Jérôme Peyrat [candidat aux législatives investi par la majorité présidentielle, il a été condamné en septembre 2020 pour violences conjugales] malgré la résistance de La République en marche (LREM) et les propos de son délégué général, Stanislas Guerini, affirmant qu’il était un « honnête homme ». Nous sommes en train de faire la démonstration de notre analyse : en forçant le pouvoir politique à nous répondre, on montre bien qu’il se fiche des violences.
« Il EXISTE UNE “JURISPRUDENCE DARMANIN” QUI REND IMPOSSIBLE D’ÉCARTER DAMIEN ABAD MAINTENANT QU’IL EST NOMMÉ »
Vous sentez que les lignes commencent à bouger ?
C’est une période assez surprenante, parce qu’on a des allié·es inattendu·es : Rachida Dati, par exemple ou Aurélien Pradié, député et secrétaire général Les Républicains, assez avant-gardiste pour son parti sur ces questions-là. Notre objectif, c’est de forcer tout le monde à se positionner et c’est ce qui se produit. Et puis quelques partis et institutions (LFI, Europe Écologie-Les Verts, LREM, et l’Assemblée nationale) se sont dotées d’outils, notamment de cellules de veille, pour pouvoir prendre leurs responsabilités… tout en évitant que ces outils marchent trop bien.
C’est-à-dire ?
Les organisations n’écartent pas les mis en cause ! Ce qui les préoccupe, ce n’est pas que les femmes soient correctement traitées dans leurs organisations, c’est de se retrouver éclaboussées par un procès ou par des accusations mettant en cause des responsabilités personnelles.
Damien Abad, tout juste nommé ministre des Solidarités, et Taha Bouhafs, investi par LFI pour les législatives, sont tous les deux visés par des accusations de violences sexuelles. La différence de traitement de ces affaires dans leurs formations respectives vous a‑t-elle surprise ?
Sur l’affaire Damien Abad, il existe la « jurisprudence Darmanin » qui rend impossible le fait de l’écarter une fois qu’il est ministre – s’ils limogent l’un, ils doivent limoger l’autre. Concernant Taha Bouhafs, j’ai été assez surprise par la rapidité de la réaction du côté de La France insoumise. La cellule a été saisie, elle a pu conduire des auditions et prendre une décision. Mais ces démarches auraient dû être effectuées avec plus de transparence, sans laisser le choix à Taha Bouhafs de retirer ou non sa candidature.
Quelles sont les recommandations de votre Observatoire ?
L’article 40 du Code de procédure pénale impose l’obligation pour toute autorité constituée, tout officier public, toute officière publique, tout ou toute fonctionnaire, de signaler des crimes ou délits portés à sa connaissance. Mais rien de tout cela n’est assorti de sanctions, donc personne ne signale. Il faut former les élu·es, les collaborateur·ices, les bénévoles… bref, toutes les personnes qui travaillent en politique. Nous pourrions aussi étendre les missions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique au recensement et à la prise en compte des violences sexistes et sexuelles, qui doivent devenir incompatibles avec la charge d’un ministère ou d’une fonction élective. Actuellement, cet organe ne se préoccupe que des conflits d’intérêts liés aux emplois familiaux ou à la déclaration des patrimoines des élu·es, par exemple.
Il nous faut enfin mettre des choses en place pour soutenir les victimes. Les attaques systématiques en diffamation concernent beaucoup de militantes ; on les appelle « procédures bâillon » : elles sont le plus souvent passées sous silence et coûtent très cher en frais de justice. On pourrait imaginer des manifestations de soutien devant les tribunaux, pour attirer la presse, les pouvoirs publics, et entrer dans un rapport de force – parce que les organisations politiques ne comprennent que ça.
Que répondre à Élisabeth Borne et aux membres de la classe politique qui, en nombre, brandissent la présomption d’innocence comme un totem d’immunité ?
Il n’est pas question de jeter Damien Abad en prison sans procès ! Il est question de savoir s’il va pouvoir sereinement effectuer sa mission d’intérêt public et s’il incarne quelque chose de compatible avec l’intérêt général. En France, les entreprises privées sont censées mettre à pied toute personne mise en cause pour harcèlement ou violences, puis effectuer une enquête interne et éventuellement licencier la personne mise en cause. La Cour de cassation a d’ailleurs confirmé que, même si un jugement judiciaire intervenait pour classer l’affaire sans suite, le licenciement restait valable. On demande que les ministres se voient appliquer une loi aussi sévère que l’ensemble des citoyen·nes. On peut se situer dans un registre moral sans forcément de recours juridique à la clef.
Pourtant, les représentant·es politiques renvoient systématiquement les victimes dans les cordes de la justice…
Parce qu’elles et ils savent précisément que c’est un organe dysfonctionnel et que, par conséquent, c’est extrêmement précieux de pouvoir l’utiliser comme un outil de « lavage ». Certaines décisions, comme le classement sans suite, évoquent pour tout le monde la disculpation, alors qu’il s’agit simplement d’un abandon de procédure faute d’éléments de preuve suffisants. Pour protéger les victimes, il faut rénover ce mécanisme judiciaire et éduquer les gens et les médias sur les mots de la justice.
À deux jours des législatives, continuez-vous de recevoir des témoignages concernant des candidat·es ?
Oui, tous les jours. Mais aucun, pour le moment, qui nécessite un signalement au procureur de la République.
📖 ⟶ Mathilde Viot a publié le 25 mai son premier essai : L’homme politique, moi j’en fais du compost, aux éditions Stock.