Transphobie sur Wikipédia : 3 questions à Jul’ Maroh

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Harcèlement, emploi du prénom attribué à la naissance, mégenrage, etc. La stigmatisation des personnes trans sur l’encyclopédie en ligne a fait l’objet d’une tribune publiée par L’Obs et signée par soixante personnalités¹. Nous avons posé trois questions à Jul’ Maroh, artiste et activiste transféministe, à l’origine de cette tribune.

 

Que reprochez-vous à Wikipédia ? 

J’avais noté dans ma fiche des erreurs fac­tuelles, l’omniprésence de mon dead name, une mauvaise date de naissance… J’ai constaté qu’il était impos­sible de les corriger moi-même, et quand j’ai demandé à des personnes de le faire pour moi, cela a déclenché une levée de boucliers édi­to­riale [consul­table grâce à l’onglet dis­cus­sion, sur chaque page]. La vieille garde des contributeur·ices, qu’elle soit ignorante ou sciemment trans­phobe, s’est arc-boutée sur la neu­tra­li­té et la qualité des sources. Elle s’est sentie agressée, hurlant au complot, et ma page a été bloquée… J’ai trouvé ça très violent. Ça vient toucher des points très sensibles. 

 

Comment l’idée de la tribune s’est-elle présentée à vous ? 

Quand j’ai partagé cela sur les réseaux, j’ai reçu une dizaine de témoi­gnages de personnes trans qui vivaient la même chose. Devoir prouver qu’on existe et qu’on a des droits, c’est assez récurrent dans les parcours trans dans une société patriar­cale. C’est fatigant, stressant et ça tient de l’absurde. Avec cette tribune, nous voulions recenser tous les com­por­te­ments nuisibles à l’encontre des per­son­na­li­tés trans, en étudiant les dif­fé­rentes guerres d’édition qui les ont concerné·es. 

 

Qui se cache derrière les valeurs de neu­tra­li­té prônées sur Wikipédia ? 

Wikipédia est une com­mu­nau­té édi­to­riale qui a plus de 20 ans et vit fermée sur elle-même². Les nouvelles recrues sont regardées avec cir­cons­pec­tion. Et quand elles appar­tiennent à des minorités de genre ou de race, leurs contri­bu­tions sont remises en question sous prétexte de neu­tra­li­té. Les sources uni­ver­si­taires sont écartées pour les mêmes raisons : seuls les médias mains­tream, qui peuvent diffuser des infor­ma­tions trans­phobes, sont consi­dé­rés comme des sources fiables. Nous avons aussi trouvé des liens entre wiki­pé­distes et jeuxvideos.com, site sur lequel des profils de contributeur·ices trans sont partagés pour être visés par des meutes.

 

¹ « Nous dénonçons le trai­te­ment que réserve Wikipédia aux personnes trans, non binaires et inter­sexes », L’Obs, 13 octobre 2022.

 ² Lire l’article de la jour­na­liste Sihame Assbague « Wikipédia, ou la discrète neu­tra­li­sa­tion de l’antiracisme » dans la revue Le Crieur, n° 21, 2022.

Entretien réalisé par Anne-Laure Pineau, jour­na­liste indé­pen­dante, membre du comité éditorial de La Déferlante.

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Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°9, de février 2023. La Déferlante est une revue trimestrielle indépendante consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.

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