« Je dédie cette histoire à tous·tes les survivant·es d’agressions sexuelles. » C’est avec ces mots que la réalisatrice Michaela Coel a reçu son Emmy Award le 20 septembre 2021, dans la catégorie de la meilleure mini-série de l’année.
Une vérité crue, sans concessions qui nous place face à nos démons
Avec I May Destroy You, la narration épouse successivement le point de vue de plusieurs personnages. La série suit Arabella et ses amis Terry et Kwame dans un Londres très contemporain, où brunchs et soirées dans des quartiers gentrifiés sont de mise. Après un premier succès littéraire pour ses Chroniques d’une milléniale énervée, influenceuse noire aux cheveux roses et à la verve railleuse, Arabella tente de terminer son deuxième manuscrit. Un soir, alors qu’elle n’arrive pas à trouver l’inspiration et la motivation pour écrire, elle décide de sortir avec un ami. La soirée se termine par un « trou noir ». Le lendemain, des bribes de souvenirs lui reviennent petit à petit, jusqu’à la sordide vérité : elle a été victime d’un viol après avoir été droguée.
Cette oeuvre marque un tournant dans la carrière de Michaela Coel, mais aussi dans l’histoire du petit écran. C’est une autofiction, l’autrice ayant vécu une histoire similaire pendant l’écriture de la saison 2 de Chewing Gum. Quoique différentes, Arabella et Michaela se confondent parfois, se complètent, dans un réalisme qui prend aux tripes. Malgré des moments d’accalmie, d’amour et d’amitié, la série est éprouvante à regarder tant elle nous présente une vérité crue, sans concessions. Une de ces vérités qui nous malmènent, mais qu’on préfère mettre sous le tapis parce qu’elles nous placent face à nos propres démons.
Des séries ou des épisodes qui se penchent sur le sujet des violences sexuelles, il y en a eu, surtout depuis #MeToo (The Morning Show, Unbelievable…). Pourtant, c’est la première fois que je vois l’histoire d’une femme noire contemporaine, victime de violences sexuelles dans une grande ville occidentale et dont l’expérience traumatique et la voie de la guérison sont montrées avec autant de pertinence et de pudeur à la fois. D’aucuns demanderont : « Que vient faire la race dans cette affaire ? » Visibiliser, tout simplement, le fait que nous, personnes racisées, existons et subissons aussi ces violences. Car, même sur un sujet aussi universel que celui-ci, nos vécus sont très peu dépeints, comme si nos traumas comptaient moins.
Écran miroir
Dès la première minute où j’ai commencé à regarder I May Destroy You, j’ai su que je la recommanderai à outrance, la partagerai, l’enseignerai même. Les séries peuvent nous tendre un miroir et, par là, nous inviter à nous questionner en tant qu’individus. Ici, la culture du viol est présente partout. Drogues, alcool et fêtes font partie de l’équation ; femmes et hommes sont concernés par la question, qu’ils ou elles soient victimes, agresseurs ou les deux à la fois. Une culture du viol qui se loge dans la moindre de leurs actions, souvent de façon anodine car banalisée. Ces scènes transforment le ou la téléspectateur.ice en complice et victime d’un système qui le ou la dépasse. Il ou elle se retrouve face à ses propres actes et contradictions, se rappelant toutes ces fois où il ou elle n’a rien dit, ou qu’il lui a été trop difficile de se départir, de prendre conscience de ce qui lui arrivait.
Michaela Coel est une artiste de l’intime comme on en trouve peu à la télévision. Elle réussit à retranscrire avec justesse les âmes meurtries par les violences sexuelles, et c’est sans doute pour cela que tant de personnes ont été bouleversées par la série et que la réalisatrice a été propulsée au rang d’icône. Dans son livre Misfits, A personal Manifesto, paru en septembre 2021, la scénariste revient sur son amour pour les histoires denses : « Comme toute expérience que j’ai trouvée traumatisante, cela a été thérapeutique d’écrire sur le sujet et de transformer, activement, ce récit de douleur en un récit d’espoir, d’humour même. Et de pouvoir le partager avec vous dans le cadre d’un drame fictif télévisuel car je pense que la transparence aide. » Je dirais même qu’au-delà d’aider, la transparence peut sauver des vies.