Le 8 octobre 2024 j’ai fêté mes 37 ans avec un minimum de travail, une longue sieste et deux bons restaurants. Ce même jour était mis en vente en France le Wegovy, un médicament amaigrissant créé en 2021 par le laboratoire danois Novo Nordisk.
Ce dernier est connu depuis 2017 pour commercialiser l’Ozempic, un médicament contre le diabète, utilisé comme coupe-faim. Amy Schumer, Kim Kardashian ou encore Elon Musk ne jurent que par ces deux médicaments qui contiennent la même molécule – le sémaglutide – pour perdre du poids rapidement.
Si vous avez lu mes précédentes chroniques, vous devinez déjà ma méfiance : pourquoi cette idée fixe de vouloir perdre du poids par tous les moyens possibles au nom de la bonne santé ?
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Le Wegovy se présente sous la forme d’une solution injectable en stylo prérempli, à raison d’une dose hebdomadaire à vie pour faire maigrir puis maintenir la perte de poids. Il est prescrit sous conditions aux personnes de moins de 65 ans présentant un indice de masse corporelle (IMC)1L’indice de masse corporelle ou IMC permet de classifier les personnes selon leur corpulence.
d’au moins 35 que le changement d’alimentation et d’hygiène de vie ne suffit pas à faire maigrir.
Les effets secondaires sont plus ou moins supportables : fatigue, troubles digestifs et thyroïdiens. Et le traitement coûte 300 euros mensuels – remboursés à 65 % par la Sécurité sociale.
La quête du médicament miracle contre la grosseur – je préfère ce mot au terme médical d’obésité – date d’il y a au moins soixante-dix ans. En 1954, la télé américaine diffuse une publicité pour le CaloMetric, un traitement « merveilleux » permettant de maigrir en « dix jours » sans restriction. Impossible de retrouver sa composition mais je mise sur des amphétamines, répandues à l’époque, dont on ignore alors la dangerosité (dépendance, troubles neuropsychologiques et cardiovasculaires).
Le succès des coupe-faim de ce genre coïncide avec la décision des compagnies d’assurances, comme la MetLife en 1959, de sanctionner financièrement sa clientèle de personnes grosses. Il devient à cette époque urgent de maigrir pour alléger ses dépenses et redorer son image sociale.
Médicaments, chirurgie…
En France, dans les années qui suivent, le laboratoire Servier met au point plusieurs médicaments amaigrissants, dont le Mediator, commercialisé à partir de 1976. Ce dérivé d’amphétamines destiné initialement aux diabétiques en surpoids est utilisé comme coupe-faim et fréquemment prescrit à des personnes qui veulent maigrir. En trente-trois ans de présence sur le marché, le Mediator cause – c’est une estimation basse – entre 500 et 1 000 décès.
Il ne sera retiré de la vente qu’en 2009, grâce à l’acharnement de la pneumologue Irène Frachon – qui fut la première à lancer l’alerte en France quant à la dangerosité de son principe actif, le benfluorex. Fin 2023, après douze ans de procédures judiciaires et deux procès, le laboratoire Servier est finalement condamné à de lourdes sanctions financières pour escroquerie, tromperie aggravée, blessures involontaires et homicides. Des verdicts importants pour les 7 650 victimes, à la santé abîmée à vie, ou pour les familles des patient·es décédé·es qui s’étaient constituées parties civiles dans le procès.
Avec l’affaire du Mediator en tête, difficile donc pour moi de me réjouir de la mise sur le marché français du Wegovy. Je souhaite de tout mon cœur qu’un tel massacre n’arrive plus, mais je n’arrive pas à baisser la garde.
Dans la liste des méthodes amaigrissantes pour les personnes grosses, la chirurgie bariatrique fait figure de dernier recours. Également appelée « sleeve », elle serait née en 1954 sous le scalpel d’un groupe de chirurgiens de l’université du Minnesota. Il s’agit de réduire l’estomac – un organe vital sain –, voire de l’amputer en grande partie, ce qui est tout sauf anodin.
Aujourd’hui, selon des chiffres communiqués par le centre hospitalier de Lille, la chirurgie bariatrique présente un taux d’échec de 38 %, et ses complications sont parfois mortelles2Selon une étude états-unienne parue début 2023 dans la revue Obesity, la chirurgie bariatrique peut également provoquer des conduites addictives et des situations de détresse psychique conduisant au suicide.
… et déshumanisation
L’obsession des médecins pour la perte de poids des personnes grosses va parfois très loin. En 2009, Nikolas Chugay, chirurgien plastique de Beverly Hills à la réputation douteuse, cousait sur la langue d’une patiente un patch abrasif rendant toute ingestion d’aliment solide extrêmement douloureuse. La méthode n’a pas été approuvée par la Food and Drug Administration aux États-Unis, ce qui ne l’a pas empêchée de connaître le succès dans des cliniques privées d’Amérique du Sud.
Huit ans plus tard, des chercheur·euses britanniques de l’université néo-zélandaise d’Otago imaginaient le Dental Slim Diet Control, un dispositif permettant d’attacher les molaires entre elles. À son sujet, Daria Marx, autrice et militante contre la grossophobie, précisait sur X, en juin 2021 : « C’est une modernisation de l’ancienne proposition qui consistait à coudre les dents. Ça existe depuis quatre-vingts ans. Problème : si tu vomis tu meurs, si tu tousses tu meurs. »
L’entreprise de déshumanisation des personnes grosses amorcée par des laboratoires ou des médecins véreux a trouvé un écho jusque dans les programmes de télévision. Dans l’émission états-unienne « The Biggest Loser » ou, en France, dans « Opération renaissance », les corps en surpoids sont mis en scène de façon irrespectueuse et infantilisante : la production de « The Biggest Loser » censure les scènes d’intimité entre les candidat·es car elle les juge gênantes et pousse les candidat·es à se mettre en danger par une pratique sportive intense et des régimes carencés.
Perdre drastiquement du poids offre-t-il une vie plus confortable ? C’est en tout cas ce que pense l’autrice états-unienne Roxane Gay, qui a elle-même expérimenté la sleeve et expliqué publiquement pourquoi, après quinze ans de « résistance », elle a finalement « capitulé ». Celle dont la prise de poids avait fait suite à un viol collectif dont elle a été victime à l’âge de 12 ans explique : « Je dis que mon but est de perdre du poids, mais en réalité j’essaie de me sentir aussi forte et puissante que quand je suis tombée amoureuse de la natation, avant d’être agressée. Le monde qui a été inhospitalier pour mon corps est soudainement en train de s’ouvrir. » Cette opération lui a notamment permis de mieux se déplacer.
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L’argument médical reste malgré tout à nuancer. Une étude publiée en novembre 2024 dans le British Journal of Sports Medicine prouve que la clé pour une meilleure santé n’est pas la seule perte de poids mais avant tout une activité physique régulière : mieux vaut être gros·se et marcher régulièrement qu’être mince et ultra sédentaire.
Je ne suis personne pour juger celles et ceux qui ont recours aux traitements miracles ou à la chirurgie, sachant dans ma chair ce qu’est vivre dans une société grossophobe. Il m’arrive même de me demander comment serait mon quotidien si je rentrais dans un petit 40. Mais je tremble de constater que des traitements anti-obésité peuvent potentiellement avoir des effets déplorables sur mon bien-être physique ou mental. Dans la célèbre série Nip/Tuck, Christian Troy, un des deux chirurgiens esthétiques ne cesse d’humilier Lola Wlodkowski, une patiente très belle et grosse qui finit par perdre du poids… à cause d’une chimiothérapie. « Ma mère sera fière de moi, ironise alors la jeune femme. Belle et pure à l’extérieur, cancéreuse et dégueulasse à l’intérieur. » •