Les hommes prendront-ils un jour part à la révolution sexuelle ?

La période post-#MeToo s’accompagne d’une remise en question de la sexualité hété­ro­nor­mée. Dans cette chronique, Martin Page se demande comment impliquer les hommes dans cette réflexion.
Publié le 12 novembre 2021

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°4 S’aimer (décembre 2021.)

Il y a deux ans j’ai publié un livre intitulé Au-delà de la péné­tra­tion. C’est un petit essai et une col­lec­tion de témoi­gnages remettant en cause l’hégémonie de la péné­tra­tion dans les rapports hété­ro­sexuels (et plus géné­ra­le­ment l’idée de norme sexuelle).

Bien sûr j’ai reçu quelques insultes homo­phobes sur les réseaux sociaux, et certaines personnes se sont inquié­tées : est-ce que je ne voudrais pas interdire la péné­tra­tion ? On m’a aussi dit que je ne disais rien de nouveau. C’est vrai, dans ce livre, je ne révèle rien qui ne soit déjà su. Malheureusement cette connais­sance dis­po­nible n’a pas atteint tous les ter­ri­toires et, en par­ti­cu­lier, elle ne semble pas avoir accédé au cerveau des hommes cis-hétérosexuels.

Au début, à la maison d’édition (Monstrograph), nous vendions ce livre sur le site Internet et très vite nous avons constaté que l’adresse de fac­tu­ra­tion et l’adresse d’expédition n’étaient souvent pas les mêmes. Des femmes ache­taient le livre et le faisaient expédier à des hommes : ex, amoureux, amis.

J’ai écrit cet ouvrage parce que j’ai compris que je ne devais pas faire confiance à ce que j’aimais si je désirais une relation éga­li­taire. Je suis parti de mon histoire et de mon expé­rience de personne entre­te­nant des relations avec des femmes hété­ro­sexuelles, pour remettre en cause des attitudes et des habitudes qui me parais­saient jusqu’alors alors normales, natu­relles, indiscutables.

Les hommes sont persuadés de déjà tout savoir

En matière de sexualité, il faudrait échanger et écouter, ce que les hommes font peu. Mais ce n’est pas suffisant : plein de femmes n’osent pas parler, par peur de décevoir, de ne pas avoir assez de désir, d’en avoir trop ou de ne pas avoir des désirs conformes. Pourtant, le couple et la rencontre pour­raient être l’occasion de façonner un lieu d’intimité et de confiance pour que tout puisse s’exprimer, que jamais aucun jugement ne soit énoncé. C’est ce que je veux dire aux hommes, mais quand je le fais, et c’est la tragédie de l’histoire, ce sont des femmes qui écoutent.

La res­pon­sa­bi­li­té et le travail des hommes devraient être, pour commencer, de recon­naître leur domi­na­tion (qui dés­équi­libre toute relation, toute dis­cus­sion), et de tra­vailler à déjouer ses effets sur les femmes (sachant que dans le meilleur des cas ils y réus­si­ront mal et maladroitement).

Est-ce qu’on pourrait graver sur tous les bâtiments publics de France que ce sont toujours les personnes dominées qui pro­duisent un savoir éman­ci­pa­teur sur le monde social ? Ce sont les personnes racisées qui écrivent les grands textes contre le racisme, ce sont les militant·es handicapé·es qui nous disent la réalité du validisme. Et dans le grand jeu hété­ro­sexuel amoureux et sensuel, la catégorie qui possède connais­sances et idées ico­no­clastes, ce sont les femmes.

Peut-être qu’il nous reste cette vieille ruse : la fiction 

Aussi, peut-être qu’en matière de sexualité, les mecs devraient-ils arrêter de donner leur avis, de parler de leurs pré­fé­rences, de faire la publicité des désirs qui leur conviennent, ou de dire ce qui est bien ou pas bien. L’avis des dominants n’a pas à compter. Les hommes se doivent d’accepter et de soutenir une inégalité en leur défaveur dans l’accès à la parole (et au temps de parole) et dans l’importance donnée à cette parole. Les dominants sont les obligés des personnes dominées, leurs mots n’ont, néces­sai­re­ment, pas la même valeur.

On me demande souvent comment contri­buer à faire exister une sexualité non patriar­cale. Je cite alors des livres comme Jouissance Club (Jüne Plã, Marabout, 2020), Sortir du trou, lever la tête (Maïa Mazaurette, Anne Carrière, 2020), Notre corps nous mêmes (Hors d’atteinte, 2020), Jouir est un sport de combat (Olympe de G. avec Stéphanie Estournet, Larousse, 2021), La Volonté de changer (bell hooks, Divergences, 2021), le podcast Les Couilles sur la table (Victoire Tuaillon, Binge audio), des comptes Instagram aussi.

Mais la dif­fi­cul­té reste toujours la même : ce sont les femmes qui lisent ces livres et s’informent. Des copines me disent qu’elles les font traîner sur leur table de nuit, sur le canapé, qu’elles initient des lectures au lit avec leur copain. Parfois ça marche. J’ai eu des retours d’hommes qui ont com­plè­te­ment changé leur rapport à la sexualité et aux femmes ces dernières années. Grâce à des livres, grâce à des podcasts. La sexualité passe par les mots, par leur diffusion et leur généralisation. 

Et comme la plupart des hommes ne comptent pas lire des livres fémi­nistes, ni amorcer un chan­ge­ment, peut-être qu’il nous reste cette vieille ruse : les atteindre sans qu’ils le sachent, modifier leurs repré­sen­ta­tions par la fiction, par des per­son­nages de films, de séries, de romans, qui échap­pe­ront aux schémas clas­siques et oppres­sifs et chan­ge­ront leur concep­tion des rapports hommes-femmes.

Martin Page

Martin Page est auteur de romans (dont L'apiculture selon Samuel Beckett), de livres jeunesse (dont Le permis d'être un enfant), et d’essais (Manuel d’écriture et de survie, Au-delà de la pénétration). Avec sa compagne, Coline Pierré, il est co-créateur du laboratoire d’édition Monstrograph. Lire sa chronique page 34. Voir tous ses articles

S’aimer : pour une libération des sentiments

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