Quand l’écrivaine américaine Sylvia Plath met fin à ses jours, un matin de 1963, elle n’a que 30 ans, mais laisse derrière elle des milliers de pages de journal, un roman autobiographique et des poèmes qui vont bouleverser des générations de lecteur·ices. L’autrice mauricienne Ananda Devi invite à réentendre les mots d’une poétesse qui a incarné au plus haut point les tensions insurmontables entre les postures de créatrice, d’amante et de mère.
Cela commence ainsi: en ce soir du 10 février 1963, au cœur d’un des hivers les plus froids que l’Angleterre ait connus depuis longtemps, une jeune femme de 30 ans termine la dernière révision de son recueil de poésie, place les feuillets dans leur ordre de publication, les rassemble dans un classeur noir. Le soleil ne s’est pas montré de toute la journée. Le vent souffle, l’appartement mal chauffé semble gémir. Autour d’elle, les milliers de pages, journaux, lettres, manuscrits, inachevés ou pas, poèmes, romans, nouvelles – sa forêt personnelle, sa forêt de Brocéliande à l’allure fantasmagorique dans la pénombre.
À l’étage, ses deux enfants, Frieda et Nicholas, sont déjà couchés. Elle a posé un verre de lait et des tartines dans une assiette à côté de leur lit. Elle a calfeutré la porte de leur chambre avec des serviettes mouillées. Elle, la jeune femme, Sylvia Plath, sait que c’est sa dernière nuit de vivante. Tout à l’heure, dans la cuisine, elle ouvrira le bouton du gaz, s’agenouillera sur une serviette pliée et posera sa tête dans le four.
Cela commence souvent ainsi. On connaît cette fin de vie : on a reconstitué ses gestes, tenté de décoder, de déchiffrer, de sonder sa pensée, son état d’esprit, en ses derniers instants. Partir de là pour rencontrer la femme à rebours. Remonter le courant de sa vie.
Mais en sa dernière heure, chaque être n’at-elle pas droit à ses secrets ? […]