L’éducation, cet horizon libérateur

Levier d’é­man­ci­pa­tion pour les femmes et les personnes mino­ri­sées et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, l’éducation est un enjeu émi­nem­ment politique. Comment la penser en féministe ? Comment en faire l’horizon libé­ra­teur espéré ? 
Representation, imitation en latex ou plastique d'organes génitaux externes, clitoris, vulve, organe genital feminin de la femme, outil favorisant information et prevention sur l'anatomie et la sexualite.
Représentations en latex ou en plastique d’organes génitaux externes – clitoris et vulves – du Planning familial, mouvement féministe et d’éducation populaire. Elles sont utilisées dans le cadre de séances d’éducation à la sexualité. Crédit : Léa Michaelis / REA

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°18 Éduquer, parue en mai 2025. Consultez le sommaire.

Il y a des sujets qu’on envisage très régu­liè­re­ment d’aborder à La Déferlante, parce qu’ils reviennent sans cesse dans nos pratiques quo­ti­diennes, dans nos ques­tion­ne­ments : l’éducation est de ceux-là. C’est une lutte dans laquelle les penseuses fémi­nistes se sont engagées très tôt, à l’image de l’écrivaine Mary Wollstonecraft au XVIIIe siècle (lire l’en­tre­tien « Une impos­sible pédagogie féministe »).

L’équation se formule ainsi : en ensei­gnant aux filles davantage que des savoir-faire domes­tiques, on leur donne les moyens d’être des citoyennes libres et éclairées, à l’égal des garçons. En parallèle, en éduquant les garçons à des notions telles que le consen­te­ment, le non-usage de la force, on se donne les moyens d’une société débar­ras­sée des violences.

Avant d’offrir un horizon libé­ra­teur, la relation éducative est surtout chargée de tensions : dans ce face-à-face, l’adulte et l’enfant, la ou le pédagogue et son élève, l’institution qui éduque et le groupe qui doit être éduqué ne sont pas dans un rapport d’égalité. La domi­na­tion des adultes sur les enfants est un rapport de pouvoir qu’il convient de mettre en lumière. La banalité des violences édu­ca­tives, dans les éta­blis­se­ments scolaires catho­liques, mise au jour ces dernières semaines, est une illus­tra­tion exacerbée de ce rapport de pouvoir. Au pen­sion­nat de Notre-Dame-de-Bétharram, depuis six décennies, le personnel encadrant vio­len­tait les élèves, avec le soutien tacite de nombreux parents (lire l’analyse « Bétharram ou la “pédagogie noire” »). Alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou a été informé des sévices perpétrés dans l’établissement, et a longtemps cherché à en minimiser la portée. Ces révé­la­tions ont très peu fragilisé l’actuel chef du gou­ver­ne­ment. Penser l’éducation comme une forme plus ou moins sophis­ti­quée de dressage ne met pas en péril une carrière politique. Au contraire.

À l’heure actuelle, cette vision auto­ri­taire, voire auto­ri­ta­riste, a le vent en poupe. En France, le chef de l’État défend le retour du port de l’uniforme dans les éta­blis­se­ments scolaires, et décide d’investir mas­si­ve­ment dans la mise en place du service national universel pour les jeunes, un dis­po­si­tif qui relève du camp militaire soft. Ces choix poli­tiques et leur tra­duc­tion bud­gé­taire poussent à s’interroger, quand on sait que la souf­france du personnel encadrant – en majorité des femmes – ne cesse de s’accroître du fait de l’insuffisance de moyens et du manque de recon­nais­sance (lire notre reportage à Nantes).

Aux États-Unis, les attaques contre l’enseignement public se mul­ti­plient : le 20 mars 2025, le président, Donald Trump, a signé un décret visant à déman­te­ler pro­gres­si­ve­ment le ministère de l’Éducation – une loi devra toutefois être adoptée au Sénat. Rien de plus efficace pour asseoir la violence et la domi­na­tion que de désa­mor­cer toute pensée critique en fabri­quant de l’ignorance.

Ce constat n’est pas valable seulement pour les savoirs dits fon­da­men­taux : il concerne aussi l’éducation à la sexualité, sans cesse prise pour cible par les représentant·es des forces réactionnaires.

À partir de la rentrée prochaine, un nouveau programme d’éducation à la vie affective, rela­tion­nelle et sexuelle (Évars) sera enseigné aux élèves de la mater­nelle au lycée. Il devrait amener les élèves à mieux iden­ti­fier les violences sexuelles et les dis­cri­mi­na­tions dont elles et eux peuvent être l’objet. L’ambition d’une telle démarche rend d’autant plus condam­nable l’absence du mot trans­pho­bie dans le programme final, à l’heure où les attaques contre les personnes trans sont devenues l’un des marqueurs des partis de droite et d’extrême droite.

Plus de deux siècles après la dis­pa­ri­tion de Mary Wollstonecraft, la lutte continue : l’éducation est un enjeu émi­nem­ment politique, au cœur des guerres cultu­relles. Pour en faire l’horizon libé­ra­teur espéré, elle doit être l’affaire de toutes celles et ceux qui sou­haitent, comme le disait la militante féministe, permettre « à l’individu d’acquérir les habitudes ver­tueuses qui assu­re­ront son indé­pen­dance ».

Les mots importants

Pédagogie noire

Concept développé par la pédagogue allemande Katharina...

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Évars

Le nouveau programme d’éducation à la vie affective,...

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Infantisme

La pédo­psy­chiatre et socio­logue Laelia Benoit...

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Marie Barbier

Journaliste spécialisée dans les questions judiciaires. Elle a longtemps traîné sur les bancs des palais de justice pour le quotidien L’Humanité. Cofondatrice, elle en est aujourd’hui corédactrice en chef de La Déferlante. Elle gère, depuis Rennes, les questions financières. Voir tous ses articles

Lucie Geffroy

Elle a travaillé comme journaliste à Courrier international puis au Monde. Cofondatrice de La Déferlante, elle en est également corédactrice en chef et cheffe d'édition. Depuis Marseille, elle coordonne, entre autres, les pages BD de la revue et supervise la maison d’édition avec Emmanuelle Josse. Voir tous ses articles

Emmanuelle Josse

Ancienne consultante dans l’édition et la communication et cofondatrice du P.A.F – Collectif pour une parentalité féministe. Cofondatrice, corédactrice en chef, elle est en charge, depuis Paris, des relations libraires et de la maison d’édition. Voir tous ses articles

Marion Pillas

Après un détour par la production de documentaires, elle est revenue au journalisme avec La Déferlante. Elle en est cofondatrice et corédactrice en chef. Depuis Lille, elle supervise la newsletter, les partenariats et les événements. Voir tous ses articles

Pour une éducation qui libère !

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°18 Éduquer, parue en mai 2025. Consultez le sommaire.