Il y a deux ans j’ai publié un livre intitulé Au-delà de la pénétration. C’est un petit essai et une collection de témoignages remettant en cause l’hégémonie de la pénétration dans les rapports hétérosexuels (et plus généralement l’idée de norme sexuelle).
Bien sûr j’ai reçu quelques insultes homophobes sur les réseaux sociaux, et certaines personnes se sont inquiétées : est-ce que je ne voudrais pas interdire la pénétration ? On m’a aussi dit que je ne disais rien de nouveau. C’est vrai, dans ce livre, je ne révèle rien qui ne soit déjà su. Malheureusement cette connaissance disponible n’a pas atteint tous les territoires et, en particulier, elle ne semble pas avoir accédé au cerveau des hommes cis-hétérosexuels.
Au début, à la maison d’édition (Monstrograph), nous vendions ce livre sur le site Internet et très vite nous avons constaté que l’adresse de facturation et l’adresse d’expédition n’étaient souvent pas les mêmes. Des femmes achetaient le livre et le faisaient expédier à des hommes : ex, amoureux, amis.
J’ai écrit cet ouvrage parce que j’ai compris que je ne devais pas faire confiance à ce que j’aimais si je désirais une relation égalitaire. Je suis parti de mon histoire et de mon expérience de personne entretenant des relations avec des femmes hétérosexuelles, pour remettre en cause des attitudes et des habitudes qui me paraissaient jusqu’alors alors normales, naturelles, indiscutables.
Les hommes sont persuadés de déjà tout savoir
En matière de sexualité, il faudrait échanger et écouter, ce que les hommes font peu. Mais ce n’est pas suffisant : plein de femmes n’osent pas parler, par peur de décevoir, de ne pas avoir assez de désir, d’en avoir trop ou de ne pas avoir des désirs conformes. Pourtant, le couple et la rencontre pourraient être l’occasion de façonner un lieu d’intimité et de confiance pour que tout puisse s’exprimer, que jamais aucun jugement ne soit énoncé. C’est ce que je veux dire aux hommes, mais quand je le fais, et c’est la tragédie de l’histoire, ce sont des femmes qui écoutent.
La responsabilité et le travail des hommes devraient être, pour commencer, de reconnaître leur domination (qui déséquilibre toute relation, toute discussion), et de travailler à déjouer ses effets sur les femmes (sachant que dans le meilleur des cas ils y réussiront mal et maladroitement).
Est-ce qu’on pourrait graver sur tous les bâtiments publics de France que ce sont toujours les personnes dominées qui produisent un savoir émancipateur sur le monde social ? Ce sont les personnes racisées qui écrivent les grands textes contre le racisme, ce sont les militant·es handicapé·es qui nous disent la réalité du validisme. Et dans le grand jeu hétérosexuel amoureux et sensuel, la catégorie qui possède connaissances et idées iconoclastes, ce sont les femmes.
Peut-être qu’il nous reste cette vieille ruse : la fiction
Aussi, peut-être qu’en matière de sexualité, les mecs devraient-ils arrêter de donner leur avis, de parler de leurs préférences, de faire la publicité des désirs qui leur conviennent, ou de dire ce qui est bien ou pas bien. L’avis des dominants n’a pas à compter. Les hommes se doivent d’accepter et de soutenir une inégalité en leur défaveur dans l’accès à la parole (et au temps de parole) et dans l’importance donnée à cette parole. Les dominants sont les obligés des personnes dominées, leurs mots n’ont, nécessairement, pas la même valeur.
On me demande souvent comment contribuer à faire exister une sexualité non patriarcale. Je cite alors des livres comme Jouissance Club (Jüne Plã, Marabout, 2020), Sortir du trou, lever la tête (Maïa Mazaurette, Anne Carrière, 2020), Notre corps nous mêmes (Hors d’atteinte, 2020), Jouir est un sport de combat (Olympe de G. avec Stéphanie Estournet, Larousse, 2021), La Volonté de changer (bell hooks, Divergences, 2021), le podcast Les Couilles sur la table (Victoire Tuaillon, Binge audio), des comptes Instagram aussi.
Mais la difficulté reste toujours la même : ce sont les femmes qui lisent ces livres et s’informent. Des copines me disent qu’elles les font traîner sur leur table de nuit, sur le canapé, qu’elles initient des lectures au lit avec leur copain. Parfois ça marche. J’ai eu des retours d’hommes qui ont complètement changé leur rapport à la sexualité et aux femmes ces dernières années. Grâce à des livres, grâce à des podcasts. La sexualité passe par les mots, par leur diffusion et leur généralisation.
Et comme la plupart des hommes ne comptent pas lire des livres féministes, ni amorcer un changement, peut-être qu’il nous reste cette vieille ruse : les atteindre sans qu’ils le sachent, modifier leurs représentations par la fiction, par des personnages de films, de séries, de romans, qui échapperont aux schémas classiques et oppressifs et changeront leur conception des rapports hommes-femmes.