Le combat des mots — Rokhaya Diallo et Adèle Haenel

par et

Florence Brochoire

Le témoi­gnage de l’actrice Adèle Haenel et sa dénon­cia­tion des vio­lences sexuelles ont fait d’elle une voix des reven­di­ca­tions fémi­nistes actuelles. Chroniqueuse et jour­na­liste enga­gée, Rokhaya Diallo incarne depuis une dizaine d’années le renou­veau des luttes anti­ra­cistes. L’une et l’autre font entendre une parole radi­cale, quitte à déran­ger le confor­misme des milieux dans les­quels elles évo­luent. Pour La Déferlante, elles racontent leur che­mi­ne­ment poli­tique et échangent sur les moda­li­tés de l’engagement, à une époque mar­quée par la pola­ri­sa­tion des opinions.

Rokhaya Diallo, com­ment avez-vous per­çu le témoi­gnage don­né par Adèle Haenel à Mediapart en novembre 2019 ?

ROKHAYA DIALLO.  Cette révé­la­tion a été un moment fon­da­teur, his­to­rique. De même que tout ce qui s’est pas­sé après, dans la fou­lée: les Césars, puis le livre de Vanessa Springora, Le Consentement [Grasset, 2020], sur la pédo­cri­mi­na­li­té. Il nous fal­lait un récit qui s’inscrive dans le contexte fran­çais pour que, fina­le­ment, le mou­ve­ment #MeToo ait un sens média­tique ici et que d’autres puissent s’en empa­rer. Ce que j’ai trou­vé vrai­ment fort, c’est que tu as dépeint ta situa­tion avec des mots qui allaient au-delà de ta propre per­sonne, Adèle. C’est rare d’avoir suf­fi­sam­ment de dis­tance pour par­ler d’une manière qui per­mette à cha­cun, à cha­cune de se recon­naître dans ce qui est dit.

ADÈLE HAENEL . L’enjeu pour moi, à ce moment-là, c’était de par­ti­ci­per à une mise en mou­ve­ment. Le déni autour des vio­lences sexuelles per­met de dis­so­cier l’ordre patriar­cal de la vio­lence néces­saire à sa per­pé­tua­tion. De faire comme si ce sys­tème était natu­rel, «bon pour tout le monde». La preuve: il tient tout seul. C’est un pro­jet poli­tique qui cherche à invi­si­bi­li­ser l’omniprésence du phé­no­mène des vio­lences sexuelles, pour faire comme si celui-ci avait à voir avec l’intime et non avec le poli­tique, avec le mons­trueux et non avec le banal, avec l’extérieur et non avec l’intérieur. Et c’est là notam­ment que l’ordre patriar­cal s’articule avec les oppres­sions racistes et islamophobes. […]

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Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°5, de mars 2021. La Déferlante est une revue trimestrielle indépendante consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.