pendant que la majorité présidentielle déroule une partie du programme nauséabond de l’extrême droite, le Rassemblement national a tout loisir de se faire oublier : « Emmanuel Macron est allé chasser sur les terres du RN pour le dégonfler. Or, quand un parti de droite commence à investir les enjeux de l’extrême droite, à utiliser sa façon de parler, elle s’en trouve légitime et renforcée », explique le sociologue Vincent Tiberj dans Libération. Lors des législatives de juin et juillet dernier, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella et ses allié·es ont remporté plus de 14 millions de voix et fait élire 143 députés sans véritablement faire campagne sur le terrain.
« UN NAUFRAGE MORAL INTELLECTUEL ET POLITIQUE »
C’est que, de concert avec la classe politique, de nombreux médias ont eux-mêmes repris tels quels les récits sur l’insécurité, l’immigration ou, plus récemment, sur une supposée idéologie transgenre. Dans un débat avec la journaliste et militante Sihame Assbague et l’universitaire Maboula Soumahoro à lire dans le numéro spécial de La Déferlante, Pauline Perrenot, journaliste et coanimatrice de l’observatoire des médias Acrimed, pose d’emblée : « Le rôle des médias dans la banalisation des idées conservatrices et racistes est immense. » On en veut pour preuve la tentative récente de Cyril Hanouna d’intégrer à l’équipe de chroniqueurs et chroniqueuses de « On marche sur la tête », son talk politique sur Europe 1, l’influenceuse d’extrême droite et porte-parole du groupe Génération identitaire, Thaïs d’Escufon.
D’un pôle médiatique contrôlé par le milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré, organisé autour du Journal du dimanche, d’Europe 1 et de la chaîne C8, les emballements réactionnaires se propagent ainsi à toute une partie des médias mainstream, notamment à la radio, à la télévision et dans la presse magazine.
« Les campagnes font les électeur·ices »
Pour Vincent Tiberj, qui publie en cette rentrée un ouvrage intitulé La Droitisation de la France. Mythe et réalités (Presses universitaires de France), l’influence du discours médiatique et politique agit en trompe‑l’œil. Dans Libération, il affirme : « Ce ne sont pas les citoyens qui se droitisent, mais la scène politique et médiatique. » Pour lui, il ne s’agit pas de nier les scores faramineux du RN aux dernières élections mais de comprendre que « ce sont les campagnes qui modèlent des électeurs ».
Alors que depuis le début de l’été, Emmanuel Macron ne cesse de doucher les espoirs de la gauche, il semble urgent de battre en brèche cette narration selon laquelle le pire est déjà advenu. « En tant que militante antiraciste, écrit notre chroniqueuse Goundo Diawara, je me demande moins comment nous en sommes arrivé·es à ce naufrage moral, intellectuel et politique que comment nous en sortirons. » Jeudi soir, Caroline De Haas rappelait l’impact de la campagne citoyenne pour le NFP au début de l’été : « En trois semaines, on a retourné le pays ! » Demain, samedi 7 septembre, plusieurs organisations étudiantes rejointes par La France insoumise, appellent les militant·es de gauche, féministes, LGBT+, antiracistes à descendre dans la rue pour dénoncer « le coup de force » d’Emmanuel Macron.
Plus que jamais, le numéro spécial de La Déferlante « Extrêmes droites : résister en féministes » entend nourrir ces luttes. Par des articles exhaustifs sur les courants de pensée d’extrême droite, par des analyses sur les moyens d’organiser la résistance en féministes, par des reportages sur celles et ceux qui luttent à l’échelle d’une ville ou d’un pays, il veut accompagner cette repolitisation d’une partie des citoyennes et citoyens. Parce que la présidentielle de 2027 s’imagine dès aujourd’hui, nous devons nous dégager des discours fatalistes, croire fermement en un projet de société féministe, écologique et antiraciste et suivre le conseil de Fatima Ouassak : « N’attendons pas d’être au soir des victoires fascistes dans le champ électoral pour commencer à organiser nos résistances. »
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