Performer la transgression

Depuis 2010, la scène queer pari­sienne s’est emparée du « voguing », une danse urbaine née dans les années 1970 à Harlem, lorsque la com­mu­nau­té gay et trans, afro­des­cen­dante et latine, imitait les poses des man­ne­quins dans le magazine Vogue. Pendant deux ans, la pho­to­graphe espagnole Teresa Suárez a suivi les Kiki Balls parisiens, où des débutant·es font leurs premiers pas à côté de performeur·euses confirmé·es. Les photos que nous publions sont issues de sa série KiKi.
Publié le 12 avril 2023
Photo : Teresa Suarez
Oviedo, Espagne, 2021 — Les per­for­meurs Riri Garçon, Jayce Gucci et Bratz Laveux prennent la pose devant la cathé­drale d’Oviedo.

J’ai commencé à suivre la scène ballroom en 2017, à Paris. À l’origine, ces balls remontent au début du XXe siècle aux États-Unis, avec les concours de beauté réservés à la com­mu­nau­té travestie.

Puis, dans les années 1960, la drag queen Crystal LaBeija dénonce le racisme et la nor­ma­ti­vi­té des canons de beauté blancs, et crée sa propre com­pé­ti­tion ouverte aux femmes trans noires et latines. Les balls deviennent alors le refuge de toute une com­mu­nau­té exposée à la haine. Depuis les années 1980, ces shows ont pris une place très impor­tante dans la culture LGBT+ afro-latine. La com­mu­nau­té s’organise en houses (des « maisons » dirigées par une mother ou un father), elles offrent un foyer aux children, qui y trouvent une famille choisie. En 2010, cet univers est importé à Paris par la Mother Lasseindra Ninja, figure majeure de la scène voguing inter­na­tio­nale. Avec la Mother Steffie Mizrahi, elles mettent en place ce qui fait aujourd’hui de Paris la capitale de la scène ballroom européenne.

Je me suis d’abord inté­res­sée à cette com­mu­nau­té en tant que spec­ta­trice. Il y avait déjà des photos de la scène pari­sienne, mais les pho­to­graphes se concen­traient surtout sur les grands noms de la scène, et repré­sen­taient des corps sexua­li­sés. Ce que je voulais montrer, c’était la force, le corps comme outil politique. La majorité des articles consacrés au voguing ne gardent que la flam­boyance du ballroom et oublient ses origines. La scène ballroom a toujours été et continue d’être un espace de rencontre pour des com­mu­nau­tés qui subissent, encore aujourd’hui, des violences racistes, homo­phobes et transphobes.

Dans les balls, les mou­ve­ments et les lumières sont dif­fi­ciles à pho­to­gra­phier, c’est pourquoi j’ai choisi d’utiliser le noir et blanc, pour mieux les percevoir. Cette série est le résultat de deux années de travail. Elle se concentre sur les espaces, les mou­ve­ments des danseur·euses et les émotions du public, afin de montrer l’esprit d’une com­mu­nau­té qui se trans­forme sans jamais oublier son histoire.

Photo : Teresa Suarez

Ball La Récré, L’Alimentation Générale, Paris, avril 2018 — Un per­for­meur accomplit une hands per­for­mance, un enchaî­ne­ment de mou­ve­ments de mains.

Photo : Teresa Suarez

Ball La Récré, L’Alimentation Générale, Paris, février 2018 — Une per­for­meuse conteste la décision du jury lors d’une battle avec une autre danseuse.

Photo : Teresa Suarez

Ball La Récré, L’Alimentation Générale, Paris, avril 2018 — Lors d’une battle, Keiona Revlon, mother de la House of Revlon, est sur le point de réaliser un dip. Figure emblé­ma­tique du voguing, elle consiste à tomber au sol sur le dos, une jambe repliée et l’autre tendue en l’air.

Photo : Teresa Suarez

Ball La Récré, L’Alimentation Générale, Paris, avril 2018 — Lors de la même battle, Axoo Versace, mother de la House of Versace, performe un duckwalk, l’un des mou­ve­ments clés du voguing, qui se danse accroupi·e sur la pointe des pieds.

Photo : Teresa Suarez

The Lion Kiki Ball, la Parole Errante, Montreuil, mai 2019 Le jury réagit aux per­for­mances des danseur·euses.

Photo : Teresa Suarez

Ball La Récré, L’Alimentation Générale, Paris, février 2018 — Un danseur s’élance dans une floor per­for­mance, une cho­ré­gra­phie réalisée au sol, composée prin­ci­pa­le­ment de mou­ve­ments de jambes.

Photo : Teresa Suarez

Ball The Kiki Hour, Hasard Ludique, Paris, janvier 2019. Le public réagit aux mou­ve­ments des performeur·euses.

Photo : Teresa Suarez

Ball The Kiki Hour, Hasard Ludique, Paris, janvier 2019- Le danseur White Mugler performe sur le dancefloor.


« La scène ballroom a toujours été et continue d’être un espace de rencontre pour des com­mu­nau­tés qui subissent, encore aujourd’hui, des violences racistes, homo­phobes et transphobes. »

 

Teresa Suárez


Danser : l’émancipation en mouvement

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°10 Danser, de mai 2023. La Déferlante est une revue tri­mes­trielle indé­pen­dante consacrée aux fémi­nismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­ne­ment, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.
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