Le témoignage de l’actrice Adèle Haenel et sa dénonciation des violences sexuelles ont fait d’elle une voix des revendications féministes actuelles. Chroniqueuse et journaliste engagée, Rokhaya Diallo incarne depuis une dizaine d’années le renouveau des luttes antiracistes. L’une et l’autre font entendre une parole radicale, quitte à déranger le conformisme des milieux dans lesquels elles évoluent. Pour La Déferlante, elles racontent leur cheminement politique et échangent sur les modalités de l’engagement, à une époque marquée par la polarisation des opinions.
Rokhaya Diallo, comment avez-vous perçu le témoignage donné par Adèle Haenel à Mediapart en novembre 2019 ?
ROKHAYA DIALLO. Cette révélation a été un moment fondateur, historique. De même que tout ce qui s’est passé après, dans la foulée: les Césars, puis le livre de Vanessa Springora, Le Consentement [Grasset, 2020], sur la pédocriminalité. Il nous fallait un récit qui s’inscrive dans le contexte français pour que, finalement, le mouvement #MeToo ait un sens médiatique ici et que d’autres puissent s’en emparer. Ce que j’ai trouvé vraiment fort, c’est que tu as dépeint ta situation avec des mots qui allaient au-delà de ta propre personne, Adèle. C’est rare d’avoir suffisamment de distance pour parler d’une manière qui permette à chacun, à chacune de se reconnaître dans ce qui est dit.
ADÈLE HAENEL . L’enjeu pour moi, à ce moment-là, c’était de participer à une mise en mouvement. Le déni autour des violences sexuelles permet de dissocier l’ordre patriarcal de la violence nécessaire à sa perpétuation. De faire comme si ce système était naturel, «bon pour tout le monde». La preuve: il tient tout seul. C’est un projet politique qui cherche à invisibiliser l’omniprésence du phénomène des violences sexuelles, pour faire comme si celui-ci avait à voir avec l’intime et non avec le politique, avec le monstrueux et non avec le banal, avec l’extérieur et non avec l’intérieur. Et c’est là notamment que l’ordre patriarcal s’articule avec les oppressions racistes et islamophobes. […]