En 2013, le gouvernement socialiste met en place un programme pédagogique pour lutter spécifiquement contre les stéréotypes de genre au sein des écoles élémentaires françaises : les ABCD de l’égalité. Très vite, un groupe hétéroclite s’y oppose. Récit d’une panique morale qui a durablement marqué les équipes enseignantes.


« Rentrée sco­laire : l’offensive des par­ti­sans de la théo­rie du genre ». À la une du Figaro, en cette fin d’août 2013, le ton est don­né : le camp conser­va­teur cherche à res­sou­der ses troupes après la défaite. Au prin­temps, la loi ouvrant le mariage aux per­sonnes de même sexe avait fini par être adop­tée, après des mois de défer­le­ment homo­phobe orches­tré par La Manif pour tous à coups de t‑shirts roses et bleus. Le répit aura été de courte durée.

À la ren­trée de sep­tembre, le lan­ce­ment des ABCD de l’égalité, un « dis­po­si­tif expé­ri­men­tal » déployé dans les écoles élé­men­taires pour « abor­der l’égalité entre les filles et les gar­çons », va vite remettre une pièce dans la grande machine à fabri­quer des paniques morales. La polé­mique va prendre des pro­por­tions déme­su­rées et abou­tir à l’abandon du pro­gramme dès la fin de l’année scolaire.

On assomme les petites filles à coups de « attention ! »

Les ABCD de l’égalité ne consti­tuaient pour­tant que la mise en appli­ca­tion d’une des mis­sions de l’école, ins­crite à l’article L312-17–1 du Code de l’éducation, qui dis­pose qu’« une infor­ma­tion consa­crée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les pré­ju­gés sexistes et à la lutte contre les vio­lences faites aux femmes et les vio­lences com­mises au sein du couple est dis­pen­sée à tous les stades de la sco­la­ri­té ».

Avec les ABCD, le gou­ver­ne­ment socia­liste de Jean-Marc Ayrault, sous la pré­si­dence de François Hollande, veut for­mer les enseignant·es à chas­ser les biais sexistes de leurs pra­tiques : il leur four­nit, via un site inter­net, une biblio­gra­phie et des outils péda­go­giques pour pro­mou­voir l’égalité de genre dans leurs classes. Des choses aus­si ano­dines que des acti­vi­tés pour ques­tion­ner la caté­go­ri­sa­tion féminin-masculin des métiers ou des jouets, par exemple.

Le dis­po­si­tif est por­té par deux minis­tères : celui des droits des femmes, avec à sa tête Najat Vallaud-Belkacem, et celui de l’éducation natio­nale, diri­gé par Vincent Peillon puis, à par­tir d’avril 2014, par Benoît Hamon.

Au poste de char­gée de mis­sion natio­nale du pro­gramme d’éducation à l’égalité filles-garçons est nom­mée Nicole Abar. C’est une ancienne foot­bal­leuse qui a enchaî­né les suc­cès en cham­pion­nat dans les années 1970–1980, avant d’entrer dans la fonc­tion publique et de s’engager contre les inéga­li­tés de genre dans le sport.

Elle est connue pour avoir gagné un pro­cès inédit contre le patron du club de foot du Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine) qui avait déci­dé de dis­soudre l’équipe des filles qu’elle entraî­nait au pro­fit de celle des gar­çons, évo­luant pour­tant deux divi­sions en dessous.

Avec son asso­cia­tion Liberté aux joueuses, qu’elle a fon­dée en 1997, elle orga­nise des ate­liers dans les écoles pour ame­ner les enfants à se ques­tion­ner sur les sté­réo­types de genre. Elle filme leurs façons de bou­ger, d’occuper l’espace, de prendre la parole, pour archi­ver tout ce qu’elle observe comme com­por­te­ment gen­ré. Elle est par­ti­cu­liè­re­ment révol­tée par la « ter­rible perte d’habileté motrice et cor­po­relle chez les filles dès 3–4 ans », quand elles courent ou lancent une balle, par exemple : « On les assomme à coups de “atten­tion, tu vas tom­ber, ne fais pas ci, ne te salis pas…” Ça pro­duit une liber­té et une estime de soi tron­quées », explique-t-elle.

Peu à peu, son tra­vail se fait connaître, au point que Najat Vallaud-Belkacem la contacte et lui pro­pose de super­vi­ser les ABCD. « C’était mon rêve, une action glo­bale au sein de l’éducation natio­nale : on a accès à tous les enfants et, entre le CP et le CM2, on a du temps pour tra­vailler en dou­ceur, pour mettre des mil­liards de petits coups de pin­ceau sur leurs repré­sen­ta­tions et faire ain­si chan­ce­ler leurs certitudes. »

Six cents écoles dans dix aca­dé­mies volon­taires sont sélec­tion­nées pour faire par­tie de l’expérimentation. Les enseignant·es reçoivent une for­ma­tion de quelques heures puis com­mencent à mettre en place les ABCD dans leurs classes en jan­vier 2014, alors que la tem­pête fait déjà rage.

Les catholiques réactionnaires en croisade

Apprentissage de la mas­tur­ba­tion, homo­sexua­li­té impo­sée, aus­si bien que le chan­ge­ment de sexe… Dès la fin de 2013, la rumeur selon laquelle la « théo­rie du genre » (une expres­sion notam­ment véhi­cu­lée par l’Église catho­lique, dési­gnant un sup­po­sé lob­by mon­dial œuvrant à détruire les rap­ports tra­di­tion­nels entre les hommes et les femmes) serait en train de prendre d’assaut l’Éducation natio­nale se répand comme une traî­née de poudre, de chaînes de SMS en vidéos sur les réseaux sociaux. Des parents paniquent, inter­pellent les enseignant·es désemparé·es, et vont même jusqu’à reti­rer leurs enfants de l’école lors de jour­nées de mobilisation.

Ce mou­ve­ment d’opposition est orches­tré par deux pôles. D’un côté, des catho­liques réac­tion­naires qui se cherchent une nou­velle croi­sade après l’adoption du mariage pour toutes et tous. Ils et elles montent des « comi­tés VigiGender » un peu par­tout sur le ter­ri­toire, ani­més notam­ment par des mères diplô­mées et aisées, et s’allient pour l’occasion à cer­taines per­son­na­li­tés musul­manes de droite.

De l’autre, Farida Belghoul, une mili­tante anti­ra­ciste des années 1980 deve­nue ins­ti­tu­trice, sou­te­nue par Alain Soral, essayiste d’extrême droite très sui­vi sur Internet. Elle publie des vidéos fus­ti­geant la « prise en otage de nos enfants », la « pro­pa­gande LGBT » et la « socié­té dégé­né­rée », qui font des cen­taines de mil­liers de vues ; elle par­court la France pour « infor­mer » les parents et lance les Journées de retrait de l’école (JRE) une fois par mois, pen­dant les­quelles les parents sont invité·es à ne pas mettre leur enfant en classe.

Dans son sillage, elle entraîne cer­taines familles musul­manes des quar­tiers popu­laires, sen­sibles, selon la cher­cheuse en sciences poli­tiques Fatima Khemilat, à son dis­cours sur les pro­messes non tenues de l’école publique en termes d’ascension sociale, et sur la façon dont les ABCD de l’égalité « détour­ne­raient » l’institution sco­laire de son rôle (1).

Les comi­tés locaux sont sou­vent ani­més par des mères diplô­mées du supé­rieur qui, étant musul­manes issues des classes popu­laires, n’ont pas eu accès aux postes aux­quels elles pou­vaient pré­tendre. Pour elles, explique la socio­logue du genre Joëlle Magar-Braeuner, l’opposition aux ABCD consti­tue, à cer­tains égards, une « occa­sion de mani­fes­ter leur agen­ti­vi­té dans l’espace sco­laire (2) », de prendre la parole sur une ins­ti­tu­tion qui bien sou­vent les méprise.

Cette fronde contre les ABCD peut aus­si comp­ter sur le sou­tien média­tique de per­son­na­li­tés poli­tiques de droite : Christine Boutin, ou encore « Jean-François Copé, qui, sur les pla­teaux télé, bran­dis­sait le livre Tous à poil (3) en criant au scan­dale », rap­pelle Najat Vallaud-Belkacem. Elle pour­suit : « Des gens de droite avec les­quels j’avais pu m’entendre sur cer­tains sujets par le pas­sé s’élevaient sou­dain avec une hargne invrai­sem­blable. Ils poin­taient du doigt les études de genre sans rien y com­prendre. C’est tout ce contexte-là qui va faire que le truc va prendre, qu’il y a des parents sin­cè­re­ment inquiets qui vont reti­rer leur enfant de l’école pen­dant une jour­née, voire plus. »

Finalement, mal­gré un fort reten­tis­se­ment média­tique, les JRE ne tou­che­ront qu’une cen­taine d’écoles sur les 48 000 du pays, et en majo­ri­té des éta­blis­se­ments non concer­nés par le dis­po­si­tif. Mais, comme le note Fatima Khemilat, « il y a un inté­rêt à lais­ser pen­ser que ces Journées ont été lar­ge­ment sui­vies, tant de la part des acteurs musul­mans anti-genre – afin d’avoir du poids dans les négo­cia­tions avec les auto­ri­tés publiques – que du côté de leurs contemp­teurs – qui sou­haitent dif­fu­ser l’idée que le sexisme et l’homophobie se trouvent der­rière la ligne Maginot que serait le péri­phé­rique pari­sien ».

En effet, depuis les années 1990, selon le poli­tiste Simon Massei, les poli­tiques d’éducation à l’égalité entre les sexes sont en majo­ri­té finan­cées par la poli­tique de la ville et l’éducation prio­ri­taire : elles visent sur­tout les enfants des classes popu­laires non blanches. Une « racia­li­sa­tion de l’antisexisme sco­laire » qui se fait au détri­ment d’une approche sys­té­mique des vio­lences sexistes et sexuelles (4).

Dans le dis­po­si­tif des ABCD, l’éducation prio­ri­taire urbaine est ain­si sur­re­pré­sen­tée : les équipes édu­ca­tives des quar­tiers plus aisés se sont pro­por­tion­nel­le­ment moins por­tées volon­taires, consi­dé­rant sans doute, à cause de biais racistes et clas­sistes, que tra­vailler sur l’égalité filles-garçons dans leur éta­blis­se­ment était moins « nécessaire ».

« Un frein LGBTphobe non identifié, mais bien présent »

Face à la mobi­li­sa­tion, à l’Éducation natio­nale, on tâtonne. Des réunions d’information sont orga­ni­sées dans les écoles pour désa­mor­cer les ten­sions et les incom­pré­hen­sions de part et d’autre. Mais, n’étant qua­si­ment pas formé·es aux ques­tions de genre et de sexua­li­té, les enseignant·es ne savent pas tou­jours com­ment défendre le projet.

Lucie (5), char­gée à l’époque des ques­tions d’éducation dans un centre de res­sources consa­cré à l’égalité femmes-hommes en Île-de-France, consta­tait, lors de ses for­ma­tions aux professeur·es, que pour beau­coup « ils et elles étaient favo­rables à l’idée de pro­mou­voir l’égalité mais “à condi­tion que les filles res­tent des filles et les gar­çons des gar­çons”. Il y avait un frein LGBTphobe pas iden­ti­fié comme tel mais bien pré­sent, qui aurait pu être décons­truit par une vraie poli­tique de for­ma­tion en amont ».

Au niveau de la hié­rar­chie, le sou­tien se fait dis­cret et mal­adroit. « Le dis­cours de l’inspecteur [aux parents], c’était de l’ordre de : “Ne vous inquié­tez pas, rien ne va chan­ger”, alors que nous, c’est ce qu’on essaie, de faire chan­ger les choses », expli­quait par exemple une ins­ti­tu­trice à Joëlle Magar-Braeuner (6).

Vincent Peillon lui-même fera par­fois des décla­ra­tions ambi­va­lentes, tra­his­sant sa mécon­nais­sance des études de genre. Le 28 jan­vier 2014, à l’Assemblée natio­nale, par exemple, il déclare qu’il s’agit de res­pec­ter « cette dif­fé­rence fon­da­men­tale filles-garçons » et non de la « nier »

Sur le ter­rain, l’hostilité fran­chit un cap avec l’affaire de Joué-lès-Tours, en mars 2014 : une ins­ti­tu­trice est accu­sée d’avoir for­cé deux enfants à se désha­biller et se tou­cher. Pour Najat Vallaud-Belkacem, c’est le moment de bascule.

Cette ins­ti­tu­trice « se retrouve dénon­cée publi­que­ment sur les réseaux sociaux par la bande de Farida Belghoul, avec son nom, son adresse, reçoit des menaces de mort. À par­tir de là, avec Benoît Hamon, on se dit que ce n’est plus pos­sible. Évidemment que sur le fond on a rai­son, que tout ça n’est qu’une hor­rible mani­pu­la­tion, mais on a une prof mena­cée et si on ne fait rien, on ne sait pas jusqu’où ça peut aller ».

Selon elle, c’est à ce moment-là que le sort des ABCD est scel­lé. « On a pris conscience que l’une des choses qui don­naient du cré­dit au récit anxio­gène, c’était la notion même d’expérimentation. Ça don­nait l’impression que les enfants étaient des rats de laboratoire. »

Aussi, le 30 juin, mal­gré un bilan encou­ra­geant dans les classes concer­nées, Benoît Hamon annonce l’abandon des ABCD. Le site-ressource est fer­mé et Nicole Abar, comme d’autres, est remer­ciée : « Je l’ai été sans même un retour sur ma mis­sion. J’ai ren­du l’ordinateur avec tout ce que j’avais fil­mé dans les classes visi­tées et j’ai dis­pa­ru de la cir­cu­la­tion. C’était pour­tant un pro­gramme magni­fique », conclut-elle, amère.

Le dis­po­si­tif est rem­pla­cé par un plan d’action, adop­té en sep­tembre. « On nous a repro­ché d’avoir recu­lé alors qu’en réa­li­té on a tout fait ren­trer dans le droit com­mun, pour que ce soit géné­ra­li­sé par­tout », défend pour sa part l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem.

« Sur le papier, glo­ba­le­ment, c’est tou­jours super dans l’Éducation natio­nale, explique Lucie, qui est depuis deve­nue direc­trice du centre de res­sources dans lequel elle s’occupait des ques­tions d’éducation au moment des ABCD. À chaque nou­velle conven­tion inter­mi­nis­té­rielle sur l’égalité filles-garçons, tous les cinq ans, tu te dis “là, on a vrai­ment un plan d’action très com­plet”. Sauf qu’il n’y a aucun moyen alloué pour le déployer. »

Aujourd’hui encore, la part dévo­lue à ce sujet dans la for­ma­tion des enseignant·es reste mar­gi­nale, les pro­grammes n’évoluent pas tou­jours dans le bon sens, les référent·es « éga­li­té » dans le secon­daire ne sont pas tou­jours nommé·es ni épaulé·es.

Selon Lucie, les enseignant·es, de leur côté, « ont subi tel­le­ment de clashs avec des parents sans être protégé·es par la hié­rar­chie » que, par­fois, avec ses col­lègues, elle se retrouve « presque à faire de l’écoute psy lors des for­ma­tions »« Sur les ABCD, l’Éducation natio­nale n’a clai­re­ment pas été à la hau­teur des enjeux et on le paie encore », souligne-t-elle.

Prémices de l’offensive anti-woke de Blanquer et Vidal

L’échec des ABCD de l’égalité est emblé­ma­tique d’un mou­ve­ment à l’œuvre depuis les années 2010, où chaque ten­ta­tive d’aborder les ques­tions d’égalité et de sexua­li­té à l’école ouvre la voie à de pos­sibles offen­sives réactionnaires.

En 2011, déjà, des asso­cia­tions catho­liques s’étaient mobi­li­sées contre cer­tains manuels de SVT au motif qu’ils fai­saient men­tion de la notion d’« iden­ti­té de genre », au lieu de s’en tenir à un dis­cours sur la dif­fé­rence sexuelle bio­lo­gique entre les hommes et les femmes (7).

À l’époque des ABCD, de nom­breuses actions péda­go­giques simi­laires ont été consi­dé­rées comme sus­pectes. Lucie se rap­pelle notam­ment ce centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) (8), contraint d’interrompre ses séances de sen­si­bi­li­sa­tion dans les Hauts-de-Seine parce que les éta­blis­se­ments concer­nés rece­vaient des lettres de menace de parents avocats.

Yéléna Perret, long­temps char­gée de mis­sion droits des femmes dans une ville de Seine-Saint-Denis, peut éga­le­ment témoi­gner de cette défiance. Elle explique avoir pu ras­su­rer assez faci­le­ment les parents en leur détaillant le conte­nu de ses inter­ven­tions péri­sco­laires, mais elle regrette aujourd’hui les posi­tions par­fois « un peu tièdes » que ses col­lègues et elle-même ont pu adopter.

« Au fond, en tant que mili­tante fémi­niste, mon hori­zon reste l’abolition du genre. Quand tu cherches à décons­truire les sté­réo­types auprès des enfants, tu peux quand même espé­rer que ça leur laisse plus de liber­té sur leur iden­ti­té de genre, leur orien­ta­tion sexuelle… Peut-être qu’on n’a pas eu le cou­rage d’aller au bout, de dire “oui, on ne veut plus qu’il y ait d’hommes et de femmes, et alors ?” En même temps, dans le cadre pro­fes­sion­nel, je n’avais pas la légi­ti­mi­té pour le faire. »

Nombre de professionnel·les ont d’ailleurs com­men­cé à évi­ter d’employer le mot « genre », qui a été ban­ni des publi­ca­tions por­tées par l’Éducation natio­nale dès le lan­ce­ment des ABCD, au pro­fit du plus consen­suel « sté­réo­types filles-garçons ».

« Au début de ma vie pro­fes­sion­nelle, le mot sur lequel je m’autocensurais c’était “patriar­cat”, se sou­vient Yéléna Perret. J’avais peur que ça fasse gros sabots. Mais sur le genre, jus­te­ment, j’étais très enthou­siaste à l’idée de faire décou­vrir son inté­rêt concep­tuel à d’autres professionnel·les. Cela per­met à la fois de pen­ser la façon dont sont créées les caté­go­ries binaires d’hommes et de femmes, et d’inclure les luttes pour les droits des per­sonnes LGBTQ. Mais aus­si de réflé­chir à ce que cette répar­ti­tion gen­rée implique en termes de rap­ports de pou­voir et d’oppression. Quand on parle d’égalité garçons-filles, on reste sur des enjeux de rat­tra­page, pas de révo­lu­tion des struc­tures sociales. »

Aujourd’hui, les paniques morales autour de l’éducation des enfants sont tou­jours d’actualité. « Le cur­seur s’est sim­ple­ment dépla­cé sur le “wokisme (9)” et s’est éten­du au-delà des ques­tions d’égalité de genre, pour englo­ber notam­ment l’antiracisme poli­tique », relève Yéléna Perret.

En effet, alors qu’en 2013 les ABCD étaient mis en œuvre par le gou­ver­ne­ment, en 2021, ce sont direc­te­ment les ministres de l’éducation natio­nale et de l’enseignement supé­rieur, Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, qui ont por­té haut et fort l’offensive « anti-woke » et fait preuve d’une cer­taine poro­si­té avec le voca­bu­laire d’extrême droite, en criant au « nou­vel obs­cu­ran­tisme » et en lan­çant une chasse aux « isla­mo­gau­chistes » dans le monde de la recherche.

« En fait, conclut-elle, avec la mobi­li­sa­tion réac­tion­naire contre le genre de 2013–2014, on en était juste aux pré­mices de ce que l’on vit aujourd’hui. »

*

(1) Entretien avec Fatima Khemilat, réa­li­sé par Fanny Gallot et Gaël Pasquier, « Les Journées de retrait de l’école : une mobi­li­sa­tion très rela­tive des musul­mans de France », Cahiers du genre, 2018.

(2) Joëlle Magar-Braeuner, « La mésen­tente à l’école des Tilleuls. Des effets et de quelques enjeux de l’appel à la Journée de retrait de l’école dans une école pri­maire », Cahiers du genre, 2018.

(3) L’album jeu­nesse Tous à poil de Claire Franek et Marc Daniau (Éditions du Rouergue, 2011) met en scène avec humour divers per­son­nages – la baby-sitter, la maî­tresse, le poli­cier… – nus, afin de mon­trer la diver­si­té des corps. En février 2014, Jean-François Copé, alors pré­sident de l’UMP, s’offusqua de sa pré­sence sur une liste de livres recom­man­dés aux enseignant·es par l’Éducation nationale.

(4) Simon Massei, « Les “ABCD de l’égalité”, cas d’école de racia­li­sa­tion du sexisme », Mouvements, 2021, no 107.

(5) Elle pré­fère res­ter ano­nyme et ne pas pré­ci­ser le nom de la struc­ture dans laquelle elle travaille.

(6) Joëlle Magar-Braeuner, art. cité.

(7) Fanny Gallot et Gaël Pasquier, « L’école à l’épreuve de la “théo­rie du genre” : les effets d’une polé­mique », Cahiers du genre, 2018.

(8) Les CIDFF sont des asso­cia­tions qui, au niveau dépar­te­men­tal, sont char­gées par l’État de pro­mou­voir les droits des femmes et l’égalité.

(9) Terme fourre-tout uti­li­sé par les conser­va­teurs et conser­va­trices à des fins polé­miques, le « wokisme » désigne, pour les stig­ma­ti­ser, les luttes visant à pro­mou­voir la jus­tice sociale. Il sert éga­le­ment à décré­di­bi­li­ser, dans une pers­pec­tive anti-intellectualiste, tout un pan de la pen­sée cri­tique et des sciences sociales.